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Qui a peur de la Journée nationale des patriotes?

Pertinente, actuelle et édifiante, l'expérience patriote est riche en leçons. Au point où on peut se demander pourquoi on ne la célèbre pas davantage. Qui en somme a peur de la Journée nationale des patriotes? Cette question nous ramène directement à notre devoir de mémoire.
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À l'école et dans les manuels scolaires, leur contribution est souvent réduite à la défense de vagues principes: démocratie, justice, gouvernement responsable. Pour certains, ils sont de véritables héros, précurseurs de l'idée d'indépendance. Pour la plupart cependant, les patriotes de 1837 n'évoquent rien du tout. Le souvenir de leur lutte est pourtant d'une percutante actualité, riche en leçons et source d'une légitime fierté que la Journée nationale des patriotes nous permet de raviver.

Combattre la corruption

Des premiers discours de Pierre-Stanislas Bédard, en 1793, à l'adresse des Fils de la liberté en 1837, les patriotes n'auront de cesse de purger l'État de sa clique de coquins afin de redonner le gouvernement au peuple.

À l'époque, le parlement élu n'a guère qu'un pouvoir, celui de voter le budget et l'allocation des dépenses. De son côté, le gouvernement colonial anglais exigeait que le revenu des taxes lui soit versé automatiquement pour financer l'administration coloniale et payer les « sinécures », ces bureaucrates vivant au crochet de la colonie. Les députés patriotes ripostent donc en rendant publics le nom et le salaire de chaque fonctionnaire ainsi que le montant de tous les contrats publics octroyés aux amis du gouverneur. On révèle ainsi quantité de cas de corruption et de favoritisme. On apprend par exemple que le procureur de la province, l'honorable Jonathan Sewell, cumulait à lui seul quatre emplois à temps plein grassement payés et que chacun de ses trois fils bénéficiait d'une sinécure payée par la population. Louis-Joseph Papineau dénonce alors: « Les honoraires exorbitants, illégalement exigés dans divers bureaux publics de l'administration, des juges et d'autres fonctionnaires usurpant les pouvoirs de la législature. »

L'édition 2013 de la Journée nationale des patriotes sera inaugurée dimanche 19 mai à Montréal par un grand spectacle gratuit. Plus de 50 autres activités se dérouleront ailleurs au Québec. Consultez la programmation complète ici.

La saine gestion par l'État est le plus constant engagement pris par les patriotes. Ils exigeaient donc inlassablement la tenue d'enquêtes publiques, ce à quoi le gouverneur anglais s'opposait systématiquement. Cette situation n'est pas sans rappeler l'obstination dont a fait preuve le précédent gouvernement libéral afin de retarder la tenue d'une enquête sur l'industrie de la construction :

Que c'est l'opinion de ce comité qu'un grand nombre de requêtes relatives à l'infinie variété de sujets qui tiennent à l'utilité publique ont été présentées; plusieurs enquêtes importantes ordonnées par elle, dans plusieurs desquelles le gouverneur en chef se trouve personnellement et profondément impliqué; lesquelles enquêtes commencées pour être continuées avec diligence, peuvent et doivent nécessiter la présence de nombre de témoins, la production de nombre d'écrits, l'emploi de nombre de commissaires, messagers, assistants, impressions, déboursés inévitables et journaliers.

En 1834, les députés patriotes déposent 92 résolutions réclamant qu'on fasse toute la lumière sur les cas de corruption et de favoritisme.

Que le refus du gouverneur en chef de commander ces enquêtes, dans la circonstance actuelle, nuit essentiellement à la dépêche des affaires pour lesquelles le parlement a été convoqué, est contraire aux droits et à l'honneur de cette chambre, et est un nouveau grief contre l'administration actuelle de cette province.

Plus encore que la lutte à la corruption, les députés patriotes revendiquent l'indépendance des élus et une claire séparation du juridique et du politique. C'est ainsi que les patriotes dénoncent Samuel Gale, à la fois juge et député à l'Assemblée, ou Jonathan Sewell, à la fois juge en chef et président du Conseil législatif. Les patriotes obtiennent ainsi en 1811 l'inéligibilité des juges, une mesure fondamentale qui évite que la partisannerie politique n'entrave une justice impartiale.

