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Des huards canadiens dans les paradis fiscaux

Les révélations du Consortium international des journalistes d'enquête font frémir tous les fraudeurs fiscaux de la planète. N'allez cependant pas croire que les paradis fiscaux ne servent qu'aux vedettes de la commission Charbonneau, aux politiciens socialistes français ou aux dictateurs en tout genre. Non. Votre voisin, votre frère ou peut-être votre patron a son fonds de pension là-bas. Voyons comment ça fonctionne.
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Les révélations du Consortium international des journalistes d'enquête font frémir tous les fraudeurs fiscaux de la planète. Avec prudence, les grands médias appartenant à des familles fortunées nous rappellent tous qu'il n'est pas illégal d'avoir des comptes offshore. Mais ceux-ci ne doivent pas rester secrets. Ben oui, quelqu'un se donne tout ce trouble et envoie des millions sous les cocotiers réputés pour leur «secret bancaire» et c'est dans un dessein noble! Foutaise.

On fait affaire avec la Suisse, les Caïmans, les Bahamas ou les îles Cook pour cacher son argent et ses intérêts futurs. Rien de compliqué. Celui qui ne veut pas frauder le fisc paye ses impôts. Le moins possible, mais il les paye. Il n'y a qu'une façon acceptable de recourir aux paradis fiscaux: y déménager! Déchirez votre carte soleil, votre assurance sociale et renoncez à votre RRQ et à la pension fédérale et je commencerais à avoir un début de respect.

N'allez pas croire que les paradis fiscaux ne servent qu'aux vedettes de la commission Charbonneau, aux politiciens socialistes français ou aux dictateurs en tout genre. Non. Votre voisin, votre frère ou peut-être votre patron a son fonds de pension là-bas.

Voyons comment ça fonctionne.

UBS recrutait à Montréal

Les banquiers suisses ne recrutent pas seulement leurs richissimes clients en Europe ou aux États-Unis, mais bien partout où on trouve des bien nantis. Et il y en a chez nous.

Voici le témoignage de Simon, un conseiller de valeurs mobilières du centre-ville de Montréal. À l'emploi d'une des grandes banques canadiennes, il a dû, contre son gré, administrer un compte de placement d'une cliente canadienne qui a blanchi son argent à l'aide d'un banquier suisse.

Au début des années 2000, Simon gérait encore tous les actifs de la famille T. En dix ans, l'actif grimpait tranquillement, mais pas assez vite aux yeux de madame. Du 7 ou 8 % net annuel, c'était trop pépère à son goût. D'autant plus que son portefeuille de 5 millions dégageait environ 250 000 $ de gains imposables à chaque année.

En 2001, madame menace de quitter la banque. «C'est pas compliqué, elle m'a lancé un ultimatum. Ou bien je lui trouvais une façon de régler son problème fiscal ou bien elle déménageait son compte chez mon voisin du boulevard René-Lévesque. On était dans un contexte difficile, les technos venaient de planter et les comptes de cette valeur, on voulait les conserver. Mon directeur a donc fourni à madame T les coordonnées de monsieur S, un banquier suisse qui recrutait pour l'UBS.» L'Union des banques suisses, celle-là même qui a eu maille à partir avec le fisc américain et l'Agence du revenu du Canada.

La grande virée de monsieur S

Simon a pu ainsi retenir pendant quelques années, la gestion quotidienne des comptes de type enregistré de la famille T, comme les REER, les REEE et CRI. Pour le reste, il a donné les grandes politiques de placements à sa cliente qui a fait sortir en douce, un joli magot.

Voici la technique: «Lorsque monsieur S est au pays, il fait la grande tournée. Il est à Montréal pour une semaine ou deux et ramasse les enveloppes. C'est un habitué. Nommez-moi, n'importe laquelle des grandes banques à Montréal, il a fait affaire avec elle c'est certain! Monsieur S, c'est un grand fan de hockey. Alors, venir à Montréal, c'est une vraie partie de plaisir. Il a même son condo sur la rue Sherbrooke. Il demande seulement du comptant, alors les clients comme madame T, lui apporte ça par tranche de 50 000$. »

- Cash? T'es sérieux. Les clients n'ont pas peur qu'il disparaisse dans la brume?

