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La division du travail dans le développement des connaissances

L'avancement en âge n'apporte pas nécessairement la sagesse, mais plutôt une plus grande liberté à formuler de grandes questions sans l'obligation d'y fournir des réponses. Ce blogue se demande où est la place des institutions périphériques, comme les nôtres, dans la division internationale du travail reliée au développement des connaissances.
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Ce billet a aussi été publié sur Libres Échanges, le blogue des économistes québécois.

L'avancement en âge n'apporte pas nécessairement la sagesse, mais plutôt une plus grande liberté à formuler de grandes questions sans l'obligation d'y fournir des réponses. Ce blogue se demande où est la place des institutions périphériques, comme les nôtres, dans la division internationale du travail reliée au développement des connaissances.

Pour l'économiste, le concept de la division du travail renvoie à l'exemple de la fabrication d'épingles, utilisé dans les premières pages de sa Richesse des nations (1776) par le « père » de la science économique, Adam Smith. Son troisième chapitre a le titre suivant : Que la division du travail est limitée par l'étendue du marché. Dans le domaine du développement des connaissances, l'étendue du marché est fort vaste, ce qui facilite la spécialisation.

Le monde académique et la division du travail

La réflexion sur une question est généralement simplifiée en prenant l'exemple d'une autre société. Ainsi, qu'en est-il de cette division du travail dans le monde académique américain ? Pour William Bowen, c'est un sujet tabou. Cet économiste s'y connaît puisqu'il exerça de longs mandats comme président de Princeton University et aussi d'une Fondation consacrée aux problèmes de l'enseignement supérieur.

Voici ce que Bowen affirmait récemment :

« Retour aux implications de la poursuite incessante de la réputation. Un problème spécifique - une source précise de la pression à la hausse sur les coûts que j'attribue, nullement avec une faible importance, aux guerres de statut - est la prolifération et à certains moments le soutien excessif des programmes d'études supérieures d'un statut médiocre dans des domaines telle la physique. Neil Rudenstine et moi avons discuté de ce problème en détail dans un livre que nous avons écrit il y a quelques années (In Pursuit of the PhD), et il n'existe aucune preuve qu'il s'est fait quelque chose, mais le problème est depuis devenu plus sérieux.

Robert M. Berdahl, quand il était président de l'Association of American Universities, avait courageusement demandé : « Combien d'universités de recherche la nation a-t-elle besoin?... Je ne sais pas combien nous devrions en avoir. Mais c'est une grave question qui mérite d'être examinée.» La question exploratoire de Berdahl mena à une évaluation sur deux ans mandatée par le Congrès sur les menaces financières des universités de recherche du pays. L'étude n'a toutefois pas répondu à la question centrale de Berdahl - qui est, certes, très sensible. William (« Brit ») Kirwan, chancelier de l'University System of Maryland, a appelé cela une occasion manquée pour répondre à ce point précis de manière plus explicite. Je suis d'accord. » (Bowen, 2012 : 9)

La division du travail dans le milieu académique n'est pas ici à l'agenda, s'identifiant en effet à un sujet tabou.

L'application à mon univers

Comment la division internationale du travail dans le développement et la transmission des connaissances doit-elle s'incarner dans un département d'économique comme le mien, qui n'est pas classifié parmi les cent premiers au niveau mondial ? Quelles pondérations devrait-on accorder aux différentes activités, ou produits, du corps professoral lors des embauches et des promotions ?

Les tâches d'un universitaire sont multiples et se situent à différents niveaux. Le prestige rattaché à une publication académique varie énormément, en relation avec les estimations des degrés d'impact des revues. Doit-on privilégier les publications dans des revues de premier ordre et complètement négliger les études à portée plus locale qui s'intéressent à l'application des connaissances disciplinaires au milieu ? De même, l'activité d'enseignement se situe à des niveaux très différents avec une qualité aussi très variable.

Il est donc compliqué d'établir des critères ou pondérations valables pour apprécier le travail d'un membre d'un département universitaire. Il faut aussi tenir compte d'au moins trois autres facteurs. Premièrement, un certain degré d'hétérogénéité du corps professoral permet un meilleur rendement de l'ensemble. De plus, un département universitaire fait partie d'une institution qui établit ses propres priorités. Elle peut privilégier le travail multidisciplinaire même si cela implique un intérêt moindre pour les membres d'une discipline. Enfin, si on prend comme exemple la présente situation en Ontario, les universités peuvent bientôt entrer dans une phase de remise en question et de réorientation.

