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Le fleurdelisé : né de l'incapacité du Canada à se donner un drapeau

La mort, le 27 décembre dernier, du principal artisan du drapeau du Canada en 1965, John Ross Matheson (1917-2013), permet de rappeler combien l'unifolié fut adopté dans la controverse et au terme d'un débat déchirant.
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La mort, le 27 décembre dernier, du principal artisan du drapeau du Canada en 1965, John Ross Matheson (1917-2013), permet de rappeler combien l'unifolié fut adopté dans la controverse et au terme d'un débat déchirant. Qui plus est, si le Québec a pu proclamer son propre drapeau dès 1948, c'est justement parce que le Canada s'avérait incapable d'en adopter un, tant restaient profonds ses liens coloniaux avec la Grande-Bretagne.

Contrairement à l'idée reçue, le Canada ne proclame nullement son indépendance en 1867, ses provinces s'étant unies pour « ne former qu'une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande ». Le sacrifice des deux guerres mondiales du XXe siècle conduit cependant à une réflexion : les 100 000 Canadiens et Québécois morts pour l'Angleterre n'ont-ils pas largement payé le droit du Canada à l'indépendance ? Durant la campagne électorale de 1945, le PM Mackenzie King s'engage donc à doter le Canada d'un drapeau distinctif afin de parachever son indépendance. En principe rassembleuse, cette proposition provoqua pourtant un grand chahut au sein même du gouvernement libéral. Tandis que les députés canadiens insistaient pour qu'un drapeau rappelle clairement le lien britannique, ceux du Québec refusent qu'il perpétue notre soumission coloniale. Finalement, le gouvernement King préfère reculer et faire adopter comme drapeau le Red Ensign, un emblème représentant l'Union Jack et les armoiries du Canada sur fond rouge. Déçu, le gouvernement du Québec continuera d'utiliser l'Union Jack en attendant d'opter pour sa propre solution.

Le Québec est alors fin prêt pour proclamer son propre drapeau. Le drapeau de Carillon et ses diverses variantes de fleur de lys et de croix blanche sur fond azur apparait depuis longtemps lors des défilés de la Saint-Jean-Baptiste et des autres fêtes patriotiques. Rendu en 1947, tout un travail de sensibilisation était fait, notamment par le biais de la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste (aujourd'hui le MNQ). Talonné par le député indépendant, René Chaloult, et par sa base électorale largement favorable au fleurdelisé, le premier ministre, Maurice Duplessis sent d'autant plus l'urgence d'agir que les autorités fédérales, par le choix du Red Ensign, s'ancrent dans leur attachement aux couleurs britanniques. La motion que dépose Chaloult en novembre 1946 prend d'ailleurs appui sur l'incapacité du reste du Canada à poser un geste de rupture avec la Métropole.

ATTENDU que l'Assemblée législative de Québec a adopté à l'unanimité une motion priant le comité parlementaire fédéral de choisir « un drapeau véritablement canadien », c'est-à-dire un drapeau qui exclut tout signe de servage, de colonialisme et que peut arborer fièrement tout Canadien sans distinction d'origine :

QUE cette Chambre invite le gouvernement de Québec à arborer sans délai, sur la tour centrale de son hôtel, un drapeau nettement canadien et qui symbolise les aspirations du peuple de cette province.

Chaloult revient à la charge le 19 mars 1947 avec une autre motion plus modérée qui évite cette fois les allusions au « servage » et au « colonialisme ». Le premier ministre Duplessis semble alors plus réceptif, mais hésite toujours. René Chaloult consulte alors discrètement l'influent chanoine Lionel Groulx qui, perspicace, comprend que Duplessis cherche surtout à s'arroger le fleurdelisé en lui donnant une touche personnelle. Groulx aurait donc suggéré de redresser les quatre fleurs de lys, qui pointaient vers le centre dans la « version de Carillon », de sorte qu'elles pointent vers le haut dans la « version Duplessis ».

Duplessis peut alors procéder. Encore là, le texte officiel de l'arrêté en conseil du 28 janvier 1948 tire principalement prétexte de l'incapacité du Canada anglais à se doter d'un drapeau distinct afin que Québec puisse se sentir autorisée à agir.