«Ben, ils sont craintifs au début, c'est pour ça qu'ils n'apportent que 50 000 $ à la fois. Comme c'est leur propre banque qui les a référés, ils savent qui aller voir si jamais un dépôt ne figurait pas sur l'état de compte à la fin du mois, ou s'il manquait ne serait-ce qu'un seul billet de 100 $. Pas d'inquiétude, Monsieur S est d'une droiture et d'une honnêteté exemplaire. Je l'ai vu faire en personne, Il est très méticuleux et ne prend pas n'importe quel client. Il ne touche à rien qui a l'air de louche. Il fait même des vérifications de crédits s'il a des doutes sur des activités criminelles. L'argent du crime, il ne touche pas à ça. Il charge cher, mais le compte est toujours bon. Une fois, j'ai eu connaissance d'une vive inquiétude. Il y a quelques années, le banquier a eu un gros accident d'auto entre Montréal et Québec. Il était sérieusement amoché et a dû être hospitalisé. Comme il ne répondait plus à son portable, des dizaines de clients inquiets ont appelé à la banque. Heureusement, il s'est rétabli rapidement. Leur argent n'avait pas disparu!»

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Surprise, l'argent reste ici!

- Tu dis qu'il charge cher. C'est combien ça?

«Ça dépend des montants en jeu, mais d'ordinaire c'est 3 % pour chaque dépôt et 2 % de frais annuels, incluant leur frais de courtage canadien. C'est vrai que ça fait cher, mais pas mal moins que les 250 000$ en impôt que payait la famille T pour ses comptes ouverts.»

- Minute, je ne comprends pas. Tu dis 2 % incluant les frais de courtage canadien. Les 50 000$ en cash, ils s'envolaient pas pour la Suisse ?

«Es-tu fou ! Ça ne passe pas dans les avions ça, des centaines de milliers de dollars en cash! Oublie les mallettes de James Bond. On n'a pas droit de dépasser 10 000 $ canadiens dans nos bagages, tu ne vas pas dans l'sud des fois? Tu devrais savoir ça. L'argent ne quitte jamais Montréal. C'est pour ça qu'on le référait. Ces enveloppes de cash, il venait les redéposer dans la journée dans nos succursales. Il avait des comptes partout. Au lieu que le client soit identifié clairement, c'était devenu un compte numéroté appartenant à la banque suisse. Pis tu sauras que la plupart des clients investissent dans ce qu'ils connaissent ; des fonds mutuels connus, du Bombardier, Barrick, RIM, Power, Hydro-Québec et beaucoup d'obligations du Canada, des provinces et des villes canadiennes.»

- T'es en train de me dire que l'argent reste ici et est même investi dans l'économie canadienne?

«Ben, en bonne partie de ce que j'ai vu, c'est exact. Certains ont des comptes où monsieur S gère à sa discrétion, et c'est là que le compte devient surtout composé de valeurs américaines et européennes qu'il transige chez eux. Avec le taux de change qui joue au Yo-yo, le monde aime moins ça!»

Simon n'a plus madame T comme cliente. Éternelle insatisfaite, en 2008 elle a fini par transférer ses économies ailleurs. Elle était toujours à la recherche d'un meilleur rendement et de moindre frais. Et Monsieur S, est-il toujours actif à Montréal ?

«Je ne le sais pas. De notre côté, on ne le réfère plus. La chasse aux terroristes a rendu la direction très nerveuse. Il faut dire que le CANAFE surveille davantage les transactions d'importance. Et maintenant, tous les virements de plus de 10 000 $ seront déclarés à l'ARC.»

Les conservateurs sont-ils sérieux?

Il n'ya pas de hasard dans la vie. Cela fait sans doute de longs mois que le gouvernement Harper sait qu'une chasse mondiale aux fraudeurs fiscaux sera enclenchée. Ils savaient probablement aussi qu'une sénatrice libérale et un avocat canadien en vue seraient montrés du doigt. Je crois que le budget a été ajusté en conséquence. La majorité des spécialistes commentant le budget se sont montrés fort surpris d'y lire les intentions du fédéral d'attaquer l'évasion fiscale de front et d'encourager la délation. Maintenant, reste à savoir s'ils sont sérieux ou ne cherche qu'à faire un show de relation publique. En 2009 on a eu entre les mains, une liste d'UBS et de la HSBC, et il ne s'est rien passé de très spectaculaire.

Je vais prendre très au sérieux notre ministre des Finances la journée où il va mettre en demeure nos grandes banques de révéler l'identité des citoyens canadiens qui investissent directement ou indirectement dans leurs succursales des Antilles et des Caraïbes.

Vous avez du gros, du moyen ou du petit cash au soleil ou dans un compte suisse? Dénoncez-vous! Stéphane Leblanc, fiscaliste chez Ernst & Young et moi échangions hier sur Twitter à propos des 450 Canadiens qui figurent sur les documents rendus public cette semaine.

- Selon vous, les fraudeurs canadiens doivent-ils se dénoncer au plus vite?

- Probablement, car je pense que le gouvernement va tout faire pour mettre la main sur la liste.

Se dénoncer ne va pas annuler complètement les amendes et pénalités, mais disons que ce sera un facteur atténuant.

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Les plus riches (Forbes, 2013)

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