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La destitution cette semaine du maire de Toronto, Rob Ford, relève à nouveau le contraste entre Montréal et Toronto. Bien que le tempérament du maire pose problème, le fait d'avoir utilisé du papier entête de la ville pour mousser ses bonnes oeuvres est une peccadille en comparaison à ce que l'on découvre à Montréal. Alors, avant quemagazine nous refasse le coup, disons-le tous en choeur: la corruption a une ville, voire une province, et jusqu'à preuve du contraire, elles se trouvent de ce côté-ci de l'Outaouais. La question, maintenant, celle qu'on répugne à se poser, c'est pourquoi?
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La destitution cette semaine du maire de Toronto, Rob Ford, relève à nouveau le contraste entre Montréal et Toronto, mais cette fois, en matière éthique. D'une part, une avalanche de compromission, de collusion et de détournement de fonds de la part de (trop) nombreux ingénieurs, fonctionnaires et entrepreneurs en construction. D'autre part, un maire arrogant qui ne croit pas dans les procédures gouvernementales, mais dont le seul crime, du moins pour l'instant, est de penser que les règles ne s'appliquent pas à lui.

Bien que le tempérament du maire pose problème, le fait d'avoir utilisé du papier entête de la ville pour mousser ses bonnes oeuvres est une peccadille en comparaison à ce que l'on découvre à Montréal. Non seulement le bouillant politicien n'a pas tenté de s'enrichir aux dépens des contribuables, il a été élu en 2010 "to stop the gravy train", mettre un terme aux largesses gouvernementales, le dada des populistes de droite dont M. Ford fait partie. La sévérité de la peine qui lui a été imposée ne fait d'ailleurs que creuser le fossé "moral" entre les deux métropoles.

On attend Toronto au détour, bien sûr. La ville Reine a elle aussi son cortège de mafiosos, plus redoutables encore que les nôtres, dit-on. Mais, pour l'instant, on ne décèle aucun geste déplacé. Et que dire de l'ex-PDG de SNC-Lavallin, Pierre Duhaime, les menottes aux mains? Une affaire qui n'a rien à voir avec la mafia et qui noircit Montréal davantage.

Alors, avant que Macleans magazine nous refasse le coup, disons-le tous en choeur: la corruption a une ville, voire une province, et jusqu'à preuve du contraire, elles se trouvent de ce côté-ci de l'Outaouais.

La question, maintenant, celle qu'on répugne à se poser, c'est pourquoi?

Chaque fois que les médias canadiens-anglais posent la question, en tout cas, la réponse est toujours la même: le méchant nationalisme, peu importe si le fédéralisme est grandement responsable de l'avant-dernier scandale digne de ce nom (les commandites). Comme le rappelait Gérard Bouchard dans Le Devoir, le nationalisme est en fait responsable de nos plus belles réussites: l'accès à l'éducation supérieure, le degré de syndicalisation, la responsabilisation de l'État sont tous tributaires du "modèle québécois". M. Bouchard se faisait un devoir de nous le rappeler pour contrer l'effet démoralisant des révélations de la Commission Charbonneau.

En fait, il y a un énorme paradoxe dans cette juxtaposition d'ombre et de lumière. Si, comme le croyait Sigmund Freud, la civilisation est la capacité de refouler nos pires instincts pour le bien collectif, comment expliquer que nous soyons coupables d'autant de tricheries tout en ayant fait tant de belles choses?...

Une partie de la réponse doit bien résider dans l'aspect collectif versus individuel. Quand il y a un désir de réalisation collective, on est à son meilleur; quand il s'agit d'un désir purement individuel, la part du démon en chacun de nous, comme le rappelaient les invités de Catherine Perrin à RC cette semaine, peut facilement l'emporter sur la part d'ange. C'est donc dire que, loin d'inviter les dérapages, la ferveur nationaliste nous garderait dans le droit chemin, plutôt que son contraire.

Mais s'il ne s'agit pas d'une tare nationaliste de quoi alors s'agit-il?

Pour avoir vécue dans les deux métropoles et, surtout, d'être passée de l'emploi de Radio-Canada (à Montréal) à celle de CBC (à Toronto), je peux témoigner des différences profondes entre ces deux mondes. D'une ville à l'autre, on ne conçoit pas la vie en société de la même façon.

Le modèle anglo-saxon est immensément plus "hands on", rigoureux ou, si vous voulez, tatillon, que peut l'être le modèle québécois. Que ce soit de la bonne façon de traverser la rue ou de mener une enquête journalistique, on est tenu sur une courte laisse à Toronto. Le sentiment qu'il y a une bonne (et mauvaise) façon de faire les choses, qu'il y a des règles à suivre, est omniprésent là-bas. À Montréal, l'improvisation, la spontanéité, le libre arbitre sont davantage valorisés, et ceux qui sortent du moule davantage applaudis. Personne, ici, va vous crier des bêtises si vous osez traverser la rue en diagonale.

Évidemment, ces traits culturels n'expliquent pas la fraude comme telle, seulement la pente savonneuse. Sans vouloir décrire le Québec comme une république de bananes, peut-être faut-il regarder du côté des pays du tiers monde pour y voir plus clair.

L'absence, dans ces pays, de tradition démocratique, de lois et d'institutions bien établies, explique très souvent la corruption étatique. Bien qu'on aime se décrire ici comme une des "plus vieilles démocraties au monde", l'emprise séculaire de l'Église catholique sur nos institutions a un peu tordu l'implantation d'une telle tradition démocratique. L'Église, d'abord, n'a jamais été démocratique et ses normes ne peuvent être confondues avec des lois. Jacques Languirand, je crois, en a déjà fait l'exposé. Bref, l'histoire du Québec est immensément plus cahoteuse que ne l'est l'histoire du Canada anglais. Sans prétendre avoir la réponse, peut-être y a-t-il là un élément du puzzle.

À mon avis, mieux vaut réfléchir à la "question qui tue" que se laisser assommer par l'étendue des dégâts.

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