Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Mon père était vraiment le père Noël

Oui, le père Noël existe encore. C'est probablement un type qui a besoin d'argent parce qu'il est en grève ou bien au chômage depuis longtemps. N'oubliez pas de lui laisser un pourboire lorsque vous le verrez.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Le père Noël a déjà existé. Il ressemblait vraiment à l'image que l'on se fait de lui: un grand et gros bonhomme, solide sur ses pattes, qui aimaient les enfants. Je l'ai vu partir au travail à tous les jours avec sa longue barbe blanche, ses habits rouges et blancs et ses bottes noires. Il dormait chez-nous, dans le lit de ma mère, imaginez-vous donc!

Vous aurez sans doute compris que mon père gagnait sa vie en faisant le père Noël un peu partout où le bon vent l'emmenait, dont à l'ancien magasin Zeller's de la rue des Forges à Trois-Rivières où il trônait pendant les heures d'ouverture.

Mon père était en grève cette année-là. Il travaillait à cette époque à la Reynold's Aluminium Company, à Cap-de-la-Madeleine. Il y était opérateur de pont roulant. Cette usine avait la triste réputation d'offrir les plus bas salaires pour les travailleurs du secteur nord-américain de l'aluminium.

Je me rappelle que ma mère nous avait fait mettre à genoux, moi et le plus jeune de mes frères, pour égrener un chapelet en famille.

-Prions pour que votre père ne tombe pas en grève! nous avait-elle dit.

Nous n'y comprenions pas grand-chose, évidemment. Nous avions à peine 12 ans et tout cela nous semblait hors d'entendement. Nous avons donc récité sans convictions les prières de rigueur pour éloigner la grève et la misère de notre humble logis aux planchers tout croches.

Mon père revint de son assemblée syndicale alors que nous étions encore en train de prier à genoux. Il était fulminant de rage et brandissait fièrement une pancarte de la CSN.

-Les boss! Les boss! Les hosties d'boss! scandait-il.

Ma mère était au désespoir. Pour tout dire, j'étais plutôt amusé. Je ne savais pas vraiment ce que la grève et la misère représentaient. Néanmoins, je voyais bien que mon père se tenait debout. Cela me semblait moins épuisant que de s'agenouiller. Et puis cette révolte contre l'autorité faisait passer mon père pour une sorte de chevalier sans peur et sans reproche, un rôle bien masculin que ma pauvre mère n'arrivait pas à comprendre. Mon père combattait le dragon du capitalisme sauvage...

- Comment qu'on va faire pour arriver bonté divine?, s'inquiéta-t-elle.

- On s'débrouillera!, répliqua mon père. Y'a des limites à c'que les chiens d'la Reynold's se crissent de nous autres!

Nous nous sommes mis à répéter les slogans de mon père au grand dam de ma mère décontenancée.

- Reynold's! Reynold's! Mange d'la marde t'auras pas notre peau!!!

Les semaines puis les mois passèrent. La grève était plus dure et plus longue que les travailleurs syndiqués ne l'auraient cru. Des grévistes perdaient leur automobile, puis leur femme et leur maison. Certains allèrent jusqu'à se pendre dans leur remise.

Mais pas mon père. Il ne se laissait pas abattre. Le chèque de grève n'était pas gros. Mon père effectuait donc mille et un travaux pour subsister aux besoins de sa famille: concierge, agent de sécurité et, bien sûr, père Noël... Ma mère y mettait aussi du sien en faisant des ménages, des travaux de couture et tout ce qui pouvait arrondir les fins de mois. Nous traversions une période difficile, mais nous ne nous en rendions pas trop compte. Tous les enfants étaient pauvres autour de nous. Cela nous semblait naturel. Nous mangions plus souvent des rognons et des frites arrosés de ketchup. Nous n'allions pas souvent au cinéma. Nous avions Patof et Bobino.

J'ose à peine me représenter la rage et l'humiliation que mes parents ont dû subir pour demeurer juste un petit peu à la surface.

J'ai le souvenir encore très vif de la fois où nous sommes allés voir mon père Noël chez Zeller's. Des tas d'enfants passaient sur les genoux du gréviste qui leur promettait plein de beaux cadeaux s'ils étaient sages. Lorsque vint notre tour de grimper sur ses genoux, le père Noël devint nettement plus réaliste.

- Le père Noël est en grève cette année... II va faire c'qu'il peut pour vous faire un cadeau... En autant qu'il y ait de quoi dans l'frigidaire...

Je ne me souviens pas quel fut mon cadeau cette année-là. J'ai certainement reçu quelque chose. Était-ce un G.I. Joe? Un jeu de Lego? Des albums d'Astérix? C'est très vague dans ma tête.

Ma mère avait tout de même réussi à produire ses tourtières, tartes, beignets, sucres à la crème et bonbons aux patates du temps des Fêtes. Je ne me souviens pas d'un Noël où nous avions jeûné. Comment ont-ils fait? Je n'en sais rien.

La grève prit fin quelques mois plus tard. Le père est retourné à l'usine. Il a grimpé dans son chariot roulant comme Fred Caillou dans sa grue. Les blessures se sont refermées. Les cadres de la Reynold's ont été remplacés par des gestionnaires plus conciliants et moins provocateurs. Il y eut comme une accalmie et de grosses tranches de fromage frais sur la table.

Les années passèrent. Je devins moi aussi grand et gros comme mon père. Ce qui me valut un beau 80 dollars vite fait pour incarner le père Noël lors d'une fête quelconque dans une maison pour personnes âgées...

Oui, le père Noël existe encore. C'est probablement un type qui a besoin d'argent parce qu'il est en grève ou bien au chômage depuis longtemps. N'oubliez pas de lui laisser un pourboire lorsque vous le verrez.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Le Père Noël n'a pas réussi à rendre ces enfants heureux

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.