Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Le féminisme de mon père

J'ai naturellement adopté le féminisme de mon père. Un féminisme sans doute un peu chevaleresque et un brin protecteur. Un féminisme prêt à se battre pour une femme envers qui l'on manque de respect.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Feu mon père est né en 1933, c'est-à-dire avant la guerre. Il n'était donc pas un baby-boomer. Je me demande même s'il y a une expression pour désigner les membres de cette génération qui a vu le jour pendant la crise économique des années trente. On avait sans doute d'autres chats à fouetter. Je suppose que les sociologues ne s'y sont pas vraiment intéressés.

C'était pourtant un féministe avant la lettre. Un féministe sans le savoir. À vrai dire, il n'a jamais été du genre à porter une étiquette.

Il provenait d'une famille nombreuse qui vivait dans la pauvreté. Il me racontait que leur maison n'avait ni électricité ni isolation. La tête des clous gelait l'hiver. Les enfants allaient à l'école à tour de rôle parce qu'il n'y avait pas assez de bottes de caoutchouc pour tout le monde. Ils se nourrissaient essentiellement de navets, de morue et de beurrées de mélasse. En d'autres termes, on pourrait dire qu'ils mangeaient de la misère. Comme tout le monde à cette époque, j'imagine.

Ma grand-mère en arrachait pour nourrir les seize enfants à sa charge. Mon grand-père revenait souvent saoul à la maison et sautait sur la grand-mère pour faire ce devoir sanctifié par l'Église. La grand-mère allait se confesser au curé de la paroisse pour se faire dire que c'était un péché d'empêcher la famille. Du coup, elle dormait dans le fauteuil pour laisser son mari s'effondrer tout fin seul et saoul mort dans leur lit conjugal.

Mon père devint bien malgré lui le protecteur de sa mère. Il prit bientôt exemple sur son beau-père, le père de ma mère pour être précis, qui avait un peu plus de classe. Un homme, pour mon père, était quelqu'un qui respectait les femmes et ne leur faisait aucun mal.

Toute sa vie durant, mon père m'a enseigné qu'il fallait respecter les femmes.

-Une femme... faut respecter ça! On ne fesse jamais sur une femme! On ne crie pas après les femmes! On doit se comporter en gentleman tabarnak!

Le tabarnak était essentiel pour que la leçon suive naturellement son chemin.

Ma grand-mère maternelle ne voulait pas que ma mère marie un Bouchard. Comme les rumeurs circulent vite, elle avait entendu dire que les Bouchard étaient des batteurs de femmes. Elle craignait que ma mère marie l'un de ceux-là.

Elle se trompa. Mon père fut non seulement le plus doux des époux, mais il fut aussi un bon gendre pour ma grand-mère. Il prit soin d'elle autant que faire se peut jusqu'à sa mort.

Jamais mon père n'aura frappé ma mère. Jamais il ne lui aura crié après. Il avait bien sûr ses sautes d'humeur, mais rien ne lui était plus douloureux que d'avoir à subir ensuite la réprobation de ma mère.

Le soir venu, mon père n'avait qu'une envie: être étendu aux côtés de ma mère. C'était sa récompense.

-Viens t'coucher Ninine... Hein... Viens don' t'coucher Ninine...

Combien de fois l'aurais-je entendu!

Jamais mon père n'a empêché ma mère de sortir ou de faire quoi que ce soit.

-Sors, ça va t'faire du bien... T'es pas obligée d'ronger les quatre murs... R'pose-toé des enfants, j'va's m'en occuper! qu'il disait le plus sérieusement du monde.

Et le bon homme s'occupait de nous. Il nous faisait des frites ou des hot-dogs parce qu'il n'était pas très fort pour cuisiner. Mais il prenait tout de même soin de ses quatre garçons en nous laissant jouer au hockey dans la maison...

Le respect de la femme demeura une valeur essentielle pour guider mes actions. Respect qui est toujours passé par la notion de consentement...

Les années passèrent et je voyais encore mes parents se promener main dans la main.

J'avais la chance de grandir dans une famille où les parents s'aimaient tendrement. Ce qui était plutôt l'exception que la règle dans mon milieu. Je finissais par croire que mes parents n'étaient pas normaux.

Mon père n'était pas parfait. Ma mère non plus. Ils nous enseignèrent néanmoins la bonté, la douceur et la tendresse. À mon grand dam parfois. J'aurai longtemps cru que j'étais un peu trop fleur bleue pour mon époque. Je croyais un peu trop en l'amour. J'idéalisais la femme à un point qui pouvait même handicaper mes approches avec l'autre sexe. Je tenais au respect absolu de la femme. Je n'allais pas tirer sur la fleur pour qu'elle pousse plus vite. J'écrivais mille poèmes avant que de donner un baiser. Bref, j'étais nul à chier en amour. Une vraie guimauve...

Les années passèrent. Mes techniques de séduction s'améliorèrent. Néanmoins, le respect de la femme demeura une valeur essentielle pour guider mes actions. Respect qui est toujours passé par la notion de consentement et n'a jamais flirté avec la notion de viol, de violence ou de perversion.

Je n'ai peut-être aucun mérite à cela. Je suis ce que l'on appelle un «lover». Comme mon père l'était. Au risque de passer pour je ne sais quoi.

J'ai été marqué par Les libérateurs de l'amour de Sarane Alexandrian. Dans cet essai sur la littérature érotique, l'auteur en vient à dire que l'amour est fait pour rêver et non pas pour faire des cauchemars.

À chacun son trip, j'imagine, mais je n'ai plus honte de rêver.

Je ne me sens plus naïf ou mièvre d'être tout simplement amoureux.

Je vis en couple depuis quinze ans. Le soir, comme mon père, je réclame la présence de ma blonde dans le lit. Le respect que je lui porte n'a rien de stratégique, rien de théorique. Cela vient du fond du coeur. Ce coeur que je m'en voudrais de ne pas écouter.

Je dois être un bon gars. On dit parfois que les femmes préfèrent les mauvais gars. Peut-être pour se donner des raisons et justifier de mauvaises attitudes. Je n'en sais rien.

Encore que je ne sois pas tout à fait un gentil toutou. Je renie les dieux et brandis le poing contre les injustices. Je me suis même déjà battu. Avec des hommes, évidemment. Jamais avec des femmes. Nul n'est parfait. Surtout pas moi.

J'ai naturellement adopté le féminisme de mon père. Un féminisme sans doute un peu chevaleresque et un brin protecteur. Un féminisme prêt à se battre pour une femme envers qui l'on manque de respect. Un féminisme qui, aux yeux de certains, pourrait passer pour du paternalisme.

Ceux et celles qui voudraient me le reprocher peuvent bien aller se faire voir ailleurs. Je m'en moque.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Marie Lacoste-Gérin-Lajoie (1867-1945)

Principales pionnières féministes du Québec

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.