Récemment, l'historien Frédéric Bastien dévoilait que je juge Bora Laskin avait enfreint cette règle en divulguant des informations au gouvernement alors même que la Cour suprême du Canada était saisie en 1981 du cas du rapatriement unilatéral de la constitution. À 175 ans de distance, on est stupéfait de constater que le parti patriote dénonçait exactement la même situation.

C'est l'opinion de ce comité, qu'il est inadmissible que des juges [soient] illégalement appelés à donner secrètement leurs opinions sur des questions, qui pouvaient plus tard être discutées publiquement et contradictoirement devant eux; et de telles opinions données par la plupart des dits juges, devenus des partisans politiques, dans un sens contraire aux lois, mais favorables aux administrations.

Fonder une république

On commet souvent l'erreur de réduire la lutte patriote à l'obtention du gouvernement responsable; que les ministres soient responsables devant la Chambre élue. Les revendications patriotes allaient en fait beaucoup plus loin et visaient à appliquer ici les institutions républicaines des États-Unis... Concrètement, on souhaitait forcer tous les membres du gouvernement, juges, militaires, hauts fonctionnaires à rendre des comptes, et pas seulement les ministres. Plus encore, en étendant le principe d'élection jusqu'aux ultimes échelons de l'État, le programme patriote aurait mené à l'instauration d'une république.

En 1838, le mouvement patriote affirme ses convictions républicaines jugeant : « Que le Bas-Canada doit prendre la forme d'un Gouvernement RÉPUBLICAIN et se déclare maintenant, de fait, RÉPUBLIQUE ». L'idéal républicain se retrouve d'ailleurs dans le mot même de «patriote». Lors de la Révolution américaine (1776), les Patriots sont ceux qui défendent le sol contre la couronne britannique. Avec la Révolution française (1789), le patriote désigne un citoyen fidèle à son pays et non plus « sujet du roi de France ». Être patriote consiste à prêter allégeance à la patrie populaire et non plus à un roi ou à une reine en titre. À la sujétion les patriotes substituent la citoyenneté; la souveraineté passant du Roi à la République. En 1830, le Parti canadien du Bas-Canada choisit le nom de patriote afin d'insister sur la lutte pour la liberté, la justice et les valeurs républicaines. L'exemple vient d'ailleurs de haut. Jusqu'à sa mort, le chef patriote Louis-Joseph Papineau n'aura de cesse de répéter que les rois et les reines n'ont rien à faire dans le Nouveau Monde et qu' « Il est certain qu'avant un temps bien éloigné, toute l'Amérique doit être républicaine. »

Alors qu'on discute de la place de la monarchie au Canada et du rôle accessoire de fonctions honorifiques, comme celle de lieutenant-gouverneur, déjà, il y a 175 ans, les patriotes avaient beaucoup à nous dire sur le principe d'un gouvernement « par et pour le peuple ».

Les précurseurs de nos droits nationaux

Lutte à la corruption, indépendance des élus, séparation des pouvoirs, république, ce n'est là qu'un modeste survol de l'œuvre de quatre générations de patriotes, de 1793 et 1850. Leur contribution ne s'arrête effectivement pas là. C'est en effet aux patriotes qu'on doit une presse libre au Canada (1806), le premier parti démocratique (1827), le réseau scolaire francophone laïc (1829). On leur doit également une fête nationale et une Société Saint-Jean-Baptiste (1834) et la conquête du gouvernement responsable (1849). En février 1838, Robert Nelson proclame l'indépendance du Bas-Canada, assortie de plusieurs réformes audacieuses pour l'époque, dont certaines ne seront finalement acquises que beaucoup plus tard, comme l'abolition de la tenure seigneuriale (1854), le vote secret (1874), l'éducation obligatoire (1943), le suffrage universel (1960) et l'abolition de la peine de mort (1976). D'autres demandes patriotes n'ont même pas encore été obtenues, telles l'abolition de la monarchie (république) ou l'égalité juridique des autochtones.

Pertinente, actuelle et édifiante, l'expérience patriote est riche en leçons. Au point où on peut se demander pourquoi on ne la célèbre pas davantage. Qui en somme a peur de la Journée nationale des patriotes? Cette question nous ramène directement à notre devoir de mémoire. À l'heure où il est beaucoup question d'éthique, de fierté et de respect envers les institutions, la Journée nationale des patriotes est un moment privilégié pour rappeler la ténacité de Québécois d'hier et d'aujourd'hui dans la défense de nos droits nationaux.

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