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Profession: interprète social

Ce n'est pas à l'entrepreneur social de polariser ou d'impulser le mouvement, comme c'est rarement à l'explorateur d'exploiter ses propres découvertes: c'est à chacun d'entre nous, dans sa posture et son ADN de salarié, d'employé, de fonctionnaire, de profession libérale, d'artisan, de contractuel ou d'artiste de « faire prendre » la mayonnaise de la responsabilité sociale.
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Plus de 2 millions de références sur Google à la mention anglaise « Social Entrepreneur ». 133 millions à la mention « Entrepreneur » tout court. 70 fois plus. Seulement.

Seulement 70 fois plus, quand on sait combien le statut d'entrepreneur social demeure une exception dans le spectre de la création d'entreprises à l'échelle mondiale, lequel nous propulse sans ménagement du boulanger auto-entrepreneur à Mark Zuckerberg... Surprenante illusion d'optique, qui nous porterait presque à penser qu'une nouvelle catégorie d'individus est née et que son potentiel libérateur est le sésame de la révolution solidaire tant attendue.

Or, l'entrepreneur social est une pure exception.

Concevoir l'économie sociale comme le seul fait d'une création d'activité « nouvelle » - et non de la transformation d'une activité « existante » - revient à nier le besoin qu'a l'économie au sens large de faire elle-même sa mutation. Stariser l'entrepreneur social, c'est parler d'exception et de vocation là où il faudrait parler de routine et de normalité. C'est céder au mythe du « dirigeant », image d'Épinal de l'entrepreneur perçu dans toute son individualité à l'ère de la multitude, du partage et du collaboratif. C'est renoncer au paradigme du collectif. C'est se laisser séduire par l'imagerie, post hyper-président, de l'hyper-patron. C'est, en somme, célébrer la doxa « Steve Jobs », encore et encore.

Car ce n'est pas à l'entrepreneur social de polariser ou d'impulser le mouvement, comme c'est rarement à l'explorateur d'exploiter ses propres découvertes: c'est à chacun d'entre nous, dans sa posture et son ADN de salarié, d'employé, de fonctionnaire, de profession libérale, d'artisan, de contractuel ou d'artiste de « faire prendre » la mayonnaise de la responsabilité sociale. C'est à chacun d'entre nous d'être le compositeur-interprète d'une nouvelle partition à 5 clés, qui prendrait soin, dans notre quotidien professionnel, dans nos décisions stratégiques et opérationnelles, des retombées économiques, sociales, environnementales, sociétales et, pourquoi pas, culturelles, de nos activités.

Tout comme il n'est plus demandé, depuis plus de 15 ans, à un « qualiticien » spécialisé de préempter le thème de la Qualité dans les entreprises (la certification ISO 9000 est passée par là et cette responsabilité est dorénavant parfaitement distribuée entre tous), il ne sera plus possible - à l'avenir - d'estimer que la question de l'impact social et sociétal de nos organisations doive être traitée par la puissance publique, par la sphère associative ou par quelques « pompiers - sauveurs » créateurs d'entreprises sociales. Les 5 types d'impacts évoqués, les 5 clés, devront être de plus en plus abordés et intégrés à tous les niveaux, dans toutes les fonctions, dans toutes les opérations dites « courantes ». Apparaîtront alors, sous peu, les termes de designer social, d'architecte social, de marketeur social, de Chief Social Officer, jusqu'à ce que, par simple évolution des mœurs, il ne soit plus nécessaire d'ajouter une épithète à la fonction, évidence oblige.

Pour ce faire, un marché des « compétences sociales » doit aussi progressivement, et parallèlement voir le jour, qui viendra irriguer le cœur de métier des entreprises et des collectivités au travers de prestations de services et de transferts d'expériences marchands : tel membre d'une coopérative formant une PME à la gouvernance partagée. Tel employé d'ONG exprimant auprès d'une entreprise exportatrice sa vision d'un marché émergent. Tel praticien des circuits courts conseillant une multinationale sur sa stratégie de micro-distribution. Tel créatif culturel expliquant à une collectivité locale les ressorts de l'innovation ouverte. Tel développeur du logiciel libre orientant la politique numérique citoyenne d'une municipalité. Pour l'heure, plutôt que d'entrepreneur social, il serait donc pertinent de parler d'interprète social.

Car un interprète traduit, convertit, reformule, et quand il est musicien, il joue, transforme, prolonge, transcende parfois.

Singulariser l'entrepreneur social était historiquement nécessaire, et le demeure encore aujourd'hui, afin de donner au monde quelques role models inspirants et lisibles. Mais un « benchmark » n'est pas suffisant pour provoquer une révolution copernicienne. Ce qu'il faut, c'est une matrice. Ce qui est requis, c'est à la fois un réflexe de transformation de nos propres habitudes, au sein de nos propres organisations, et un marché permettant le transfert de savoir-faire et la circulation des futures pratiques, entre organisations voisines. « Not everyone should be a social entrepreneur » écrivait récemment, sur le blogue de la Harvard Business Review, Lara Galinsky, Vice-Présidente de l'organisme Echoing Green, reconnaissant clairement le fait que les entrepreneurs sociaux ne seront pas en mesure de changer le monde à eux seuls.

Et pour cause, la tâche serait insurmontable.

Non, nous sommes tous des interprètes sociaux en puissance. C'est à hauteur d'homme que ça se joue.

Et c'est tant mieux.

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