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Pour remédier à la neutralité religieuse de l’État

Tenir à l’impartialité religieuse, c’est un choix qui, lui, est dépourvu de l’animosité à l’égard des manifestations religieuses.
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En plus de parer aux difficultés d'application, la législation à caractère religieux doit éviter ce qui la rend en principe fondamentalement inacceptable pour le Québec et la condamne à l'échec constitutionnel.

Un principe aux multiples défauts inacceptables

Il est admis que la neutralité consiste à « ne favoriser ni défavoriser » quelque appartenance religieuse. À partir de là, on peut constater le caractère inapproprié de la neutralité religieuse, pour plusieurs raisons, dont les suivantes.

Une neutralité contraire aux valeurs québécoises

Le concept de neutralité religieuse s'avère absurde en pratique : il implique que, pour être neutre et ne pas « défavoriser » les pratiques religieuses, l'État québécois devrait éviter d'aller à l'encontre de pratiques qui heurtent de plein fouet les valeurs auxquelles l'Occident et le Québec souscrivent, tels les crimes d'honneur, les mariages forcés, la polygamie, la séparation des sexes en public et en piscine, et ainsi de suite. C'est pourquoi, comme l'affirment les auteurs du rapport Bouchard-Taylor, le principe de neutralité ne convient pas à l'État québécois. « En revanche, l'État [...] se fonde [ ...] sur certains principes qui ne sont pas négociables. C'est le cas de la démocratie, des droits de la personne, de l'égalité entre tous les citoyens. Lorsque ces principes sont en jeu, l'État ne peut pas rester neutre. » (Fonder l'avenir, Le temps de la conciliation, Rapport abrégé, La neutralité de l'État , p. 46). Neutralité antidémocratique donc, puisque contraire à la volonté de la population à l'effet que la pluralité citoyenne partage des valeurs communes plutôt que le multiculturalisme.

Une neutralité de portée anticonstitutionnelle

Du point de vue judiciaire et constitutionnel actuel, cette législation risque fort d'apparaître aux yeux des tribunaux comme contraire à la protection de la liberté de religion prévue par les chartes de droits québécoises et canadiennes. Hormis des demandes d'accommodement insensé, les tribunaux trouveront paradoxal et inconstitutionnel que le gouvernement québécois ne fasse pas tout ce qui est nécessaire pour éviter de refuser un accommodement et éviter d'aller, par ce refus, à l'encontre du principe législatif de neutralité, d'autant plus que c'est ce gouvernement qui a choisi librement ce principe qui, tel que reconnu par le texte même de sa loi, vise à « ne pas défavoriser » la pratique religieuse. En retenant le principe de la neutralité religieuse, le gouvernement du Québec se sera mis lui-même la tête sous la guillotine légale et constitutionnelle qu'il aura lui-même fabriquée, laissant à la Cour suprême l'initiative de trancher ...

Un tout autre principe à l'honneur du Québec

Pour sortir de cet imbroglio, à moyen ou long terme, si ce n'est possible à court terme, on doit miser le moment venu sur un principe plus sensé, franchement avouable, voire honorable, en le substituant à la neutralité religieuse de l'État. À cet égard, l'exemple typique du juge portant la kippa lors de l'audition d'un litige entre un intervenant qui se dit athée et un adepte de la religion juive est un cas éclairant. Le juge doit prendre position en faveur de l'une ou l'autre partie au litige. Il ne peut pas rester neutre. Il doit, en tout ou en partie, « favoriser » une partie et « défavoriser » l'autre. Cependant, il doit se prononcer en toute impartialité, en faisant abstraction des convictions religieuses.

C'est cette impartialité religieuse de l'État qu'on doit viser par l'interdiction des signes religieux chez les agents de l'État en autorité et par l'exigence du visage découvert. L'intention de l'impartialité est claire : la réalisation de la justice dans la dispensation des services gouvernementaux, par-delà la diversité des croyances ou incroyances. L'absence de signes religieux, tant chez les prestataires que les bénéficiaires des services publics, lors de la recherche de « l'identification, la communication et la sécurité », doit viser à éviter que l'appartenance religieuse soit un obstacle à l'impartialité religieuse et à l'apparence de cette impartialité. Tenir à l'impartialité religieuse, c'est un choix qui, lui, est dépourvu de l'animosité à l'égard des manifestations religieuses. Et, parce qu'on n'a pas à forcer les gens à s'assurer de bénéficier de l'impartialité, la contrainte excessive pour leur interdire de porter un signe religieux peut ne pas être de mise quand ce n'est pas absolument nécessaire et où l'État n'est pas directement au volant des services publics...

Le principe d'impartialité religieuse est tout à fait conforme à nos chartes de droits. Il est l'antidote à l'acception de personnes pour les motifs mentionnés à l'article 10 de la Charte québécoise et relatifs au sexe, à la race ou à la religion. Il s'inscrit dans la ligne de l'article 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés qui indique l'acception de personne comme motif pour rendre inconstitutionnelle la discrimination pour motif religieux. Tenir à l'impartialité religieuse de l'État, c'est un choix à l'honneur du Québec susceptible de préserver sa réputation au niveau canadien et international. Il se peut que la lecture de la législation sous l'angle de l'impartialité puisse permettre de sauver les meubles lors de la contestation judiciaire fort prévisible de cette législation.

Solution à long terme : la recommandation Bouchard/Taylor d'un livre blanc

Afin d'assurer à long terme le fait qu'une législation québécoise puisse passer le test constitutionnel, il faut, il convient de procéder à la réflexion de fond que les commissaires Bouchard et Taylor conseillaient fortement par leur suggestion d'un livre blanc. Cette recherche fondamentale ne manque pas d'objets d'étude: la portée spécifique du pouvoir politique et du pouvoir religieux en matière du port de signes religieux et d'accommodements, le rôle des tribunaux, le gouvernement des juges et la clause dérogatoire; la laïcité en harmonie avec la liberté religieuse, l'intégration de la diversité pluriethnique, etc.

Par-dessus tout, le cœur de cette réflexion fondamentale doit porter sur la liberté de religion. Elle se doit de jeter un œil critique et rationnel sur la conception partielle et largement absolutiste de la liberté de religion que la jurisprudence de la Cour suprême a exposée à travers ses arrêts. Tant et aussi longtemps qu'on ne réussira pas à dégager un consensus sur cette question cruciale, ni le Québec, ni le Canada ne feront œuvre législative satisfaisante en la matière. Il faut démontrer, aux yeux de toute personne sensée et de bonne foi, dont les membres de la magistrature, qu'une juste conception de la liberté religieuse permet que le port de signes religieux puisse être légitimement restreint et que certaines conduites ne puissent bénéficier d'accommodement ou puissent en bénéficier par le libre consentement du législateur.

Nous croyons que les données de la philosophie juridique, éthique et ontologique de la pensée occidentale traditionnelle peuvent certainement contribuer à cette solution pérenne. Nous nous sommes efforcés de les exposer dans un récent ouvrage que nous destinons à publication. Une maison d'édition qui l'éditerait rendrait un énorme service au vivre-ensemble de la nation québécoise et canadienne.

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