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Concilier laïcité et patrimoine religieux

Il faut saluer la volonté du gouvernement de clarifier les rapports entre la religion et l'État et ainsi combler un vide évident, navrant dans plusieurs aspects de notre vie collective. Il faut plus particulièrement se réjouir qu'on annonce une charte des valeurs et non pas seulement une déclaration de laïcité.
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Il faut saluer la volonté du gouvernement de clarifier les rapports entre la religion et l'État selon des règles équilibrées et ainsi combler un vide évident, navrant dans plusieurs aspects de notre vie collective. Il faut plus particulièrement se réjouir qu'on annonce une charte des valeurs québécoises et non pas seulement une déclaration de laïcité. N'affirmer que le principe de séparation de l'Église et de l'État ne constitue qu'un droit négatif, avec pour seules conséquences concrètes d'encadrer les demandes d'accommodements religieux et d'interdire le port de signes religieux ostentatoires dans les services gouvernementaux. Y inclure des valeurs communes représente au contraire une magnifique occasion de promouvoir des principes positifs auxquels toutes les composantes de la société sont invitées à adhérer.

On pense à des mesures d'intégration, comme accroitre l'employabilité des immigrants, mieux les initier à la culture du Québec, commémorer dignement nos anniversaires historiques et assurer un meilleur enseignement de l'histoire nationale. La société québécoise connait à l'heure actuelle des transformations rapides nous forçant à intégrer divers fonds culturels à nos valeurs communes. Plutôt que de seulement restreindre l'expression de signes religieux, il est heureux que le projet de charte entende permettre à la population néo-québécoise de partager et d'enrichir la culture de la majorité.

Cette charte des valeurs québécoise pourrait en somme représenter en matière de culture ce que la Charte de la langue française a signifié au plan linguistique. Langue, culture et histoire forment bien les trois colonnes de l'identité québécoise. Sans l'une ou l'autre, le sentiment national et l'intégration des nouveaux arrivants demeurent superficiels et bancals. Comme la Loi 101 cependant, cette nouvelle charte a vite déclenché des débats passionnés. On peut cependant escompter que, là encore, elle fasse finalement consensus au-delà des lignes partisanes.

Préserver notre patrimoine religieux

Affirmer le caractère laïque de l'État tout en préservant le patrimoine religieux est absolument nécessaire, mais cela ne va pas de soi. Si intégrer les nouveaux arrivants aux valeurs et à la culture de la majorité passe par la valorisation de notre culture, il est ironique qu'une bonne part de cette dernière soit issue de notre passé catholique. Or, si ces distinctions sont nouvelles pour le grand public, il y a longtemps que le milieu patrimonial et muséal les a démystifiées, si bien que distinguer l'expression de signes religieux de la préservation du patrimoine religieux repose tout compte fait sur des règles simples sur lesquelles s'appuyer.

Ainsi, pour le Conseil international des monuments et des sites, «le patrimoine religieux est composé de biens immobiliers, mobiliers ou archivistiques qui ont appartenu à une église ou à une tradition religieuse dans le contexte des fonctions inhérentes ou corollaires à la mission religieuse.» De son côté, la Commission des biens culturels du Québec élargit cette définition aux traditions et usages «immatériels», y incluant «[...] tout objet ou ensemble, matériel ou immatériel, chargé de significations reconnues, approprié et transmis collectivement.»

Réglons donc d'emblée la place qu'occupe autour de nous le patrimoine religieux, y compris celui placé sous la responsabilité de l'État, dans les musées, parcs ou maisons de la culture. Églises, monastères, croix de chemin, calvaires et autres noms de lieux de saints doivent être protégés comme une part essentielle de notre héritage collectif, et valorisés avec tous les moyens que l'État pourra y consacrer. Cette préoccupation est sans limites. L'État québécois a le devoir de préserver les traces de notre passé collectif pour le bénéfice des générations futures, des nouveaux arrivants et de notre système d'éducation. Cette mission compte aussi une composante économique, qu'on pense au tourisme, à l'animation socioculturelle ou au rayonnement des recherches menées aux fins de conserver et d'interpréter la diversité culturelle, conformément aux chartes de l'UNESCO et l'Organisation des Nations unies.

