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Quel avenir pour la formation générale au Cégep sous François Blais?

Il nous appartient de lutter contre cette conception réductrice et abâtardie de l'éducation collégiale qui se dessine actuellement.
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Dès leur premier cours de philosophie au collégial, des milliers d'étudiants québécois, à l'instar de millions d'autres dans le monde, comprennent qu'une des tâches que s'assignait la philosophie en Grèce ancienne fut d'essayer de s'extirper du règne de l'opinion afin d'accéder, par l'examen critique et le débat argumenté, à la science et aux convictions bien pesées. «Je suis de nature à ne me laisser persuader par rien d'autre, dit Socrate dans le Criton, que par la raison qui m'apparaît la meilleure.» C'est ce précieux héritage de recherche, cet effort qu'est le dialogue rationnel, qu'illustre à merveille, tel le passage d'un témoin, L'École d'Athènes peinte par Raphaël à la Renaissance.

Comme chacun sait, un des idéaux qui présidèrent à la création en 1967 du réseau des cégeps fut d'offrir à tous les étudiants, tant à ceux de l'enseignement professionnel qu'à ceux de l'enseignement préuniversitaire, une formation générale (FG) qui s'inscrit et s'inspire largement de cet héritage. Or, de 2006 à 2009, à la suite d'un Forum sur l'éducation tenu en 2004 par le gouvernement Charest qui remettait en question tout l'enseignement collégial, une actualisation de la FG fut entreprise et donna lieu à un «Profil de la formation générale» où l'on retrouve trois visées de formation auxquelles sont associées douze compétences. Pour mémoire, rappelons que la FG vise à former des citoyens 1) aptes à vivre en société de façon responsable (en faisant preuve d'autonomie, de pensée rationnelle, critique et éthique), 2) capables d'intégrer les acquis de la culture, et 3) pouvant maîtriser la langue comme outil de pensée, de communication et d'ouverture sur le monde (notamment en maîtrisant les règles de base du discours et de l'argumentation).

Pourtant, et à rebours de l'exigence scientifique et critique dont nous sommes les héritiers, l'avis publié en avril 2014 par le Conseil supérieur de l'éducation (CSE) néglige entièrement l'examen et l'évaluation des effets de ce nouveau Profil. Il préfère plutôt tabler sur les perceptions de certains étudiants à l'égard de leurs études en renvoyant à un avis, où l'on cherche en vain quelques statistiques, datées d'août 1994! : Des conditions de réussite au collégial : réflexion à partir de points de vue étudiants. Quoi qu'il en soit de cette aberration qui propose de moderniser le cégep à partir de perceptions déjà vieilles de 20 ans, l'avis propose de diversifier l'offre des cours de la FG, de favoriser le choix à la carte et encourage les divers cégeps à affirmer leurs «couleurs locales».

Cet avis néglige entièrement la question pourtant cruciale de savoir en quoi ces changements recommandés favoriseraient l'atteinte des visées de formation qui ne sont pas même évoquées! Comment peut-on, dès lors, parler d'évolution et lui donner quelque sens si on ne propose que des moyens sans penser aux finalités poursuivies? Sommes-nous plus avancés si on se demande sur quels fondements reposent ces recommandations? On ne trouve hélas que de vagues et indéfinis impératifs d'«ajustement aux réalités de la société», on évoque des «nouvelles exigences du XXIe siècle» ou les «défis de la mondialisation». Au-delà de ces platitudes convenues sur l'adaptation nécessaire - comme si les visées de formation ne permettaient pas de couvrir ces aspects -, on trouve toutefois l'impératif strictement administratif de résorber les enseignants mis en disponibilité et l'«utilisation rationnelle et adaptée des ressources humaines disponibles». Voilà qui tient lieu d'argumentaire afin de justifier la diversité de l'offre sans que l'on se soucie plus avant de l'effritement possible de toute culture commune. Ce seul souci administratif et économique qui se profile derrière le libre choix proposé au nom du bien de l'étudiant est-il responsable au moment où, comme l'affirme Claude Castonguay, l'austérité ne peut tenir lieu de projet de société? Où l'on cherche à réduire la complexe problématique de la laïcité à sa seule dimension sécuritaire? Où 44,7% des diplômés d'études postsecondaires n'atteignent pas le niveau 3 de littératie et de numératie, niveau pourtant jugé essentiel afin de participer significativement aux débats démocratiques? Encore faut-il se soucier du vivre-ensemble pour poser des questions d'une telle nature.

On sait que à la suite de la publication de cet avis, le président de la Fédération des cégeps, Jean Beauchesne, a déclaré dans un français indigne de sa fonction : «Est-ce que la formation générale obligatoire ne pourrait pas être plutôt un panier avec un minimum obligatoire pour tout le monde, le plus minimum possible [...]?»

Le rapport Demers a pour sa part reconduit les recommandations de l'avis tout en proposant deux possibilités. Soit «assouplir» la formation générale selon les besoins et surtout les difficultés d'apprentissage des étudiants qui ne cessent de croître, soit rendre non obligatoire pour l'obtention du DEC l'épreuve uniforme de français qui donne du fil à retordre à 15% des cégépiens afin de contrer le «gaspillage des ressources». Plus radical encore, le président de la Commission-Jeunesse du Parti libéral du Québec, Nicolas Perrino, proposa en août 2014 rien de moins que l'abolition des cégeps, trop éloignés des besoins des entrepreneurs. Une opinion commune, quoi. Certains chroniqueurs et éditorialistes ont bien sûr souligné l'absence d'études et d'analyses, l'absence de toute rationalité, même économique!, pour justifier pareille liquidation de l'héritage pourtant libéral des cégeps. À moins que tout ceci ne soit qu'une grossière stratégie afin de donner l'impression que l'ancien ministre de l'Éducation était forcément plus raisonnable en appuyant les recommandations du rapport Demers, en formant le comité Rouillier afin que celui-ci examine et hiérarchise, sans consultation aucune, leur mise en œuvre?

Quoi qu'il en soit, le fait que le président de la Commission-Jeunesse du PLQ ait réitéré le 28 février cette ânerie, soit quelques heures seulement après la nomination de François Blais comme nouveau ministre de l'Éducation, n'est pas pour nous rasséréner sur les motivations libérales. Le premier ministre semble apprécier François Blais dans la mesure où il a bien exécuté ce qu'on lui demandait de faire, c'est-à-dire des changements et des coupes à l'aide sociale et aux Carrefours Jeunesse-Emploi sans susciter de crise.

Tentera-t-il la même chose en éducation ou aura-t-il l'étoffe nécessaire pour relever la politique libérale en éducation? Saura-t-il imprimer sa marque et défendre avec quelque vision son ministère? On jugera à ses actes, mais une chose demeure certaine et peu rassurante, c'est que Philippe Couillard est le premier responsable du complet fiasco que fut le bref et néanmoins trop long règne d'Yves Bolduc comme ministre de l'Éducation. Que le plus important ministère après celui de la Santé ait servi de prix de consolation à son ami témoigne du peu de considération que le premier ministre accorde à l'éducation. Nous sommes bien loin des années Paul Gérin-Lajoie... Il nous appartient toutefois de lutter contre cette conception réductrice et abâtardie de l'éducation collégiale qui se dessine actuellement. Passons le témoin.

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