ATTENDU qu'il n'existe pas actuellement de drapeau canadien distinctif; attendu que les autorités fédérales semblent s'opposer à l'adoption d'un drapeau exclusivement canadien et négligent en conséquence de donner à notre pays, le Canada, un drapeau qu'il est en droit d'avoir; [...] il est ordonné [...] que le drapeau généralement connu sous le nom de fleurdelisé, c'est-à-dire drapeau à croix blanche sur champ d'azur et avec lis, soit adopté comme drapeau officiel de la province de Québec et arboré sur la tour centrale des édifices parlementaires à Québec.

Des deux côtés de la Chambre l'accueil est enthousiaste, les députés de l'Union nationale se pressant même autour du pupitre du premier ministre pour chanter : «Il a gagné ses épaulettes». La minorité anglophone sembla accepter de bon gré la situation. Quant aux électeurs, ils se montrent apparemment ravis puisqu'aux élections de juillet 1948 ils donnent à l'Union nationale 82 sièges sur 90.

Le fanion de Pearson

Au Canada anglais, en revanche, c'est la consternation. Le geste unilatéral du Québec montrait de manière cruelle l'incapacité du Canada anglais à manifester la même unanimité pour se donner à son tour un emblème national. À la suite du Québec, d'autres provinces allaient se doter d'un drapeau distinctif, la plupart dérivés de l'Union Jack anglais. Quant à l'État fédéral, à la veille de ses 100 ans et en vue de l'exposition Terre des Hommes devant se dérouler à Montréal, au Québec, il n'avait à montrer à la face du monde qu'une vulgaire copie du drapeau anglais. Le douloureux débat reprend donc, l'un des plus déchirants de l'histoire canadienne selon certains historiens.

Lester B. Pearson est alors à la tête d'un gouvernement libéral minoritaire (1963-1965) qui a désespérément besoin des voix du Québec et qui risque fort de s'écrouler sur cet enjeu. En mai 1964, Pearson dépose donc une motion à la Chambre des Communes pour faire adopter un drapeau représentant trois feuilles d'érable entre deux bordures bleues. Cette motion entraîna des semaines de débats intenses à propos du « fanion de Pearson ». Le principal opposant au changement est alors le chef conservateur John Diefenbaker qui voyait un grand intérêt électoral à défendre les racines britanniques illustrées par le Red Enseign, et à dénoncer les deux bandes bleues semblant référer au Québec et au fait français dans la proposition de Pearson. Sûr de l'emporter en flattant le britannisme des Canadiens et en isolant le Québec, Diefenbaker demande la tenue d'un référendum sur cette question. Le premier ministre choisit plutôt de former un comité parlementaire de quinze sénateurs et députés pour déterminer le nouveau drapeau. Le comité recevra des centaines de suggestions faites par des Canadiens, mais l'exercice vise d'abord à trancher entre le nationalisme de Pearson et le britannisme des conservateurs.

À titre de héros de guerre et héraldiste amateur, le député libéral John Ross Matheson jouera un rôle clé au sein de ce comité, reconnu depuis comme l'artisan du compromis final. On lui doit en fait que le drapeau adopté sera absolument exempt de référence au Québec et aux racines françaises du Canada. Tandis que le PM Pearson tenait à ses deux bandes bleues, Matheson aurait répondu que « Blue is not a Canadian Color »

Le comité choisit donc de recommander le dessin créé par George Stanley, inspiré du drapeau du Collège militaire royal du Canada à Kingston, en Ontario. L'unifolié fut proclamé par la reine du Canada, le 28 janvier 1965, puis utilisé en priorité au Québec, où sa présence choquait moins, en vue des célébrations du centenaire de 1967. Ne faisant allusion ni à ses racines autochtones, françaises ou britanniques (initialement exprimées par les trois feuilles d'érable de Pearson), l'unifolié finit par faire consensus dans l'indifférence. Si les deux bandes latérales réfèrent aux deux océans (rouges?) de la devise canadienne, la feuille d'érable apparaît en fin de compte comme assez insipide : un arbre qui ne pousse que dans la partie est du Canada actuel. Un drapeau qui ne souleva en somme jamais l'enthousiasme, mais qui permit au moins au Canada anglais de sortir du plus intense débat identitaire de son histoire.

Du fleudelisé à l'unifolié

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