Le patrimoine religieux québécois n'est d'ailleurs pas que catholique. Est-il besoin de rappeler l'intérêt de mettre en valeur des cimetières autochtones, des synagogues et temples protestants et de souligner leur contribution à la diversité culturelle et à l'édification de valeurs éthiques communes? Le patrimoine religieux du Québec est en outre plus menacé que nul autre par la diminution de la pratique du culte et par le vieillissement des religieux et des célébrants. Or la mémoire orale, les savoir-faire, les fêtes, les rites et les coutumes sont des traditions vivantes transmises par des personnes, des porteurs de tradition. Lorsque ces personnes disparaissent, les traditions vivantes disparaissent elles aussi de manière irrévocable. La façon de tisser le jonc au dimanche des Rameaux, de confectionner le pain pour la Pâque portugaise ou de déclamer la bénédiction du Nouvel An sont tout autant digne de mémoire que les ornements religieux.

Qui plus est, ces usages sont très souvent à l'origine de principes éthiques qui nous sont toujours chers qui ont trait par exemple à la fidélité conjugale, à l'importance des liens familiaux ou au respect de la vie sous toutes ses formes. C'est enfin d'autant plus la responsabilité de l'État de préserver ce patrimoine que, ironiquement, les organisations religieuses sont souvent réfractaires à la sécularisation de leurs avoirs; conserver un lieu ou un objet de culte peut, dans bien des cas, signifier la fin de sa fonction sacrée. «Foi et patrimoine entrent même parfois en conflit», selon la théologienne Solange Lefebvre. Préserver ce patrimoine n'est donc surtout pas une affaire de foi ou de bigoterie, mais a tout à voir avec la promotion d'un héritage commun, dépouillé de sa portée messianique, mais respectueux des principes éthiques qu'il nous a légué.

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Le Crucifix de l'Assemblée nationale

Dans ce débat, le cas du crucifix à l'Assemblée nationale constitue un cas à la fois unique et exemplaire. Il mérite donc d'être abordé séparément, mais sans lui prêter une importance exagérée.

Il ne fait aucun doute que le crucifix, installé une première fois en octobre 1936 au Salon bleu du parlement québécois, représente une part de notre patrimoine politique et religieux. Ce lien est cependant ténu, car il réfère à un contexte relativement récent et circonscrit dans l'histoire des idées au Québec, soit le lien privilégié que le gouvernement de Maurice Duplessis a souhaité nouer avec l'Église catholique.

Son caractère unique vient qu'il est en contravention directe avec le principe de laïcité de l'État. Aucun autre cas n'est plus accablant. «Pour Duplessis, rappelle l'historien Jacques Rouillard, le crucifix placé au-dessus du siège du président de l'Assemblée représentait bien davantage qu'un symbole du passé religieux du Québec: il était le symbole de la nouvelle alliance qui unissait l'Église et l'État.» Qu'en est-il alors de la fameuse motion unanime votée à l'Assemblée nationale, le 22 mai 2008, à l'effet que:

Que l'Assemblée nationale réitère sa volonté de promouvoir la langue, l'histoire, la culture et les valeurs de la nation québécoise, favorise l'intégration de chacun à notre nation dans un esprit d'ouverture et de réciprocité et témoigne de son attachement à notre patrimoine religieux et historique représenté par le crucifix de notre Salon bleu et nos armoiries ornant nos institutions.

Le problème avec cette motion est qu'elle n'est absolument pas fondée sur le plan historique et qu'elle controuve complètement le sens véritable du geste autrefois posé par le gouvernement Duplessis. Jamais ce symbole n'a visé à garantir les vertus qu'on lui prête. Elle représente donc un détournement de sens préjudiciable en regard de la mémoire et de l'héritage qu'elle prétend honorer. En revanche, déplacer le crucifix permettrait d'en préserver la valeur patrimoniale et d'en restaurer la véritable signification historique, tout en proclamant de manière éclatante la séparation de l'Église et de l'État québécois. Tant l'objet que sa signification immatérielle peuvent tout aussi bien être préservés si le crucifix est placé par exemple dans le hall du parlement ou dans un musée. Plus de gens pourraient d'ailleurs l'admirer et on pourrait en profiter pour restaurer sa véritable place dans l'histoire.

En attendant, ce crucifix engendre la confusion, particulièrement auprès des nouveaux arrivants qui nous connaissent encore peu et que nous souhaitons sensibiliser et intégrer. Mais l'essentiel demeure que le public cesse enfin de voir dans le retrait éventuel de ce symbole une concession ou le signe avant-coureur de la dilapidation de notre patrimoine. Il s'agit bien d'un cas unique et circonscrit, parfaitement antinomique avec le principe de laïcité, un principe dont nous sommes après tout autant fier que de notre riche passé catholique.

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