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Lettre à Pauline Marois de la part d'une Québécoise portant le hijab

RÉTRO 2013 - Vous ne me connaissez pas, mais moi je vous connais. Je m'adresse à vous en tant que Québécoise portant le hijab. Je m'adresse à vous d'une femme à une autre.
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Chère Madame Marois,

J'ai quelque chose sur le coeur et je dois vous en parler. Vous ne me connaissez pas, mais moi je vous connais. Je m'adresse à vous en tant que Québécoise portant le hijab. Je m'adresse à vous d'une femme à une autre.

Je vous écris, voyez-vous, au sujet de mon Québec, le Québec où je suis née et où j'ai été élevée, le Québec que mes parents ont choisi pour y refaire leur vie, il y a plus de 40 ans alors qu'ils ont quitté l'Allemagne. À l'exception de cinq années où j'ai vécu en Ontario, le Québec est le seul endroit que je puisse appeler chez moi, c'est l'endroit dont je m'ennuyais comme les frites s'ennuient du fromage en crottes, lorsque j'étais en Ontario.

J'ai grandi dans la classe moyenne supérieure au sein d'une communauté principalement anglophone du West Island de Montréal. J'étais une des seules élèves à la peau d'une couleur différente dans mon école de presque 500 élèves. J'étais studieuse et j'avais un boulot à temps partiel, et j'ai ensuite poursuivi mes études postsecondaires dans notre Belle Province.

Quand j'étais jeune, je jouais au hockey de rue, j'allais voir les parties de baseball locales et, l'hiver, j'adorais patiner. Comme la plupart des enfants de mon âge avant l'ère Internet, je me rendais au dép(anneur) en vélo avec mes amis pour y acheter des bonbons. C'est que, voyez-vous, dans le Québec où j'ai grandi, la couleur de ma peau ou comment je m'habillais n'avait pas vraiment d'importance, on n'en parlait pas au téléjournal de 18 h.

Lorsque je suis entrée au cégep au début des années 2000, j'ai fait le choix d'exprimer mon individualité et d'embrasser ma foi. Rien de très différent, en fin de compte, que mes pairs qui choisissaient plutôt de porter leurs cheveux en mohawk avec des jeans déchirés et une vingtaine de boucles d'oreilles. Nous avions tous, à notre façon, choisi d'exprimer notre individualité. Une des choses dont j'étais sûre, à ce moment, c'est que dans mon Québec, l'expression de son individualité était acceptée et encouragée.

Malgré le fait que mes parents s'y opposaient à l'époque, j'ai commencé à porter le hijab à l'hiver 2000. Cela m'a aliéné de certains membres de ma famille et de la communauté pakistanaise dont je faisais partie, mais j'avais également le soutien de nombreux amis québécois pour qui, tout comme pour moi, croient que l'expression de son individualité est une chose qui doit être faite avec la même fierté que l'on agite le fleurdelisée à la St-Jean Baptiste. J'ai tenu tête à ma famille et j'ai porté mon hijab. J'ai répondu avec fierté à toutes les questions de mes pairs au cégep qui se demandaient si c'était mon père qui me forçait à porter le hijab ou si on m'avait forcé à me marier pendant la période des fêtes. Je leur répondais que je le portais en tant que symbole de ma foi, de mes valeurs et de mon individualité. Ils ont compris, car ils comprenaient très bien, comme la majorité des adolescents nord-américains, l'importance de l'affirmation de son individualité.

J'ai continué de porter mon hijab au fil des ans, pendant le cégep et l'université, à travers mes différents emplois, mon mariage et ma migration vers une autre province. Je le portais avec fierté, une fierté très près de la fierté que je ressens envers ma terre natale.

Un jour, j'ai vécu une expérience déplaisante, en Ontario. J'ai dit, banalement, à un vieil homme qu'il ne faisait pas chaud cette journée-là, et il m'a répondu «retourne donc d'où tu viens». J'ai souri et je lui ai répondu «il ne fait pas plus chaud à Montréal».

