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Le Cercle canadien de Montréal offre de nouveau une tribune à Imperial Tobacco

Ce qui est surprenant, c'est qu'au lieu de s'en dissocier, la communauté des affaires représentée par le Cercle canadien de Montréal préfère aider l'industrie du tabac en lui offrant sa tribune d'honneur. Quelle honte.
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Malgré les montagnes de preuves documentées exposant des décennies de mensonges, de fraudes, de fausses représentations, de distorsion de la science et de conspiration générale contre l'intérêt public, l'industrie du tabac réussit encore à se faire prendre au sérieux, allant jusqu'à se faire offrir une tribune privilégiée dans le cadre d'un événement prestigieux du monde des affaires.

Le 31 mars, la présidente et directrice générale d'Imperial Tobacco, Madame Marie Polet, était à l'honneur lors d'une conférence organisée par le Cercle canadien de Montréal, un regroupement de dirigeants d'affaires qui se décrit comme un « carrefour privilégié du leadership et du partage des idées, visions et initiatives innovantes. »

Selon le texte d'invitation, la présentation de Madame Polet déplorera la « tendance vers une réglementation inefficace et excessive » et sonnera l'alarme quant à la « liste des cibles [qui] comporte maintenant la malbouffe, les boissons gazeuses et le sucre et s'allonge par bonds successifs. » C'est une vieille tactique : s'associer à d'autres entreprises afin de placer le tabac dans le même panier que les autres produits de consommation et recruter des appuis corporatifs crédibles pour ses campagnes d'opposition aux lois antitabac.

Or, il n'existe aucun produit de consommation au monde dont les risques se rapprochent de ceux du tabac, aucun autre produit ne tue lorsqu'il est utilisé exactement selon les recommandations du fabricant. Le tabac est la première cause de décès évitables dans le monde, tuant près de 6 millions de personnes par an. Au Québec, c'est 10 400 décès chaque année. Le tabac cause deux fois plus de décès que tous ceux causés par les suicides, les noyades, les accidents de la route, les toxicomanies, les meurtres, le SIDA et l'alcool réunis. Les chiffres sont si astronomiques que leur portée est difficilement concevable.

Mais revenons aux arguments d'Imperial Tobacco concernant la réglementation, arguments qui ont déjà été présentés dans le cadre d'une récente lettre ouverte par son directeur des affaires corporatives, Éric Gagnon :

1) « Le tabac est l'un des produits les plus réglementés au monde »

Imperial Tobacco peut bien se plaindre des 200 lois et règlements qui touchent le tabac. Ce que la compagnie omet de mentionner, c'est qu'il s'agit surtout de lois régissant l'usage du produit, établissant des permis de vente de même que des obligations fiscales. Bref, aucune législation ne régit les quelque 4000 composés chimiques dans la fumée inhalée par les fumeurs, ni les procédés de fabrication qui accélèrent la dépendance à la nicotine. En ce sens, la fabrication de la confiture aux fraises est plus réglementée que celle des cigarettes !

2) « Le tabac demeure un produit légal »

Si le tabac est légal, c'est seulement à cause d'une série d'erreurs historiques provoquées par le comportement sournois des fabricants de tabac. Lorsqu'ils ont constaté au milieu du siècle dernier - bien avant les autorités médicales - que leurs produits causaient le cancer auprès des consommateurs, ils ont choisi de cacher cette information et de lancer la plus vaste campagne de désinformation que le monde ait jamais vue. Si aujourd'hui, on tentait d'introduire le tabac sur le marché pour la première fois, il serait immédiatement interdit. Mais comme le produit engendre une forte dépendance, on ne peut l'interdire sans pousser 1,5 million de fumeurs dans l'illégalité du jour au lendemain.

