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Au Brésil, «rien ne va plus!»

Le Brésil joue à la roulette et, comme lorsque la bille virevolte autour des numéros, il paraît bien difficile d'émettre un pronostic sur ce qui pourra sortir de la crise actuelle.
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Le Brésil joue à la roulette et, comme lorsque la bille virevolte autour des numéros, il paraît bien difficile d'émettre un pronostic sur ce qui pourra sortir de la crise actuelle.

D'un côté, la présidente Dilma Roussef. Après un premier mandat qui semblait plutôt réussi, elle doit affronter aujourd'hui une situation dantesque, combinant des manœuvres politiciennes d'ampleur inégalée et un ensablement complet sur le plan économique et social. De nombreuses analyses de ses erreurs se trouvent dans la presse en ce moment, il est peu besoin d'y revenir.

On pourra tout de même en relever deux points qui figurent sans doute parmi les plus cruciaux. Le premier est qu'elle a imposé au Brésil un logiciel économique en retard de plusieurs générations. Le Brésil innovant des biocombustibles et de la voiture «flex» s'est ainsi abîmé dans le pétrole «pre-sal» et dans le gigantisme de nombreux grands projets que l'on aurait pu croire sortis de la tête d'ingénieurs de l'ex-URSS. Quelle est la part dans ces décisions de la perspective de juteuses commissions liées à ces méga-projets? Difficile à dire, mais en peu de temps, des secteurs innovants se sont trouvés plongés dans la crise (comme celui de l'éthanol), ce alors que les investissements milliardaires consentis de l'autre côté n'ont pas permis de trouver une issue à la crise qui plonge le Brésil dans la récession.

La seconde erreur de la présidente est sans doute d'avoir ignoré la colère des rues en 2014. La défiance de l'opinion publique à l'égard des hommes et des femmes politiques était alors très perceptible, et il y avait là un argument utilisable pour une réforme en profondeur du système politique brésilien. Certes le Congrès n'aurait pas été très coopératif. Mais à l'époque la présidente avait encore assez de popularité pour jouer de la rue contre lui et obtenir des réformes. Aujourd'hui, la voilà (sans doute en partie injustement) sous la pression de cette même rue et sa position vis-à-vis du pouvoir législatif est désormais faible. Une immense occasion a été perdue.

D'un autre côté, le Congrès. Au Brésil, pays de tous les possibles, le pouvoir législatif a réussi à transformer un régime présidentiel en régime parlementaire. Prenant prétexte de grosses ficelles sur les comptes publics, il a lancé une procédure d'impeachment sans doute abusive, mais qui a au moins le mérite d'éclairer une bonne fois pour toutes où se trouve le centre du pouvoir à Brasília.

Ce rôle disproportionné du Congrès avait déjà été démontré par d'importants scandales, des «nains du budget» au «mensalão». Fernando Henrique Cardoso, Lula puis Dilma Roussef ont dû composer avec les mêmes difficultés structurelles: le système politique brésilien enfante à chaque élection une assemblée fragmentée en des dizaines de partis peu représentatifs, dans laquelle l'élite conservatrice, quelle que soit son étiquette politique, a la part belle. Pour gouverner, il faut donc monter des coalitions dans lesquelles le parti du (ou de la) président(e) est invariablement minoritaire. Le ciment de ces coalitions n'est pas idéologique. Il est dans l'intérêt personnel et bien compris des caciques des divers partis. Le système de financement des campagnes et des individus mis au jour par l'opération «karcher» en cours actuellement est donc tout sauf une surprise. Mais il faut avouer que voir autant de parlementaires mis en cause pour corruption, prise illégale d'intérêt, fraude fiscale et on en passe, juger une présidente contre laquelle ne pèse (pour le moment au moins) aucun soupçon d'enrichissement personnel est pour le moins... équivoque.

Vers quel résultat la roulette peut-elle tendre? Il est très peu probable que la tournée internationale de la présidente lui apporte du réconfort. La légalité est respectée et il n'appartient à aucun pays de donner son avis sur le processus en cours. Il est aussi assez peu probable qu'elle réussisse à renverser la situation au Sénat. Le climat d'abandon qui a régné dans les jours précédant le vote à l'assemblée a bien montré à quel point le PT (Lula compris) a perdu la barre à Brasília (alias, avec un peu plus d'habileté dans la manœuvre politique, la présidente aurait sans doute pu éviter, à la fin 2015, le bras de fer dont elle sort aujourd'hui perdante). Il y aura donc très probablement instruction du processus d'impeachment, ce qui signifie que le Brésil va continuer à vivre une crise institutionnelle encore durant plusieurs mois, avec de surcroît la perspective d'une lutte pied à pied de la présidente sur le plan juridique afin d'imposer un blanchiment au bout du procès. Une telle issue est d'abord peu imaginable puisque les juges seront les mêmes (les sénateurs), et par ailleurs après 6 mois de vacances comment reprendre le pouvoir?

Pour le vice-président, Michel Temer, les choses ne sont pas nécessairement plus simples malgré la victoire annoncée. Certes il a en théorie aujourd'hui deux tiers du Congrès derrière lui, ce qui lui donnerait largement la possibilité de gouverner. On semble essayer de constituer autour de lui une dream team avec tous les autres partis de poids (notamment le PSDB), à l'exception bien sûr du PT. Cela donnerait certes une légitimité importante à son pouvoir et il y aurait peut-être là une nouvelle opportunité historique de changer un système politique vicié. Mais... on ne voit pas poindre en Temer une grande audace de ce point de vue, et ce d'autant moins qu'il doit sa victoire à des alliés encombrants, comme le président de l'Assemblée nationale, Eduardo Cunha, ou celui du Sénat, Renan Calheiros, tous deux assez souvent mis en cause dans des affaires. Le plus probable est qu'après quelques annonces fortes dans le domaine économique et un appel à l'unité nationale, la réforme politique soit abandonnée à des temps plus prospères... Bref, que l'opération de sauvetage des caciques mis en cause dernièrement finisse par réussir, à quelques exceptions près car il faudra sacrifier quelques têtes à l'opinion publique.

Reste une dernière possibilité. Pour éviter la cassation de son mandat, la présidente pourrait démissionner, comme l'avait fait Fernando Collor. Elle pourrait tirer argument de ce geste pour exiger de Michel Temer la même chose, et proposer que la tenue d'élections anticipées remette la balle au centre. Elle pourrait retrouver le soutien d'une grande partie de l'opinion publique sur ce programme simple, reprenant le slogan «des élections directes dès maintenant!» qui a fait tomber la dictature militaire en 1985. Mais il faudrait pour cela se sacrifier et sembler accepter en partie les accusations portées à son encontre - d'autant qu'il paraît évident que si le PT prétend remporter ces élections il lui faudra un autre candidat(e)... Pas évident que la dame de fer brésilienne consente à cela.

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