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Une nécessaire séparation des pouvoirs

Il faut bien entendu saluer la volonté de M.Péladeau de contribuer au service public. Mais il faut du même souffle reconnaître que sa candidature constitue un cas singulier, que les règles en vigueur ne sont pas en mesure de solutionner.
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Les questions que posent la concentration d'un nombre important de médias au sein de grands groupes et les « liaisons dangereuses » entre les pouvoirs médiatiques et politiques que cela peut engendrer ne sont pas nouvelles. Quelques exemples étrangers de dérapage (Italie, Angleterre) sont particulièrement éloquents. Chez nous, bien qu'ils aient été l'objet d'analyses multiples et de débats depuis 40 ans, ces problèmes n'ont jamais été réglés, parce qu'ils sont complexes, mais surtout par manque du courage politique requis pour s'y attaquer.

Les inquiétudes, jusque-là théoriques, souvent soulevées à ce sujet dans le passé sont soudain devenues bien concrètes la semaine dernière, avec l'annonce de la candidature de M. Pierre Karl Péladeau. Faut-il le rappeler, Québecor, dont il a été le « grand timonier », détient, entre autres, deux des quotidiens les plus importants du Québec et TVA, le réseau de télévision de loin le plus écouté. Si d'aventure ces médias unissaient leur force au service d'une idée ou d'un projet politique, l'impact pourrait être considérable. Les inquiétudes ne seraient que plus grandes si l'actionnaire de contrôle du groupe devenait ministre.

Des propositions insuffisantes

Les enjeux cruciaux qui découlent de cette candidature ont été, je crois, escamotés par des acteurs politiques contraints par les exigences trop souvent simplistes de la joute partisane. On veut nous convaincre qu'il suffirait, pour régler le problème, que M.Péladeau confie ses avoirs à un fiduciaire, sans droit de regard, et s'engage à respecter les règles d'éthique de l'Assemblée nationale. Cela manifeste soit une incompréhension de la question soit une volonté suspecte de l'éluder. Demander à M.Péladeau de vendre ses parts dans l'entreprise est tout aussi irréaliste. On ne pourra régler ainsi ce dossier en deux coups de cuillère à pot.

Il ne s'agit pas en effet de simplement veiller à ce que des contrats de consultation en informatique ou de publicité confiés par l'État aux entreprises que dirigeait M.Péladeau le soient en évitant tout conflit d'intérêts ; on sait que le Commissaire à l'éthique s'en chargera fort bien. Il faut aussi, sinon surtout, s'assurer que les médias de Québecor ne puissent orienter les grands débats de société et la vie politique dans le sens que pourrait le souhaiter leur principal actionnaire. Et on voit mal ce que peut faire, dans ce cas, le Commissaire à l'éthique dont l'autorité ne s'étend pas, que je sache, à Québecor. M.Péladeau ne dirigeait pas une entreprise ordinaire, mais une entreprise de presse, qui a la capacité « d'influencer » la population. Comme l'a bien expliqué le jurisconsulte de l'Assemblée nationale, M. Claude Bisson : « Quand vous êtes propriétaire d'une majorité d'actions, vous exercez toujours une certaine influence, ne serait-ce que morale » (La Presse +, 11 mars). Même si les actions sont dans une fiducie sans droit de regard.

Le monde des médias a changé

Bien sûr on pourra rétorquer que le monde des médias s'est transformé ces dernières années, que la multiplication des sites d'information, des blogues, la présence des réseaux sociaux multiplient à l'infini les points de vue et opinions et que l'ont ne peut plus envisager la concentration des médias et ses conséquences de la même manière qu'il y a dix ou quinze ans. Ce n'est qu'en partie vrai. La diversité des points de vue est sans doute florissante. Mais les nombreux blogueurs et autres commentateurs indépendants, dont le rayonnement est souvent modeste, sont tributaires des nouvelles diffusées par les médias traditionnels ; seuls ces derniers disposent des ressources financières et journalistiques requises pour assurer la collecte de l'information. Si des sujets ou thèmes sont privilégiés et d'autres laissés dans l'ombre par les médias traditionnels et «concentrés », les effets se retrouvent dans toute la chaîne d'information. Blogueurs et autres s'alimentent, sauf exception, aux grands médias qui restent les maîtres de l'ordre du jour de l'actualité.

Que faire ?

Il faut bien entendu saluer la volonté de M.Péladeau de contribuer au service public. Mais il faut du même souffle reconnaître que sa candidature constitue un cas singulier, que les règles en vigueur ne sont pas en mesure de solutionner. Certains s'en remettent, pour éviter les dérapages, aux journalistes et à leur professionnalisme. Leur marge de manœuvre a toutefois des limites et ce n'est pas leur faire injure de souhaiter qu'ils aient toutes les garanties possibles d'exercer leur métier en toute liberté.

Yvan Allaire et Michel Nadeau, qui ont vite compris que cette affaire exigeait une solution nouvelle et originale, ont suggéré dans ces pages (12 mars) un réarrangement de la structure de Québecor Media et de ses filiales qui mettrait les journaux et la télévision, « en droit et en fait, hors de portée de l'influence de M.Péladeau. » Cette proposition, trop vite oubliée, comporte des écueils, mais a certainement plus de mérite que les généralités que d'autres nous ont servies. L'idée, souvent mise de l'avant dans le passé, de doter les directions des rédactions d'un statut garantissant leur autonomie pourrait aussi être étudiée. Bref, il faut s'assurer qu'une réponse adéquate soit fournie rapidement, dissipant toute inquiétude. La séparation claire et sans équivoque des pouvoirs médiatiques et politiques est essentielle à la démocratie.

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