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Un roi, deux princes et des technocrates en Arabie saoudite

Le roi Salman d'Arabie saoudite vient de procéder à un remaniement qui confirme sa volonté de gouverner d'une façon radicalement différente.
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Intronisé le 23 janvier 2015, le roi Salman d'Arabie saoudite vient de procéder le 29 avril dernier à un remaniement ministériel qui confirme sa volonté de gouverner le royaume d'une façon radicalement différente de celle qui prévalait sous le règne de son prédécesseur, le roi Abdallah.

La rapidité avec laquelle il avait, dès son arrivée sur le trône, nommé (par décret) vice-prince héritier le prince Mohammed Bin Nayef (MBN), par ailleurs ministre de l'Intérieur, et son fils, Mohammed Bin Salman (MBS), ministre de la Défense et directeur de son cabinet royal, avait déjà surpris. Les deux jeunes princes sont issus du clan Soudeïri - clan le plus puissant au sein de la vaste famille royale Al Saoud.

Le premier, âgé de 55 ans, a bâti sa réputation de «Monsieur sécurité» en éradiquant les cellules jihadistes dans les années 2000, quand le second, à peine 34 ans, n'a d'autre expérience politique que celle d'avoir suivi son père. Les deux princes sont, cette fois-ci encore, les premiers bénéficiaires de ce remaniement ministériel: ils incarnent la nouvelle gouvernance monarchique.

Mohammed Bin Nayef (MBN) est aujourd'hui promu au rang de prince héritier à la place du prince Muqrin (ancien allié du roi Abdallah, il n'aura été maintenu que trois mois à cette fonction où il officiait comme simple figurant) tout en conservant ses fonctions de ministre de l'Intérieur et de président du Conseil des affaires politiques et de sécurité ; le second est promu vice-prince héritier, il perd son poste de directeur du cabinet royal mais conserve son portefeuille à la Défense et son poste de président du Conseil économique et de développement.

Ces décisions hautement stratégiques vont permettre de verrouiller sur le long terme la gestion du royaume en le confiant à un clan réduit de la famille royale, les Soudeïri. La célérité et la méthode interpellent à nouveau tant elles rompent avec une tradition de gouvernance par consensus et de prise de décision dans la lenteur. Le règne du roi Abdallah (régent de janvier 1996 à juillet 2005, puis roi du 1er août 2005 au 22 janvier 2015) a été marqué par cette gestion lourde: faute d'appartenir à un clan puissant, sans frères utérins, il a dû construire, avec d'autres clans issus de la famille royale, un système d'alliances contraignant pour contrebalancer le poids du clan Soudeïri, qu'il s'est d'ailleurs attaché à affaiblir au cours des trois dernières années de son règne. Que l'on interprète ce tournant comme une revanche du clan Soudeïri ou comme une volonté d'effectuer le saut générationnel tant attendu, compte tenu des défis intérieurs et régionaux immenses auxquels le royaume est confronté aujourd'hui, est certes une évidence.

Cependant, ce qui frappe le plus à la lecture du remaniement ministériel est la présence massive de technocrates aux postes de ministres ou de ministres d'État, comparativement à celle des membres issus de la famille royale. Sur 22 postes ministériels, 18 sont détenus par des technocrates pour seulement 4 par des princes Al Saoud - dont les deux princes MBN et MBS issus du clan Soudeïri, et le poste de ministre de la Garde nationale, pour l'heure conservé par le prince Mitaeb, fils du roi Abdallah - et 4 des 5 postes de ministres d'État sont pourvus par des technocrates et un seul par un prince Al Saoud. Le remplacement du prince Saoud Al Fayçal, à la tête du ministère des Affaires étrangères depuis 40 ans (qui demandait à se retirer depuis plusieurs années pour des raisons médicales), par Adil Jubayr, l'ambassadeur du royaume à Washington, technocrate quinquagénaire très compétent, est d'ailleurs le cas le plus emblématique de ce changement.

Un roi, deux princes et des technocrates

Davantage que le saut générationnel, certes une étape importante de la vie politique du royaume, c'est la stratégie méticuleusement pensée du clan Soudeïri, et notamment du roi en accord avec le nouveau prince héritier et son fils, MBS, de mise sur pied d'une gouvernance resserrée autour d'une poignée de princes issus du clan, essentiellement entourés d'une technocratie qualifiée et compétente. Il s'agit là d'une transition politique inédite de la monarchie et d'un tournant certainement décisif.

Le royaume d'Abdallah se caractérisait par des mesures progressives de libéralisation de la société, sans jamais de changement radical. Sous le roi Salman, après seulement 3 mois de règne, on assiste à une captation du pouvoir par un clan qui écarte une grande partie de la famille et confie la gestion du pays à des technocrates qui seront aux ordres du triumvirat à la tête du royaume: à savoir le roi Salman, le prince héritier et ministre de l'Intérieur Mohammed Bin Nayef et Mohammed Bin Salman, vice-prince héritier et ministre de la Défense.

Cette «soudeïrisation» du régime et sa nouvelle stratégie technocratique méritent une observation d'autant plus attentive qu'elles s'inscrivent dans un contexte économique de forte diminution des recettes pétrolières aggravé d'un contexte régional chaotique.

La date du remaniement ministériel est elle-même loin d'être anodine. Les princes MBN et surtout MBS (omniprésent dans les media) ont - pour conforter leur place de princes pivots de la troisième génération Al Saoud - indéniablement cherché à tirer parti de la ferveur nationaliste et patriotique sans précédent (sauf dans la région orientale où la communauté chiite est nombreuse) qui a fait suite au déclenchement de l'opération «Tempête décisive» le 26 mars 2015 pour contrer l'avancée des rebelles houthis (Chiites issus de la branche zaïdite) soutenus par l'Iran.

Alors que les conflits se multiplient et que l'influence de l'Iran dans la région ne cesse d'augmenter, les deux princes veulent incarner l'autorité et la sécurité, nécessaires à la stabilité de la monarchie saoudienne. Néanmoins, ce pari est à double tranchant: d'une part, le conflit au Yémen est loin d'être réglé et son prolongement ne peut qu'affecter la stabilité du royaume; d'autre part, la majorité des Saoudiens attendent des réponses sociales plus que sécuritaires.

Cette nouvelle alliance qui s'esquisse aujourd'hui au sommet de l'État saoudien va-t-elle tout simplement servir aux Soudeïri à renforcer leur contrôle du pouvoir ou bien, au contraire, sont-ils en train de procéder à un grand nettoyage au sein de la famille royale en vue de gouverner avec plus d'efficacité, de concert avec une technocratie issue de la société civile, sans doute davantage capable de répondre aux attentes d'une société saoudienne dont 70% de la population est âgée de moins de 30 ans et s'inquiète pour son avenir?

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Avril 2018

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