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La méthode d'enseignement d'Alexis Klimov

Peut-être qu'il y a lieu de revoir les méthodes d'enseignement. Pas nécessairement pour tout le monde... Il faut bien que nos institutions fassent de nouvelles victimes.
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«Exister, c'est s'adapter. Vivre, c'est oser» - Alexis Klimov, Terrorisme et beauté

La critique des institutions, quelles qu'elles soient, est l'un de mes thèmes récurrents. Au lieu de dire que j'ai mes raisons, je préfère mettre à l'avant-scène mes intuitions. Ce sont elles qui m'ont appris à me dissocier des institutions religieuses, politiques et même sociales.

Je ne vaux pas mieux qu'un autre. Je ne me crois pas le meilleur. Je n'incite personne à penser comme moi et à suivre mon chemin. Je me permets tout bonnement de commenter ce que mon instinct me dicte.

J'ai toujours été marginal. Je ne sais pas si je dois en tirer une quelconque fierté et ne souhaite à personne de devenir comme moi. Par contre, cette marginalité explique sans doute mon mépris des institutions, du conditionnement et du formatage intellectuel.

J'ai suivi les chemins les moins fréquentés par pure curiosité. Je suis même allé voir de l'autre côté du miroir pour contempler autre chose que mon propre reflet.

Dès l'école primaire, j'ai ressenti que l'école n'allait pas assez vite pour moi. C'était la plupart du temps soporifique.

Je m'emmerdais en classe. Je passais mon temps à dessiner et à lire toutes sortes de trucs pendant que mes professeurs déblatéraient. J'avais cette faculté bien précieuse de capter ce qui se disait en classe tout en concentrant mon attention ailleurs. Je ne me sentais bien qu'à la bibliothèque, seul devant des tas de livres.

J'ai ressenti dans ma chair et mon âme la profonde ignorance de plusieurs de mes instituteurs ou, si vous préférez, l'incurie de nos institutions d'enseignement.

Cela ne s'est pas amélioré en vieillissant. J'ai fréquenté encore plus de bibliothèques et encore plus de livres conséquemment. Je suis devenu une sorte d'exilé de l'intérieur, un décrocheur scolaire qui faisait semblant de s'accrocher et de décrocher ses diplômes.

Les cours magistraux m'ennuyaient profondément. J'allais à la bibliothèque emprunter les manuels des professeurs pour prendre de l'avance et me conférer le droit de dessiner des gros nez en classe. J'obtenais de bonnes notes et étudiais peu. Je lisais ce qui devait être lu et surtout ce qui ne devait pas l'être pour devenir une copie conforme institutionnalisée.

Cela m'a causé quelques ennuis, bien entendu. J'ai ressenti dans ma chair et mon âme la profonde ignorance de plusieurs de mes instituteurs ou, si vous préférez, l'incurie de nos institutions d'enseignement.

Je me suis rebellé contre l'école, contre l'Église, contre les partis politiques, contre les traditions jamais remises en question. Je n'allais pas succomber à la frime. Je n'allais pas devenir ce que je détestais.

Puis j'ai rencontré un professeur de philosophie rebelle à souhait, un certain Alexis Klimov qui s'intéressait bien plus à promouvoir l'amour du savoir qu'à se conformer au cadre institutionnel de l'enseignement universitaire.

Alexis Klimov n'était pas du genre à produire facilement un syllabus pour ses cours. Il le faisait par souci d'encaisser son salaire, sans plus. Ce qui le passionnait par-dessus tout, c'était de créer un climat propice à partager sa passion pour la connaissance. Un climat qu'il créait en emportant sous son bras une pile de livres dignes de ce nom: des romans, des poèmes, tout sauf des traités de philosophie râpeuse.

Il nous lisait ces livres avec émotion, comme si cela comptait plus que tout.

J'avais enfin trouvé quelque chose comme un maître.

Je me souviens d'un examen oral qu'il fit passer à tous ses étudiants. Nous étions plusieurs à attendre devant son bureau débordant de livres et d'objets insolites. Certains étudiants tremblaient comme s'ils craignaient d'être démasqués par cet érudit.

Ils avaient raison de le craindre. Alexis Klimov était implacable avec les étudiants les plus tatillons, envers ceux qui tenaient leurs études pour la récitation du petit catéchisme. Il leur faisait donc passer un examen à la hauteur de leur cuistrerie.

-À quelle époque situez-vous l'origine du mouvement surréaliste? leur demandait-il d'un air que j'imagine hautain.

-Heu... après la guerre...

-Laquelle?

-Bien... heu...

-Et l'année? Vous pouvez me dire l'année? Le mois? La date? L'heure exacte?

-Hum... heu...

Puis l'étudiant sortait du bureau de son bourreau totalement vexé, terrifié, pour ne pas dire détruit.

Quand vint mon tour, je m'attendais au pire et, de toute manière, je m'en foutais un peu. J'étais arrogant et fendant de nature.

-Bonjour monsieur Bouchard... Alors, quelles sont vos lectures en ce moment?

-Eh bien... Je lis Stanislaw Ignacy Witkiewicz... Je suis aussi en train de plonger dans William Blake... Et puis je déteste lire Sartre, Hegel et Heidegger: c'est nul à chier!

Nous avons parlé de littérature pendant une bonne demi-heure. Aucune question sur les matières qui faisaient partie du syllabus de son cours.

-Monsieur Klimov... Ça fait une demi-heure que l'on discute et vous ne m'avez pas encore posé une seule question en lien avec le cours... Ça ne me dérange pas, mais je me demande si ce n'est pas moi qui vous étourdis avec mes lectures... Et heu...

-Mon cher monsieur Bouchard! Les questions sont pour les larves! Pour les autres, ceux qui font l'effort de lire et d'en savoir plus sur les fondements de nos existences, eh bien je ne me soucie pas de ces affreuses procédures... Vous lisez beaucoup plus que ce que l'on vous demande... Donc, vous vous méritez évidemment un A, me dit-il sur un ton moqueur.

Peut-être qu'il y a lieu de revoir les méthodes d'enseignement. Pas nécessairement pour tout le monde... Il faut bien que nos institutions fassent de nouvelles victimes.

Je suis sorti de son bureau en souriant. Mes amis, qui étaient aussi de solides lecteurs qui ont mal fini, obtinrent eux aussi un A pour les mêmes raisons. Toutes les mauvaises notes avaient été octroyées aux larbins.

Aujourd'hui encore, j'en ris. Quel professeur c'était! Quelle chance ce fut que de l'avoir connu.

J'imagine à peine comment je serais encore plus déprimé d'être étudiant de nos jours.

J'aurais probablement un téléphone intelligent en main et passerais mon temps à googler tandis que le professeur tenterait de répéter son laïus insignifiant. Avant qu'il ait terminé sa phrase, j'en saurais plus long que lui sur la matière qu'il enseigne... Je finirais par boire et consommer de la drogue pour survivre à cela.

Peut-être qu'il y a lieu de revoir les méthodes d'enseignement. Pas nécessairement pour tout le monde... Il faut bien que nos institutions fassent de nouvelles victimes.

Dans un monde idéal, on laisserait pousser les fleurs au lieu de tirer dessus ou bien d'en acheter en plastique pour nous dispenser du soin de les abreuver.

Je ne doute pas qu'Alexis Klimov, feu mon maître de philosophie, serait d'accord avec ça.

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