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Que reste t-il dans nos mémoires du génocide arménien?

L'année de commémorations du centenaire du génocide arménien se termine. J'espère qu'à travers l'histoire de ma mère et de ma grand-mère, ce récit donnera une note d'espoir à ceux qui, malheureusement, vivent à leur tour les douleurs de la persécution, de l'errance et de l'exil.
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CULTURE - L'année de commémorations du centenaire du génocide arménien se termine. La mémoire est à vif, sur une plaie qui ne se referme pas. Le génocide des Arméniens n'a jamais été reconnu par aucun gouvernement turc. La blessure reste ouverte sur l'entêtement d'un négationnisme d'état. En 1915, 1.500.000 Arméniens de l'Empire ottoman ont péri. Ils ont été déportés, assassinés, violés, torturés, dépouillés, sous le sabre turc et les survivants se sont exilés de par le monde. L'oubli a permis le renouvellement de la barbarie. A l'aube du XXIe siècle, il fallait raconter pour ne pas oublier, pour que le génocide arménien soit connu et reconnu. Nous assistons encore aujourd'hui à l'extermination des chrétiens d'Orient et à la barbarie de Daech.

Ce livre, je l'ai écrit avec l'encre de mon âme

A la mort de ma mère, j'ai ressenti le besoin impérieux d'écrire. Dans le silence de la nuit, j'ai noirci des pages et des pages de cahier d'écolier. J'ai retracé l'histoire que m'a racontée ma mère au soir de sa vie, celle qui a bercé aussi mon enfance et que j'ai enregistrée au fil des ans. Puis, j'ai collationné les documents, j'ai recherché les photos anciennes. A travers elles j'ai retrouvé les senteurs, les parfums d'orient de Trébizonde, d'Amasya, d'Alep, de Constantinople, où ont vécu mes parents.

Tout commence à l'été 1915, à Trébizonde, leur ville de naissance. Les Arméniens sont rassemblés au milieu de la ville, les hommes sont fusillés, les femmes et les vieillards envoyés en déportation. 300 enfants sont jetés dans des sacs de toile et noyés dans la mer noire. Ma mère sera sauvée miraculeusement par un Turc qui, ayant travaillé dans l'usine de mon grand-père, ne peut passer à l'acte et laisse la petite fille dans un sac sur le rivage.

Un soldat en permission la découvre et l'emmène dans sa famille où elle vivra des heures sombres. Les parents du soldat ne lui portent aucune affection. Elle partira ensuite dans un orphelinat à Oropos, en Grèce. Les responsables de l'institution la nommeront "Azad" qui signifie liberté...

Séparée brutalement de sa fille, ma grand-mère Achrène est envoyée sur le chemin de la déportation. Une nuit, elle accouche d'un petit garçon. Alerté par le cri du bébé, l'un des soldats l'assassine en lui mettant de la terre dans la bouche. Folle de chagrin, ma grand-mère se sauve du convoi. Elle marche pendant deux ans et demi pour atteindre Constantinople.

Après cette tragédie, ma grand-mère réussit à rejoindre la France. Elle apprend par un journal arménien qu'une centaine d'orphelines venues de Grèce sont recueillies dans un lycée marseillais. Il ne lui reste que très peu d'espoir de retrouver sa fille, mais elle pense pouvoir peut-être adopter une petite orpheline.

Et là, un miracle s'accomplit... Douze petites filles d'une huitaine d'années vêtues de tabliers noirs se présentent. Dans le silence, un cri s'élève, et l'une d'entre elles se précipite vers ma grand-mère en criant "maman".

Après ces retrouvailles inespérées, mère et fille ne se quittent plus. Elles apprennent à se connaître au fil des ans dans une relation fusionnelle. Leur vie se poursuit à Paris, et c'est la renaissance pour ces êtres exilés, déracinés.

Le fil indestructible de la vie

Curieusement, au fil des pages, je me suis aperçue que sont les femmes qui ont survécu, ce sont elles qui ont enfanté, ce sont elles qui ont transmis, ce sont elles qui ont vaincu. Elles ont été blessées, battues, vendues, violées, déportées, on a tenté d'effacer leur mémoire (et parfois, on a réussi), mais ce sont elles, ces Arméniennes miennes, qui ont fait vibrer les cœurs et qui sont les héroïnes de mon récit.

Ma vie a été ancrée dans la force, le courage de ces femmes qui ont lutté sans jamais renoncer. Elles m'ont tout appris: ne jamais se plaindre, ne jamais faillir, toujours transmettre. Il est vrai que dans les familles arméniennes, le "matriarcat" est toujours présent. Les femmes, courageuses, volontaires, ont été le ciment de la famille et de la transmission orale du génocide. Chez les miens, mon père s'est réfugié pour survivre dans le silence absolu...

La transmission doit s'effectuer aussi par la connaissance. Depuis un siècle, la communauté arménienne de France parle du génocide. Au début, c'était à travers son église et le témoignage des survivants. Puis les médias arméniens se sont mobilisés et la parole diplomatique s'est fait entendre. Cela n'a pas empêché les différents gouvernements turcs qui se sont succédé de perpétuer un négationnisme d'état. Cette épuration ethnique ne figure même pas dans les livres d'histoire en Turquie...

En France, nous sommes peut-être longtemps passés à côté de ce drame à cause de la Première Guerre mondiale. En 1915 les Français étaient dans les tranchées, préoccupés par ce terrible conflit qui s'installait. Les massacres des Arméniens étaient loin. Cette année, avec les célébrations du centenaire, la France a beaucoup fait pour que cette part sombre de notre histoire soit mieux connue et reconnue.

J'espère qu'à travers l'histoire de ma mère et de ma grand-mère, ce récit donnera une note d'espoir à ceux qui, malheureusement, vivent à leur tour les douleurs de la persécution, de l'errance et de l'exil.

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Gaya Guérian - L'Arménienne Ed. XO

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