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Les paradoxes du «féminisme islamiste»

Le «féminisme islamiste», plus qu'un paradoxe, est une imposture.
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Peut-on parler d'un «féminisme islamiste» ? La formule étonne quand elle ne choque pas. Et l'association entre le référent laïque/occidental, d'un côté, et le référent religieux/islamique, de l'autre, semble irréconciliable.

Toutefois, il importe d'interroger ce phénomène au lieu de le rejeter d'emblée. La mouvance du «féminisme islamiste» a eu le mérite de sortir la question des femmes de la confidentialité domestique ou élitiste et de l'exposer au grand jour, posant les débats latents ou non tranchés depuis des siècles sur la mixité, le port du voile, le partage de l'espace public.

Elle a mis en exergue le dilemme de sociétés musulmanes vivant une forme de «schizophrénie» entre les progrès modernes et la tradition, entre l'appel du siècle et la peur d'y perdre son âme. Elle se prévaut également d'avoir son mot à dire sur les sources religieuses dont elle use pour étayer son discours.

Un «autre modèle» d'émancipation féminine ?

En outre, le «féminisme islamiste» formule l'idée, jusque-là inacceptable, de l'existence possible d'un «autre modèle» d'émancipation féminine. Il veut rompre avec une conception uniforme de la libération des femmes et un consensus général selon lequel le féminisme occidental reste la seule et unique réponse.

Il induit l'idée d'une prise en charge des musulmanes par elles-mêmes et de leur capacité à questionner l'époque des colonisations et des indépendances où elles n'avaient pas été consultées. Ces femmes affirment chercher dans leur propre tradition ce qui peut les émanciper. Elles entendent fournir une réponse «construite» à l'adresse des féministes occidentales, en se situant dans le camp d'en face.

Dès lors, il faudra admettre que ce ne sont pas seulement les modèles occidentaux qui mènent le processus de rupture dans la société arabo-musulmane traditionnelle, mais aussi, et paradoxalement, les modèles islamistes. Et force est de reconnaître que c'est dans ce cadre fermé et extrémiste que va se poser la question des «modalités du féminisme» avec le plus d'acuité.

Toutefois, les militantes islamistes ne sont pas à une contradiction près. Tout en défendant une place et un rôle pour les femmes, elles leur dénient un statut d'égalité.

Elles refusent d'être qualifiées de victimes, mais justifient le pouvoir en maître des hommes.

Elles veulent rentrer dans le champ du travail, mais signent le contrat de la charia, qui les relègue à des postes inférieurs.

Elles ne s'opposent pas aux progrès technologiques, mais elles réfutent la modernité et se désignent comme le symbole de l'identité musulmane.

Elles se montrent dans l'espace public, tout en réclamant le droit de se cacher sous le voile.

Elles veulent se suffire à elles-même et prendre en charge mari et famille, sans remettre en cause des règles religieuses comme celle qui les oblige à hériter moitié moins que les hommes.

Ni des victimes manipulées, ni des sujets libres

C'est là où le «féminisme islamiste» devient, plus qu'un paradoxe, une imposture. Car peut-on réclamer d'«exister» sans se considérer comme une personne à part entière ?

Peut-on prétendre se libérer du poids du corps via le voile, alors que celui-ci ne cesse de désigner la femme comme un corps avant tout ?

Peut-on défendre la féminité et vouloir, en même temps, supprimer la différence sexuelle dans l'espace public par l'intermédiaire du hijab ?

Par conséquent, s'il ne faut pas faire l'erreur de voir en ces militantes des victimes manipulées, il ne faut pas tomber, non plus, dans le piège qui ferait croire qu'elles sont des sujets libres de leur destin. Leur tentative de rechercher la formule d'un «islam contemporain» ne peut dissimuler leur emprisonnement dans un «islam d'hier», et leur offensive qui se veut «révolutionnaire» porte en elle tous les signes du conservatisme.

Dès lors, elles ne peuvent se prévaloir d'impulser une dynamique du futur, puisqu'elles érigent en loi la référence au passé. Ni de prendre date avec l'Histoire, alors qu'elles laissent l'Histoire décider à nouveau du sort des femmes d'un point de vue masculin.

Une version féminine du «choc des civilisations»

C'est dire si l'idée d'un «féminisme islamiste» tourne court, tant il paraît impossible que cette mouvance réussisse à changer le rapport de force traditionnel entre les deux sexes, ou qu'elle fasse naître «l'individu femme» en terre d'islam.

En regardant vers le passé, le «féminisme islamiste» institue une évolution à rebours du droit. Toute liberté féminine qui sortirait du dogme serait assimilée à un sacrilège. Sans compter que l'idée d'un refus du féminisme dit «occidental» s'inscrit dans la même attitude qui oppose l'Orient/musulman à l'Occident/chrétien et finit par produire une version au féminin de la fameuse idée de choc des civilisations.

Fawzia Zouari publie Le corps de ma mère le 24 mars 2016 aux éditions Gallimard.

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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