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Jean-François Lisée, Gérard Bouchard et la question culturelle

Pour Jean-François Lisée, être Québécois, c'est plus que de se comporter comme un colocataire, c'est devenir membre à part entière de la famille québécoise.
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Il y a quelque temps, dans La Presse, Gérard Bouchard condamnait les propositions de Jean-François Lisée en matière de laïcité et d'immigration, les estimant trop près du souvenir d'une Charte des valeurs québécoises qui devrait être frappée d'interdit. Selon le sociologue, les positions du candidat à la chefferie du Parti québécois en matière de symboles religieux en milieu de travail «ne passeraient pas le test des tribunaux». Il exprimait aussi un «malaise» quant à son projet de Concordance culturelle.

D'abord, faudrait-il le rappeler à Gérard Bouchard, il est loin d'y avoir consensus au sein même de la communauté juridique quant au sort qu'aurait reçu la Charte des valeurs québécoises soumise au regard des tribunaux. Il est tout à fait défendable d'affirmer, comme l'ont fait de nombreux juristes québécois s'étant exprimé en faveur du projet de loi (incluant d'anciens juges, dont la juge L'Heureux-Dubé de la Cour suprême du Canada), que l'encadrement du port de symboles religieux dans l'appareil d'État est une mesure entièrement légitime et raisonnable dans une société libre et démocratique, qui ne contrevient pas aux droits fondamentaux des individus dans leurs convictions profondes ni ne porte atteinte à la dignité humaine.

Soulignons-le, les convictions religieuses se distinguent des pratiques: les premières relevant des croyances personnelles et intouchables, alors que les secondes sont des comportements sociaux dépassant l'individu et qui peuvent -et doivent- être régulés en société. Plusieurs mesures visant à l'encadrement, voire l'interdiction, du port de signes religieux ostentatoires en milieu de travail pour les employés de l'État ont par ailleurs déjà été adoptées et judiciairement validées dans d'autres pays - citons notamment la France, l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas. Il y a là de quoi rester quelque peu perplexe devant une affirmation aussi catégorique de la part du sociologue quant à une illégalité manifeste de la position du député de Rosemont, moins interventionniste que ne l'était le projet de Charte des valeurs québécoises, en matière d'encadrement des symboles religieux au sein de l'appareil d'État.

Quant au projet de Concordance culturelle de Jean-François Lisée, Gérard Bouchard critique l'idée de «demander aux immigrants de faire plus d'efforts pour s'intégrer», considérant la chose comme odieuse dans un contexte allégué de discrimination systémique et de sous-emploi. Ce qu'il faudrait faire, selon le coprésident de la commission Bouchard-Taylor, c'est adopter une approche d'interculturalisme, évacuant en grande partie de l'identité québécoise ses repères historiques, culturels et identitaires dans lesquels un immigrant ou un membre d'une minorité culturelle «ne se reconnaîtrait pas». Cet interculturalisme, prôné par l'auteur d'un livre du même nom, propose ainsi une conception de l'identité québécoise limitée à ses seuls aspects juridiques, économiques et institutionnels. Une identité nationale civique et bureaucratique en quelque sorte. Un peu, pour imager, à la manière d'une relation entre colocataires.

Pour Jean-François Lisée, cependant, être Québécois, c'est plus que de se comporter comme un colocataire, c'est devenir membre à part entière de la famille québécoise. Et devenir membre d'une famille, ce n'est pas simplement se contenter de payer sa part des factures, c'est faire siens et partager ses rêves, ses aspirations, son histoire, ses valeurs et son identité - et les enrichir de ses propres apports compatibles avec le tronc commun qui préexiste et en dépasse les membres individuels. Entre colocataires, on pense d'abord au «Je». Au-delà d'une sympathie humaine de base, il n'existe pas ce sentiment d'appartenance, d'affection; ce devoir d'entraide et de direction commune qui caractérise une unité familiale. Comme le disait Mathieu Bock-Côté, intégrer une famille nationale, c'est «apprendre à dire "Nous" avec elle» - mais comment peut-il y avoir un véritable «Nous» sans que les «Je» ne s'associent autour d'une identité et d'un projet commun?

Cette convergence culturelle est essentielle au maintien d'un tissu social collectif nécessaire, non seulement pour que le mot «Québécois» veuille dire quelque chose de plus qu'une simple question de résidence géographique, mais aussi pour défendre les acquis sociaux et donner à la population québécoise un pouvoir collectif qu'elle ne peut obtenir en restant fragmentée, quelles que soient les origines de ses membres. Ne l'oublions jamais: derrière la règle de droit et derrière l'économie d'une société, il y a une affaire commune, issue d'un peuple, d'une nation qui, forte d'un parcours historique et de valeurs partagées, affirme collectivement qui elle est et comment elle souhaite être. Nier cette réalité, c'est précisément nier les ancrages du droit, de la société et du vivre-ensemble qui sont absolument essentiels à l'intégration.

L'«intégration» se limiterait-elle aux simples questions de résider sur le territoire, de voter et de payer ses impôts? Mais dans un tel cas, parle-t-on toujours véritablement d'intégration à la famille québécoise, ou vise-t-on plutôt un simple rapport de cohabitation? Cherchons-nous à intégrer notre diversité culturelle en l'invitant à participer à l'épanouissement et à l'agrandissement d'une grande famille québécoise unie par une identité et une appartenance collectives - ou souhaite-t-on se contenter d'une simple colocation caractérisée par des rapports distants? Dans ce second cas, on se demandera même si le mot «Québécois» devrait encore avoir une signification.

Au travers de la Concordance culturelle, Jean-François Lisée l'affirme avec raison: faire partie de la famille québécoise veut encore dire quelque chose. Quelque chose de beau. Quelque chose de rassembleur.

On rajoutera même: quelque chose comme faire partie d'un grand peuple.

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