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Droit de tenir un bordel: le retour au despotisme éclairé

On peut être pour ou contre la légalisation de la prostitution, mais il demeure que c'est aux élus de prendre une telle décision, pas aux tribunaux. L'habitude prise par les juges de se substituer aux gouvernements nous ramène à l'époque de Frédéric II de Prusse et à l'âge d'or du despotisme éclairé.
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Dans un jugement rendu le 26 mars dernier, la cour d'appel de l'Ontario a statué que l'interdiction des bordels constitue une atteinte aux droits des prostituées. Celles-ci sont moins en danger lorsqu'elles pratiquent leur métier dans une maison close plutôt que sur la rue. Leur droit à la sécurité, garanti par la charte, est donc en cause suivant l'interprétation que font les juges de la constitution. On peut être pour ou contre la légalisation de la prostitution, mais il demeure que c'est aux élus de prendre une telle décision, pas aux tribunaux. L'habitude prise par les juges de se substituer aux gouvernements nous ramène à l'époque de Frédéric II de Prusse et à l'âge d'or du despotisme éclairé.

Plusieurs bons arguments sont avancés en faveur de la légalisation de la prostitution. Mais la question relève plutôt de la légitimité démocratique qui est nécessaire pour faire un tel changement. Le gouvernement conservateur tenait à ce que la prostitution demeure illégale, même lorsque pratiquée dans un bordel, et ils ont reçu un mandat majoritaire des électeurs. Or voilà qu'un tribunal renverse les décisions du parlement sous couvert de droits de la personne. Pourtant ceux-ci ne sont jamais absolus, car il y a toujours une limite. Pour les conservateurs le droit à la sécurité s'arrête lorsque des prostituées l'invoquent pour pouvoir pratiquer le plus vieux métier du monde dans un bordel. Pour les magistrats le contraire est vrai.

Le problème vient du fait que les tribunaux sont convaincus qu'eux seuls sont habilités à déterminer quelle est la limite des droits. Les élus ne sauraient avoir la moindre compétence en cette matière. D'ailleurs, les juges lèvent souvent le nez sur ces derniers. Ils les voient comme une bande de querelleurs se disputant pour recueillir l'appui de l'opinion publique. Les magistrats, eux, déterminent ce qui constitue les droits fondamentaux, une tâche infiniment plus noble à leurs yeux.

Le problème de cette vision vient du fait qu'elle est à la fois élitiste et anti-démocratique. Le parlement est élu et les politiciens sont donc plus en phase avec la société que les juges. Ils sont donc bien plus capables que ceux-ci de déterminer quels sont les principes qui font consensus et qui constituent des droits, tout comme ils restent meilleurs à en tracer les limites. Et si les élus se trompent, ceux qui leur succéderont à la prochaine élection auront tout le loisir de corriger la situation.

Il en va tout autrement des décisions judiciaires. Celles-ci sont autoritaires, car prises par des non-élus. Une fois qu'un tribunal a tranché, surtout s'il s'agit de la Cour suprême, il est très difficile, voire carrément impossible, de revenir en arrière. La société paye alors bien plus cher les erreurs de la magistrature.

Ceux qui doutent de cet argument devraient réfléchir à l'affaire Ernest Zundel, ce néo-nazi négationniste de l'holocauste. En 1985 il a été condamné par une cour ontarienne à 15 mois de prison en vertu d'une loi interdisant de propager sciemment de fausses nouvelles. Trois ans plus tard, la Cour suprême statuait qu'en vertu de son interprétation de la charte, cette législation violait la liberté d'expression. Résultat : Zundel a été libre de répandre pendant 17 ans sa haine anti-juive jusqu'à ce qu'il soit arrêté pour menace à la sécurité nationale, déporté vers son pays d'origine l'Allemagne où il a été condamné à cinq ans de prison. Voilà ce que ça donne, aussi, le despotisme éclairé de nos tribunaux.

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