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Pour en finir avec le cynisme

Le mot cynisme et ses dérivés ont presque toujours une connotation péjorative chez ceux qui les emploient. On dit des gens qu'ils sont devenus cyniques face à la politique, à l'amour ou bien à ce qu'il reste de nos bonnes moeurs. On ne veut certes pas dire qu'ils sont devenus lucides en disant cela. On signifie simplement qu'ils sont aigris, méprisants et... cyniques.
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Le mot cynisme et ses dérivés ont presque toujours une connotation péjorative chez ceux qui les emploient. On dit des gens qu'ils sont devenus cyniques face à la politique, à l'amour ou bien à ce qu'il reste de nos bonnes moeurs. On ne veut certes pas dire qu'ils sont devenus lucides en disant cela. On signifie simplement qu'ils sont aigris, méprisants et... cyniques.

Il y a probablement un peu de mépris dans le cynisme tel qu'il est apparu en Grèce il y a 25 siècles. C'était parmi un groupe restreint de philosophes anticonformistes qui passeraient pour des hippies, des punks ou même des chiens de nos jours. Bref, ils étaient des trouble-fête.

Cynique origine du mot κύων / kuôn qui signifie chien en grec ancien. Je ne m'empêtrerai pas dans une longue explication étymologique à ce sujet. Pour faire court, disons que les cyniques se comportaient comme des chiens, au sens malpropre comme au sens figuré. Ils tenaient des propos mordants qui bousculaient tout ce qu'on tenait pour vrai par habitude ou mollesse d'esprit.

Le cynique le plus célèbre est certainement Diogène. On prétend qu'il vivait dans un tonneau ou bien une jarre. Un contenant, à tout le moins, qui était situé aux portes d'Athènes dans ce qu'il convient d'appeler un dépotoir.

Originaire de Sinope, Diogène aurait fabriqué de la fausse monnaie dans sa jeunesse avant que de tout balancer pour vivre à la bonne franquette, avec un drap troué autour du corps et rien d'autre dans les poches. On pourrait dire qu'il était devenu un itinérant. Il semble cependant qu'il ait écrit plusieurs traités. Aucun d'entre eux n'est parvenu jusqu'à nous. De gentils chrétiens ont brûlé la grande bibliothèque d'Alexandrie au quatrième siècle de notre ère. Il ne nous est donc resté que des bribes de la sagesse véhiculée par Diogène par l'entremise de Plutarque et d'autres commentateurs moins célèbres.

C'était sans aucun doute un original ce Diogène. On a l'impression qu'un coup de gueule n'attendait pas l'autre. Il défaisait tout ce que de ridicules tâcherons de la philosophie tentaient de construire à l'aide de théories ronflantes et de préjugés sociaux.

Diogène vivait à la même époque que Platon qui réunissait des foules qui ne devaient pas manquer de lui verser une obole pour bénéficier de sa soi-disant science.

Un jour, Platon aurait affirmé que l'homme était un animal bipède sans plumes. Les jours suivants, on imagine tous ses disciples ravis par cette formule avec laquelle ils croyaient sans doute tenir un levier pour soulever le monde. L'homme est un animal à deux pattes sans plumes: c'est frais, facile à comprendre et tellement vrai!

Or, cela vint aux oreilles de Diogène qui devait traîner dans ce coin-là. Lorsqu'il le sut, il se présenta tout bonnement devant Platon et ses disciples.

- J'ai trouvé l'homme de Platon!, déclara Diogène. C'est un poulet sans plumes!, ajouta-t-il en balançant un volatile déplumé devant l'assemblée médusée.

25 siècles plus tard, on en rit encore. Pourtant, on continue d'enseigner Platon à l'école. Si l'on avait recopié les traités de Diogène plus souvent, on n'en serait pas là.

Comme c'est le cas pour le bouddhisme zen et les autres philosophies orientales, le cynisme regorge d'anecdotes percutantes susceptibles de nous allumer. L'illumination n'atteindra pas tout un chacun puisqu'il est difficile de résister à la farce de l'habitude.

