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Elle s'est éteinte, ladu féminisme musulman, Feue Fatima Mernissi, à Rabat, dans la matinée du 30 novembre 2015, à l'âge de 75 ans.
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Elle s'est éteinte, la passionaria du féminisme musulman, Feue Fatima Mernissi, à Rabat, dans la matinée du 30 novembre 2015, à l'âge de 75 ans. Icône de la cause des femmes et de la démocratie, elle a été nommée à plusieurs reprises, parmi les 100 femmes les plus influentes du monde arabo-musulman.

Fatima Mernissi est une sociologue et écrivaine marocaine qui a publié, depuis les années 1980, de nombreux ouvrages qui demeurent brulants d'actualité pour bien comprendre la mal qui frappe notre siècle, et les impacts ravageurs du patriarcat érigé en système, sous couvert de religion.

Maîtrisant l'arabe, le français et l'anglais, ses trois langues de publication, elle a été traduite dans plusieurs langues et ses écrits ne laissent jamais indifférents. Sa particularité: elle a osé interpréter le Coran et les hadiths (paroles du prophète Mohamed) d'une perspective féministe, un outrage pour les islamistes qui ne lui ont jamais épargné ni dénigrement ni menaces.

Accusée d'être une «apostat»

Je l'avais invitée, en octobre 1985, il y a 30 ans, comme conférencière au Colloque international que j'avais organisé, à l'Université du Québec à Montréal, sur «Les femmes musulmanes à l'ère des islamismes». Sa simple présence avait soulevé l'ire des groupes radicaux. Une douzaine de jeunes se disant membres de l'Association islamique de l'UQAM, se sont présentés à l'ouverture de l'événement pour y dénoncer sa participation, l'accusant d'être une «apostat».

À l'un d'eux qui l'a interpellé effrontément à la période de questions suivant sa conférence, elle a répondu calmement que les extrémistes ont tendance à être intolérants et «(...) se croient investis du pouvoir de l'inquisition». «Êtes-vous musulmane pratiquante?» Moi, je viens d'un pays qui est une théocratie, c'est-à-dire que l'on est musulman de par la loi, mais cela ne signifie pas que l'on doive jeter ceux qui ne pratiquent pas en prison» - Les femmes musulmanes à l'ère des islamismes, édité par Fatima Houda-Pepin, Montréal, 1987, p. 92.

Fatima Mernissi a fait une intervention percutante à ce colloque. Elle a impressionné par son savoir, son éloquence, son audace, sa sensibilité et sa manière d'être.

Une longue marche

Elle a abordé la longue marche des femmes musulmanes vers l'égalité, leurs reculs et leurs succès démystifiant le passé et éclairant l'avenir et s'est particulièrement attardée au cas de Sakina Bint El Hoceine, l'arrière petite fille du prophète, qui s'est opposée au port du «voile dit islamique» pour illustrer la résistance des femmes musulmanes aux idéologues obscurantistes qui ont pris le Coran et les Hadiths en otage et en ont déduit des interprétations rétrogrades qui occultent le rôle des femmes dans l'histoire, un vide entretenu jusqu'à nos jours. «L'idée que sous-tend le débat sur le voile est beaucoup plus profonde, affirma-t-elle, elle renvoie au corps de la femme comme centre de l'organisation de l'oppression et comme cible privilégiée de la structure patriarcale» (Ibid).

C'est cette lacune grave que Fatima Mernissi a tenté de combler, sa vie durant, par ses écrits, ses recherches, ses enquêtes et ses conférences. Son courage n'a d'égal que son audace de s'attaquer, avec une rigueur intellectuelle implacable, aux mythes fondateurs de l'islamisme radical, secouant ainsi les certitudes établies depuis des siècles de ronronnement intellectuel, dans un monde musulman rongé par une montée inexorable de l'idéologie salafiste et de son délire de haine à l'égard des femmes.

Fatima Mernissi a sillonné les continents pour faire reculer les frontières de l'ignorance et des préjugés à l'égard de l'islam et des femmes musulmanes. C'est une pionnière qui a défriché le terrain miné des idéologies dominantes et contribué, de façon significative, à lever le voile sur le rôle volontairement oublié des femmes dans l'islam.

Outre sa pertinence pour le temps présent, son œuvre s'inscrit dans la durée pour des générations à venir. Elle a su mettre à profit sa formation académique marocaine, française et américaine pour débusquer, rigoureusement et intelligemment les travers du patriarcat érigé en dogme, en terre d'islam.

Une démarche novatrice

Elle avait compris avant tout le monde que pour combattre les islamistes radicaux et leur haine des femmes, il fallait s'armer de plus que d'un doctorat en sociologie. Elle a choisi la voie la plus exigeante, celle du retour aux sources de l'islam, dont elle s'est appropriée les textes fondateurs. Une démarche novatrice et féconde qui traquera le patriarcat sous couvert de religion et en récusera les interprétations misogynes.

Cette démarche qui consiste à ne pas laisser l'islam aux fanatiques s'est avérée fort pertinente et surtout révolutionnaire. Voilà une femme, intellectuelle de surcroît, qui s'immisce dans un domaine à la fois complexe et sensible, un espace jusque là réservé aux «présumés savants» qui se sont arrogés le pouvoir de dire et d'interpréter la religion et qui ont bien pris soin de gommer la place déterminante des femmes dans l'islam.

Dans l'un de ses ouvrages, Le Harem politique: le prophète et les femmes, Fatima Mernissi va pousser l'audace jusqu'à questionner le bien fondé de certains hadiths qui leur sont défavorables. Elle se demandera pourquoi des hadiths à connotation sexiste, dont la fiabilité est discutable ont été codifiés comme étant véridiques, alors que d'autres où le prophète a manifesté une grande ouverture à leur égard ont été occultés? Le simple fait de poser la question est en soit un sacrilège pour les islamistes... Or, c'est cet islam des lumières qui manque cruellement à notre temps.

Fatima Mernissi nous a quittés mais son œuvre est là pour l'immortaliser. C'est une référence incontournable et inépuisable pour des générations, tant dans les pays musulmans qu'en Occident. Reposes en paix Fatima et Merci !

Fatima Mernissi a été professeure de sociologie à l'Université Mohamed V de Rabat et Chercheur à l'Institut universitaire de recherche scientifique de la même université. En 2003, elle s'est méritée le prestigieux prix Princesse des Asturies et le Prix Erasmus de la Fondation néerlandaise Erasmus, en 2004.

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