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L'hôpital et l'université: deux bureaucraties professionnelles

L'hôpital et l'université sont deux institutions similaires. Au Québec, elles sont toutes les deux financées et contrôlées par le gouvernement. De plus, si on les regarde de l'intérieur, elles constituent des bureaucraties professionnelles.
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L'hôpital et l'université sont deux institutions similaires. Au Québec, elles sont toutes les deux financées et contrôlées par le gouvernement. De plus, si on les regarde de l'intérieur, elles constituent des bureaucraties professionnelles.

Que sont les bureaucraties professionnelles ? Wikipédia en donne une description sommaire :

« D'après Harry Mintzberg, on entend par là une organisation dotée d'une ligne hiérarchique limitée, d'un sommet stratégique disposant de peu de pouvoirs pour défendre ses options et d'une base opérationnelle pour tout ou partie dotée d'un haut niveau de compétence lui permettant de se dispenser de toute formalisation. En effet, grâce à leur haut niveau de compétence, les professionnels possèdent une large autonomie et détiennent un pouvoir substantiel sur la réalisation de leur travail. »

Appliquons ceci aux universités et principalement aux hôpitaux, deux institutions dominées par des personnes hautement qualifiées.

Un détour par l'université

Dès 1776, Adam Smith, dans les quelques pages de sa Richesse des nations consacrées à l'institution universitaire, avait saisi le rôle dominant du corps professoral :

« Si l'autorité à laquelle il est soumis réside dans la corporation, le collège ou l'université dont il est lui-même membre et dont la plupart des autres membres sont, comme lui, des personnes qui enseignent, ou qui devraient enseigner, il est probable qu'ils feront tous cause commune pour se traiter réciproquement avec beaucoup d'indulgence et que chacun consentira volontiers à ce que son voisin néglige ses devoirs, pourvu qu'il puisse lui-même en faire autant. » (Book V, Ch. I, Article II, Par. 137)

Le principe de la liberté académique permet au corps professoral de s'attribuer une bonne part du budget discrétionnaire de l'établissement et de conserver une autonomie de décision peu commune.

La transposition à l'hôpital

Professeur d'économique au MIT et interniste au Massachusetts General Hospital, Jeffrey Harris publia en 1977 un texte sur l'organisation interne des hôpitaux. Voici une partie du résumé :

« Ce texte examine les implications économiques de la structure des organisations internes de l'hôpital. Il conclut: (1) L'hôpital est en fait deux entreprises distinctes - un personnel médical (ou une division de la demande) et une administration (ou une division de l'offre). Chaque moitié de l'organisation a ses propres gestionnaires, ses objectifs, ses stratégies et contraintes tarifaires. (2) Dans cette double organisation, le personnel médical et l'administration ont concocté un système complexe de règles d'allocation indépendantes des prix. (3) Ce régime d'allocation interne est sujet à des pannes répétées, en particulier lorsque les exigences internes du personnel médical dépassent la capacité à court terme fournie par l'administration... » (p. 467)

Il est permis d'affirmer qu'encore plus qu'à l'université, à l'intérieur de l'hôpital, deux pouvoirs coexistent et sont en perpétuelles négociations. D'un côté, il y a le corps médical qui prend les décisions sur les soins à fournir aux patients, y compris l'admission et la durée du séjour, et qui demande à l'établissement de lui fournir les services qu'il juge utiles au traitement des malades. De l'autre côté, il y a l'administration qui doit rendre disponibles les services sans prendre de décision sur les soins à donner aux patients et qui est de plus soumise aux contraintes et à l'environnement de tout le réseau et du gouvernement.

Cette dichotomie est accentuée par le fait que la plus grande partie de la rémunération des médecins pratiquant à l'hôpital ne provient pas de l'établissement, mais d'un organisme extérieur, la Régie d'assurance maladie du Québec. Il peut même arriver que les méthodes de financement des deux « pouvoirs » aient des incitations contradictoires. Ce sujet mérite d'être approfondi.

Des méthodes de financement contradictoires

L'historique du financement public des services médicaux et hospitaliers se résume sommairement ainsi : la rémunération des médecins repose sur le nombre d'actes effectués tandis que le financement de l`hôpital est basé sur un budget fermé et global, déterminé par une méthode historique.

Les incitations véhiculées par les deux méthodes de financement sont contradictoires. La fermeture du budget implique d'importantes conséquences sur le comportement de l'hôpital. C'est simple : l'usager devient un objet de dépenses plutôt qu'une source de revenus. Pour le médecin, la rémunération dépend au contraire du nombre de services offerts.

Les réformes du financement

Les méthodes de financement ne sont pas immuables. Elles peuvent même évoluer de façon contraire. En 1999, un nouveau mode de rémunération des spécialistes pour les activités en établissement des spécialistes fut instauré : la rémunération mixte. Cette rémunération optionnelle combine salaire et rémunération partielle à l'acte. En 2010, près de 59 % des médecins spécialistes avaient adhéré à ce nouveau mode de rémunération. Il diminue l'incitation à accroître le nombre des actes cliniques et favorise d'autres activités comme l'administration et la recherche.

Qu'en est-il d'une réforme du financement des établissements ? La première recommandation d'un récent rapport est la suivante :

« Le groupe d'experts recommande que le gouvernement procède à un changement majeur dans les modes d'allocation des ressources au sein du système de santé du Québec, en implantant largement le financement axé sur les patients. » (p. 81)

Le rapport ajoute à la Recommandation 5 :

« Le financement des activités chirurgicales au sein d'un établissement serait déterminé par le nombre de chirurgies effectuées et par le tarif établi au niveau national pour chaque type de chirurgie. » (p. 104)

Cet important changement serait un incitatif pour l'hôpital à produire davantage, source de revenus accrus.

Conclusion

À l'université comme à l'hôpital, la présence des « deux pouvoirs » débouche sur une lutte bureaucratique, où l'autonomie professionnelle demeure l'élément fondamental. Les personnes hautement qualifiées désirent conserver une importante autonomie dans leurs décisions, plutôt que d'être soumises à des directives précises de superviseurs. Pour elles, les rigidités inhérentes à la bureaucratie traditionnelle ne conviennent pas.

Les méthodes de financement ont aussi un impact sur la dynamique institutionnelle. Par exemple, le financement universitaire basé sur l'effectif étudiant provoque une course au nombre d'étudiants avec la présence de différentes voies pour faciliter l'obtention d'un diplôme.

Ce billet a aussi été publié sur Libres Échanges, le blogue des économistes québécois.

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