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Doit-on se fier aux données des comptes nationaux?

La question de la précision des données est un important sujet, mais toutefois ignoré. En somme, il n'y a pas de demande, ni de la part du grand public, ni des médias qui répondent à leur clientèle et ni de la part des économistes.
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L'âge est un important facteur dans la division du travail intellectuel : la moins grande énergie défavorise les recherches approfondies sur les priorités actuelles pour laisser la place aux générations plus jeunes et surtout plus sophistiquées et spécialisées. L'âge permet cependant un avantage qui n'est pas toujours apprécié, la référence à des événements et des sources du passé. Ceci reçoit parfois l'étiquette de radotage ou de rabâchage.

Le premier septembre dernier, Statistique Canada publiait dans le Quotidien une information très attendue : «Le produit intérieur brut (PIB) réel a diminué de 0,1 % au deuxième trimestre, après avoir connu une baisse de 0,2 % au premier trimestre». Selon un critère répandu ou populaire, l'économie canadienne serait en récession par la présence estimée de deux trimestres consécutifs de croissance négative.

Au lieu de réfléchir et de discuter avec mes collègues de la conjoncture économique, la faible importance des changements estimés du PIB a porté mon intérêt sur la précision des données trimestrielles des comptes nationaux. Le matin même de la publication des données, je communiquais à mon voisin de bureau, spécialiste de la macro-économie, deux sources ou mieux deux figures qui mettaient en question la précision des données globales. Ce texte les reprend pour attirer l'attention sur la pertinence du sujet.

La réécriture de la récession du début des années 90 en Grande-Bretagne

Comme beaucoup d'autres pays, la Grande-Bretagne connut une récession au début des années quatre-vingt-dix. En 1992, le Blue Book, la publication des comptes nationaux britanniques, montrait que l'économie avait reculé de 4,3 % du pic au creux et qu'il y avait une récession à double creux après une brève reprise à la fin de 1991. (Figure 1) Les dernières révisions montrent une récession d'une moins grande ampleur, soit de moins 2,4 %, et une forte récupération qui fut appréciablement sous-estimée.

Figure 1

Grande-Bretagne : Le profil changeant de la récession des années 1990 et de sa récupération

Note : Le Blue Book, publié depuis août 1952, présente un ensemble complet de comptes économiques (comptes nationaux) pour le Royaume-Uni.

Source: Office for Budget Responsibility. 2013. Forecast Evaluation Report. London: The Stationary Office, p.14 (http://cdn.budgetresponsibility.independent.gov.uk/FER2013.pdf)

La gravité surestimée de la récession dans les statistiques officielles aurait pu avoir un impact politique : en Grande-Bretagne, 1992 fut une année électorale. Malgré des sondages qui leur étaient défavorables, les conservateurs furent réélus pour un quatrième mandat.

Une illustration démesurée

La deuxième édition publiée en 1963 du livre d'Oskar Morgenstern, On the Accuracy of Economic Observations, demeure encore pertinente malgré la poussière qu'elle accumule dans les rayons de bibliothèques. Elle y présente une figure qui attire l'attention en bonne partie par le recours à un estimé exagéré de la marge d'erreur des données publiées, soit ± 10 %.

La figure [2] montre les implications d'un pourcentage d'erreur de ± 10 % dans les chiffres trimestriels désaisonnalisés du revenu national. Entre les zones ombrées se trouve la zone d'incertitude entourant les chiffres. Aucune évolution d'un trimestre à l'autre n'est significative à l'intérieur de cette zone. Les évolutions persistant pour plusieurs trimestres sont rarement significatives. En gros, les chiffres du revenu national apportent peu de précision à la connaissance du cycle économique d'après la guerre, ses points de retournement étant repérés par des petites flèches ainsi que le montre le profil possible différent du revenu national tracé en pointillé, ses points de retournement étant repérés par des étoiles. Ce chemin alternatif n'est en aucun sens « correct »; mais le fait est que nous ne savons pas où devrait se trouver la statistique à l'intérieur de la région. (Morgenstern 1972 : 246)

Figure 2

Zone d'incertitude des statistiques du revenu national, 1946-1961

Source: Morgenstern, O. 1972. Précision et incertitude des données économiques. Paris : Dunod, p. 247. (XX_CNE-Prospective_000687.pdf)

Le pourcentage d'erreur de ± 10 % utilisé par Morgenstern apparaît comme fort élevé ou exagéré; à sa décharge, cet estimé avait été proposé par le père de la comptabilité nationale, Simon Kuznets. Une figure assez similaire pourrait toutefois être tracée avec une marge plus réaliste de ± 2 ou 3 %.

Conclusion

La question de la précision des données est un important sujet, mais toutefois ignoré. En somme, il n'y a pas de demande, ni de la part du grand public, ni des médias qui répondent à leur clientèle et ni de la part des économistes.

Une bonne illustration de cette affirmation est le traitement accordé aux données mensuelles de l'Enquête sur la population active : combien de fois fait-on référence à l'erreur-type qui accompagne chacune des nombreuses données de cette enquête et qui rend non significatives maintes variations mensuelles?

Ce billet a aussi été publié sur Libres Échanges, le blogue des économistes québécois.

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Mai 2017

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