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Monsieur mon ami... juste savoir que t'es pas mort

Parfois, pour toutes sortes de raisons, une amitié s'étiole, finit par se rompre. Mais un ami commun ou le fil de nouvelles de Facebook sont là pour nous conforter. Quand l'ami en question est une sorte d'ermite, on fait quoi?
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Un matin de la semaine dernière, je me suis réveillée en sursaut avec son prénom qui résonnait dans ma tête. Hugues, Hugues, Hugues. Une urgence. Je réalisais que je n'avais plus de ses nouvelles depuis des semaines, voire des mois! N'avais-je pas oublié de lui souhaiter la bonne année? Ingrate. Alors je lui ai envoyé un courriel. Deux. Puis trois.

Sans réponse.

Jamais il ne m'a donné son numéro de téléphone. Quoique... je ne lui ai jamais demandé. Je ne lui connais aucune famille. Il m'a bien évoqué une vieille tante demeurant à Québec, mais... J'ignore même s'il a des amis! Je ne saurais dire où il habite. Près de Côte-des-Neiges...? À moins qu'il m'ait plutôt parlé de Côte-St-Luc? J'ai toujours mélangé ces deux rues. Aux dernières nouvelles, il galérait toujours pour se trouver un emploi.

Que lui est-il arrivé? Parfois, pour toutes sortes de raisons, une amitié s'étiole, finit par se rompre. Mais un ami commun ou le fil de nouvelles de Facebook sont là pour nous conforter. On apprend que la personne a obtenu une promotion, est enceinte, en voyage... On garde l'essentiel. Un minimum. Quand l'ami en question est une sorte d'ermite, on fait quoi? On fait comme l'anxieuse chronique que je suis et on s'imagine le pire: la mort, l'itinérance.

J'ai rencontré Hughes à peu près à cette période de l'année, en 2008. Au temps où j'endurais tant bien que mal une carrière en gestion de la construction. J'avais trente ans et lui, quelque cinquante. Un architecte. Un monsieur. Un vieux.

À la fin d'un projet commun, il avait été mis à pied. Ça m'avait surprise. Il semblait pourtant compétent. Il m'avait dit avoir été enchanté de notre collaboration. Qu'il avait rarement vu une personne aussi organisée. Qu'il allait m'écrire de temps à autre... si je lui permettais. Honnêtement, j'en avais rien à foutre. Mais si ça pouvait lui faire plaisir...

Dès lors, mensuellement, il s'est mis à m'écrire. M'informait de sa recherche d'emploi infructueuse. Me suggérait un livre, un article, une recette. Je découvrais l'épicurien en lui. Hughes aimait le bon, le beau. Savait la qualité et détectait toute forme de faux-semblant. Il cuisinait du magret de canard, de la ratatouille, de l'osso bucco et ça m'impressionnait. J'ai fini par prendre l'habitude de lui détailler mes menus lorsque je recevais. Lui demander conseil pour le choix d'une sauce, d'une entrée. Il n'en fallut pas long pour qu'il ne se passa plus une semaine sans que quelques mots ne s'échangent.

Après deux ou trois ans de fidèle correspondance où chacune de ses missives débutait par «Bonjour Geneviève-Fille» (aucune idée de l'origine du sobriquet), je lui ai proposé d'aller boire un café. C'est seulement au moment où mon conjoint m'a demandé avec qui je sortais cet après-midi là que j'ai réalisé l'étrangeté de ma relation quasi épistolaire.

«Bein euh... Je vais boire un café avec un... un genre d'ancien collègue. Un monsieur. Un vieux. On s'écrit régulièrement depuis longtemps... C'est... c'est ça là.»

J'ai un bon chum, il n'a rien ajouté. Moi par contre, je me suis questionnée à savoir qui était Hugues au juste. Un ami que je connaissais peu et que je ne voyais jamais? Une connaissance à qui j'écrivais plus souvent qu'à ma meilleure amie? Trop bizarre.

Nous étions en mai. Ou peut-être en juin... Définitivement trop chaud pour le pantalon en corduroy et le trench-coat gris qu'il arborait. Je lui trouvais un look de vieil Anglais. Il a commandé un café noir et allumé une cigarette qui m'a semblé dégager le plus épais des nuages de fumée. Mais après avoir remarqué les petits bouts de poumon qui se dispersaient sur la table à chacune de mes quintes de toux, il a cessé sa consumation et nous sommes partis arpenter la section architecture d'une librairie pendant une heure entière.

Ce genre de rencontre a dû avoir lieu deux ou trois fois durant les années suivantes. Je lui ai même présenté mon fils lorsqu'il avait quelques mois. En fait, c'est la dernière fois que je l'ai vu. Un discours amer et une aura de tristesse émanaient alors de lui. Était-il malade? Plus découragé de ses difficultés financières qu'il ne voulait bien le laisser croire?

Inquiète. Je suis inquiète et je vous demande d'ouvrir l'œil. Vous pourriez facilement le reconnaître. Hughes, il est grand. Au moins six pieds. Il a une démarche rapide et fait des pas de géant. À l'épaule, son sac à dos gris tout élimé ne contient qu'un paquet de cigarettes et de vieux bouquins jaunis. Il est presque chauve. Doit maintenant avoir la soixantaine. Et... et voilà. Vous en savez autant que moi. Si jamais vous le voyez, dites-lui que «Geneviève-Fille» s'ennuie et que... je veux juste savoir qu'il... qu'il est par mort. Plutôt... qu'il est vivant.

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