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Quel est le dilemme cornélien posé par le piratage de TV5 Monde?

Le dilemme cornélien posé par le piratage de TV5 Monde: notre société doit réagir... mais avec prudence.
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Le dilemme cornélien posé par le piratage de TV5 Monde: notre société doit réagir... mais avec prudence.

Notre société est entrée manifestement dans l'ère du cyber-jihad, un des avatars du cyber-terrorisme, qui consiste dans l'utilisation frauduleuse de nos vecteurs d'information à des fins de propagande. Nous avions connu par le passé la mise en ligne des vidéos montrant des exécutions sur des sites de partage, les intrusions dans des sites web, mais c'est la première fois qu'est commise une attaque multicanale et que le contrôle d'un média est ainsi pris sous toutes ses formes de communication (onze chaînes de TV, un site web et deux réseaux sociaux).

L'interruption à l'échelle internationale, pendant 3 heures, de la diffusion des programmes de TV5 Monde (1ere chaîne généraliste mondiale en français), est une atteinte à nos libertés fondamentales, reconnues et protégées tant par le droit français que par le droit européen. En effet, en empêchant un média de diffuser ses programmes, il est porté atteinte à la liberté de la presse, à la liberté d'information et à la liberté d'expression.

La prise de contrôle, par les cyber-djihadistes, du site internet et des comptes Facebook et Twitter de TV5 Monde, ainsi que la diffusion de message de propagande constituent aussi une série d'atteintes à nos droits, atteintes qui sont toutes de nature à être pénalement sanctionnées. Une enquête semble avoir été ouverte pour des faits présumés d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, et d'accès, maintien frauduleux et entrave au fonctionnement d'un système de traitement automatique de données (articles 323-1 et suivants du Code Pénal, selon les cas entre 2 à 3 ans de prison).

Le contenu même des messages diffusés par les cyber-djihadistes et notamment "C'est pour ça que les Français ont reçu les cadeaux de janvier à Charlie Hebdo et à l'Hyper Cacher" est susceptible d'une qualification pénale et notamment du délit d'apologie du terrorisme.

Les premiers enseignements que nous pouvons tirer de cette cyber-agression sont au moins doubles:

  • D'un point de vue technique, cela met en exergue la vulnérabilité des "tuyaux";
  • D'un point de vue répressif, les outils juridiques existent mais ils sont difficilement applicables.

La complexité technique d'Internet et des réseaux sociaux nous donnait l'illusion d'une sécurité. Or il semble que ce média ne soit qu'une citadelle aux milles portes dont aucune ne serait verrouillée. Cette « citadelle de papier » pourrait donc être facilement prise et être transformée en phare de propagande. La prévention par le renforcement de la cyber-protection doit donc devenir une priorité absolue, surtout du fait des difficultés que pose la lutte contre le cyber-terrorisme.

S'agissant de la répression, il existe déjà dans notre arsenal juridique des outils permettant de poursuivre et de sanctionner les auteurs de telles attaques. La difficulté est ailleurs. C'est celle, du fait du caractère international de la cybercriminalité, de l'identification et de l'appréhension des auteurs présumés. En effet, pour lutter contre de tels experts en technologie, il faut notamment les identifier...et pour ce faire, aussi disposer de moyens d'investigation et de surveillance.

Rappelons que la loi sur le renseignement est actuellement débattue au Parlement. C'est donc un sujet d'actualité et ce type d'attaque milite pour le renforcement des pouvoirs des enquêteurs. Cependant, face aux nouveaux pouvoirs qu'impose ce nouveau type de lutte, il faut impérativement prévoir des contre-pouvoirs, notamment par un contrôle opéré par le juge. Or, cela ne semble pas être l'esprit du projet de loi actuel.

Cette nouvelle agression démontre que nos libertés fondamentales sont vulnérables, et qu'il faut donc agir très rapidement pour les protéger. Cette impérieuse nécessité, qui devrait remporter l'adhésion de tous, porte néanmoins en elle un danger. Il ne faut pas qu'au motif de renforcer la protection de nos libertés, on adopte dans l'urgence et dans l'émotion des lois qui pourraient aboutir à tuer lesdites libertés.

Il est impérieux de renforcer le pouvoir des enquêteurs, mais il faut conserver à l'esprit cette question posée depuis l'antiquité: "Qui gardera les gardes?" Seul le Juge, qu'il soit judiciaire ou administratif, est capable de protéger nos libertés individuelles.

Oui, l'attaque de TV5 Monde appelle une réaction et une amplification des moyens de lutte pour protéger notre démocratie. Ne créons pas cependant, sous le couvert d'une émotion légitime, des outils qui demain pourront être utilisées à d'autres fins et qui pourraient mettre en péril la démocratie.

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