Voyez-vous, madame Marois, je suis aujourd'hui une mère de famille. Mon mari et moi avons fait le choix d'élever et d'éduquer nos enfants à 85% en français. C'est notre choix. Personne ne nous y a forcés, et je possède le «certificat d'éligibilité». Et à tous les lecteurs non québécois, oui, il faut, dans cette province, être détenteur d'un certificat qui atteste que nos enfants ont le droit de recevoir une éducation en anglais. Malgré le fait que nous ayons ce certificat, nous avons choisi d'envoyer nos enfants dans une école où la majorité de leur éducation se fait en français. We are proud!

Pendant toutes ces années, je ne tarissais de fierté pour ma belle province, mon chez-moi, mon Québec. Malgré la nature ridicule de cette Charte des valeurs que vous proposez, je refuse d'avoir honte de mon Québec. Il semble qu'au fil des ans, il soit devenu excusable de ne pas discuter de l'immense dette de notre province, de ses routes dignes de cratères lunaires, de la corruption apparemment systémique de tous les paliers de gouvernement ou de l'avenir de notre système de santé. Au lieu de cela, vous avez choisi de porter votre attention sur un bout de tissu et d'autres symboles religieux.

Il y a quelques années, le système d'éducation du Québec a changé et il est devenu non-confessionnel. Cela ne m'a pas affecté directement et j'ai respecté cette décision; je n'y voyais aucune raison de monter aux barricades. Cela signifiait simplement qu'on ne nous enseignerait plus des histoires de la bible, comme lorsque j'étais au primaire.

J'honore et pratique ma religion en privé et à ma façon et, contrairement à ce que vous semblez craindre, je n'essaie pas de l'imposer à qui que ce soit. N'importe quelle femme dans mon entourage pourra vous le confirmer, je suis coquette et j'assortis toujours mon hijab aux autres vêtements que je porte, car, voyez-vous, mon hijab n'est pas seulement un symbole religieux, c'est aussi une expression de qui je suis.

J'écoutais la radio dans ma voiture aujourd'hui, et j'ai entendu le commentaire suivant au sujet de votre proposition de Charte des valeurs: «C'est pour les autres». J'ai eu envie de ranger ma voiture sur le bord de la route tellement j'étais abasourdie. Si cette charte a pour but de nous «protéger» des «autres», je vous prie de m'expliquer ce que cela signifie aux milliers de personnes comme moi, ceux qui ne sont pas «les autres», mais «les nôtres», ceux qui, comme moi, sont nés ici, qui mangent de la poutine et jouent au hockey, mais qui portent également le hijab, le turban, la kippa ou une étoile de David sur une chaîne autour de leur cou.

De toute évidence, vous comprenez bien l'importance de l'immense croix au sommet du Mont-Royal ou du crucifix à l'Assemblée nationale. Alors, à mon tour de vous demander de comprendre que nous avons aussi le droit à l'expression de notre individualité. J'ai des amis juifs qui portent la kippa : c'est leur droit, leur liberté et leur décision. Il en va de même pour mes amis sikhs et leur turban et pour moi et mon hijab.

Il est grand temps que nous arrêtions de prétendre que cette proposition de Charte des valeurs est autre chose qu'une bigote tentative d'étouffer le droit à l'individualité et à la liberté de s'habiller comme bon nous semble. Si les 20 boucles d'oreilles et les cheveux violets de mon voisin sont acceptables, pourquoi est-ce qu'un bout de tissu sur ma tête ne le serait pas?

C'est à travers le dialogue et la liberté d'expression que les communautés s'épanouissent. C'est l'éducation des citoyens qui rend notre culture plus forte, pas l'interdiction du «tissu social» des «autres». Forcer une personne à retirer un vêtement, c'est leur retirer leur liberté d'expression, et cela crée un environnement d'hostilité et d'ignorance. Faire une telle chose c'est forcer l'humanité à effectuer un immense retour en arrière, et c'est quelque chose que je ne peux pas accepter pour mon Québec.

Signé,

Une fière Québécoise musulmane portant le hijab

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