En somme, comme une entreprise, un département doit se trouver une niche dans un monde ouvert et changeant.

Les politiques scientifiques canadiennes

Pour l'exercice 2011-2012, les dépenses du gouvernement fédéral pour le soutien à l'innovation en entreprise ont atteint environ 6,44 milliards de dollars, répartis entre plus de 100 programmes et instituts. (Industrie Canada, 2011 : 3-3). La question demeure : comment établir une telle politique pour une petite économie ouverte ?

Une information, d'apparence anodine, illustre les difficultés. Trois Canadiens ont obtenu le prix Nobel d'économie depuis sa création en 1969 : William Vickrey en 1996, Myron Scholes en 1997 et Robert Mundell en 1999. Tous les trois ont conservé leur nationalité canadienne tout en faisant carrière dans les universités américaines.

L'OCDE résume ainsi la situation canadienne en innovation :

« Le lourd déficit technologique de la balance des paiements et le grand nombre de brevets détenus conjointement avec des inventeurs étrangers signalent probablement le fait que l'économie canadienne se distingue sur le plan structurel par une forte filialisation industrielle, c'est-à-dire par le rôle moteur de filiales qui puisent souvent dans les technologies fournies par leur société-mère aux États-Unis. L'innovation pourrait ainsi être considérée comme un avantage comparatif des États-Unis, le Canada important la R-D du chef de file technologique et fournissant à des fins d'exportation des ressources et des biens semi-finis issus de ces ressources.» (OCDE, 2012 : 68)

De plus, les entreprises innovantes se développent moins localement, mais elles sont plutôt systématiquement acquises par des firmes étrangères qui leur offrent certaines complémentarités.*

Conclusion

La question suivante mérite d'être constamment à l'esprit pour tous les secteurs, et, tout spécialement, pour celui du développement des connaissances : où est la place de l'organisme dans la division internationale du travail avec une économie ouverte et placée dans un univers risqué et instable ?

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*Consulter à cet effet l'étude de Carpentier et Suret (2013). Comme le souligne une récente publication de l'OCDE, les firmes multinationales peuvent recourir à la planification fiscale :

« L'allégement de la fiscalité pour la R & D, lorsqu'on tient compte de la planification fiscale transfrontalière des entreprises multinationales, pourrait bien être plus grand que les gouvernements prévoyaient lorsque leurs incitations fiscales à la R & D ont été conçues. Les pays peuvent perdre les recettes fiscales sur la production de la R & D subventionnée et de perdre aussi les externalités domestiques des connaissances associées à la production. Nous devons également reconnaître le risque que la plus grande dépendance des pays sur des incitations fiscales pour stimuler la R & D augmente le montant de la perte des revenus fiscaux sans une augmentation proportionnelle de l'innovation.» (OCDE, 2013 : 17)

Bibliographie

Bowen, W. J. 2012. The 'Cost Disease' in Higher Education: Is Technology the Answer ?. New York NY: Ithaka (disponible à http://www.ithaka.org/sites/default/files/files/ITHAKA-TheCostDiseaseinHigherEducation.pdf)

Carpentier, C. et J.-M. Suret. 2013. La migration des sociétés technologiques émergentes canadiennes : une analyse exploratoire, Montréal : Autorité des marchés financiers du Québec (disponible à http://www.lautorite.qc.ca/files/pdf/fonds-education-saine-gouvernance/valeurs-mob/rapport-migration-societe-technologiques-sc1139.pdf).

Industrie Canada. 2011. Innovation Canada : le pouvoir d'agir. Ottawa (disponible à http://examen-rd.ca/eic/site/033.nsf/vwapj/R-D_InnovationCanada_Final-fra.pdf/$FILE/R-D_InnovationCanada_Final-fra.pdf).

OCDE. 2012. Études économiques de l'OCDE : Canada 2012. Paris : Éditions OCDE.

OCDE. 2013. Supporting Investment in Knowledge Capital, Growth and Innovation. Paris : Éditions OCDE.

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