3) « Une partie de la population adulte continue de faire le choix de fumer »

Rappelons d'abord qu'au Québec, l'initiation au tabagisme se fait en moyenne à 12,7 ans. Il n'est donc pas question de « choix » - dans le sens d'un choix adulte informé - lorsqu'on parle de la décision de commencer à fumer. Il est vrai que plus d'un million de Québécois « continuent » de fumer, mais ce n'est pas non plus par « choix » : les trois quarts des fumeurs désirent arrêter, mais 9 sur 10 n'y arriveront pas à cause de la dépendance à la nicotine, qui est aussi puissante que celle à l'héroïne.

4) « Plusieurs nouvelles règles ont échoué à atteindre leurs objectifs avoués ... »

Pourtant, il existe un solide consensus scientifique mondial sur l'efficacité des mesures antitabac comme la taxation, les mises en garde, les restrictions sur la publicité et les interdictions de fumer dans les lieux publics. Si le tabagisme ne diminue pas en dépit de ces mesures, c'est entre autres parce que l'industrie continue d'inventer de nouvelles ruses afin de contourner les lois ou de rendre ses produits toujours plus attrayants. Ce n'est pas une coïncidence si la tendance à la baisse du tabagisme chez les jeunes Québécois s'est renversée au milieu des années 2000, suite à la mise en marché plus agressive des petits cigarillos aux fruits, et que le taux de tabagisme au Québec stagne autour de 24 % depuis.

5) « ... et, dans certains cas, [ces règles] se sont même avérées contre-productives. »

Si la contrebande constitue un sérieux problème, ce n'est pas en renonçant aux mesures antitabac qu'il convient de réagir, mais en instaurant des mesures de répression du crime. C'est ce qu'a fait le gouvernement du Québec depuis 2008, ce qui a mené à une diminution radicale de la contrebande -- passant de plus de 30 % du marché à 15 % en 2012, un taux qui se maintient malgré la hausse des taxes. (Soulignons au passage l'immense hypocrisie d'Imperial Tobacco dans le dossier de la contrebande, étant donné que cette même compagnie a plaidé coupable en 2008 à des chefs d'accusation l'impliquant dans la contrebande des années 90, dont l'objectif était de forcer les gouvernements à baisser les taxes.)

6) « L'excès de réglementation est une pente des plus glissantes qui mène vers un État paternaliste au détriment non seulement de l'industrie du tabac, mais aussi de l'ensemble des industries. »

Comment peut-on parler d'excès réglementaire lorsqu'il s'agit d'un produit qui tue la moitié de ses usagers? Le tabac échappe à tous les principes de protection du consommateur, n'étant ni soumis à la Loi sur les produits dangereux, ni à celle sur les aliments et les drogues, bien que le tabac contienne de la nicotine. Certes, l'alcool et la malbouffe comportent également des risques, mais on peut les consommer avec modération et vivre en santé. Or, le tabac est unique : il n'existe aucun niveau de consommation sécuritaire.

7) « Avec le dialogue, des faits et un débat ouvert ... nous pouvons atteindre un juste équilibre entre un contrôle réglementaire efficace et une réglementation excessive. »

Le seul « juste équilibre » acceptable en termes de « contrôle réglementaire efficace » est celui qui empêchera enfin l'industrie de rendre attrayants et socialement acceptables ses produits, la répugnance envers un produit nauséabond, toxicomanogène et mortel étant chose normale. La demande pour les produits du tabac existe uniquement en raison des décennies de marketing et de désinformation qui en ont fait un symbole de maturité et de rébellion qui, encore de nos jours, influence les 30 000 enfants et adolescents qui s'initient au tabagisme tous les ans au Québec.

Hélas, il n'est pas surprenant qu'une industrie aussi délinquante se rabatte à ce genre de tromperie et de désinformation, notamment pour maintenir l'environnement politique et législatif qui lui permet de s'enrichir aux dépens de la santé publique.

Ce qui est surprenant, c'est qu'au lieu de s'en dissocier, la communauté des affaires représentée par le Cercle canadien de Montréal préfère aider l'industrie du tabac en lui offrant sa tribune d'honneur. Quelle honte.

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