On prétend qu'Alexandre le Grand lui-même, celui qui a fondé la bibliothèque d'Alexandrie incendiée par des crétins, serait allé à la rencontre de Diogène pour bénéficier de sa sagesse. On suppose que le maître d'Alexandre, Aristote, lui aurait glissé un bon mot à propos de ce chien vagabond.

- Que puis-je faire pour toi?, lui aurait-il demandé lorsqu'il alla le retrouver dans son dépotoir.

- Ôte-toi de mon soleil. Tu me fais de l'ombre, aurait répondu Diogène.

On dit aussi qu'il lui aurait signifié qu'il était plus libre que lui.

- Si je me promène tout nu sur un champ de bataille, on ne songera même pas à me faire du mal et on me traitera, au pire, comme un chien errant. Tandis que toi, avec ton armure et ton épée, tu seras bientôt entouré de dizaines de guerriers prêts à t'égorger. C'est qui le cave, hein?

Diogène n'a pas tout à fait dit cela. Mettons que ça ressemblait à quelque chose du genre.

Sa réputation de sagesse était sans doute un peu surfaite. Par contre, il arrivait qu'un conquérant comme Alexandre ou bien un pauvre type l'approche pour bénéficier de ses lumières.

Un jour, un jeune homme souhaita devenir le disciple de Diogène. Diogène lui dit tout bonnement de s'accrocher un vieux poisson pourri dans le dos et de le suivre. Le jeune homme s'accrocha une vieille carpe dans le dos et le suivit toute la journée sous le chaud soleil d'Athènes. À la fin de la journée, écoeuré tant par l'odeur fétide du poisson pourri que par le silence de son maître, le disciple prit la décision de tout lâcher.

- Que fais-tu là?, lui demanda Diogène.

- Je m'en vais! J'ai passé toute la journée à vous suivre avec un poisson pourri dans le dos et vous ne m'avez jamais accordé la moindre attention! Je n'ai rien appris! Nah!

- Comment ça, tu n'as rien appris? Ce matin, tu étais prêt à me suivre partout avec un poisson pourri accroché dans ton dos... Et maintenant que tu t'en vas, ne vois-tu pas que je viens de t'apprendre à devenir ton propre maître?

Et voilà le travail! L'histoire ne nous dit pas ce qu'il advint de ce disciple déçu. Peut-être se tourna-t-il vers Platon et ses poulets à deux pattes sans plumes. J'aime à croire qu'on ne la lui faisait pas deux fois. Par contre, je vois tellement de gens avec des poissons pourris accrochés dans leur dos autour de moi que je ne vois pas pourquoi le monde antique aurait été tellement différent du nôtre... On se promène avec une religion ou une idéologie politique pourrie dans le dos sans sourciller, sans s'offusquer de son odeur de putréfaction...

Le cynisme, à ce compte-là, ne me semble aucunement péjoratif. C'est un satori, pour reprendre encore une fois la terminologie des bouddhistes zen, un appel à clarifier le monde et ses idées.

Personne ne voudrait évidemment vivre dans un dépotoir pour se donner raison de penser que tout le monde a tort. Moi le premier. Je n'offre qu'un sourire en coin aux théories bidon qui bouleversent mes contemporains. J'éteins parfois mon anticonformisme par commodité, voire par lâcheté. Je fais humhum, haha, hunhun. J'acquiesce aux imbécillités courantes. Comme à peu près tout le monde, parce que nous ne sommes pas tout à fait des chiens, mais seulement des hommes avec toute la stupidité que cela suppose.

Cela ne m'empêche pas de trouver un peu grossier de traiter de cynique quelqu'un qui voit clair, même si le cynisme n'est pas une insulte en soi. Je ne pense pas que mes contemporains laissent entendre que les gens soient cyniques avec la politique, l'amour et la tarte aux pommes pour de bonnes raisons.

Pour ceux qui voudraient en savoir plus, nous avons la chance qu'un chercheur de l'Université d'Ottawa se soit consacré à colliger tous les fragments touchant de près ou de loin au cynisme en tant que philosophie antique. Ce livre est un incontournable pour aller s'abreuver à la source vive du cynisme. Je vous le recommande. La notice complète est ici: Léonce Paquet, Les cyniques grecs. Fragments et témoignages(Collection « philosophica », 4). Presses de l'Université d'Ottawa, 1988.

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