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Je vais vous raconter l'histoire de mon périple avec une commission scolaire que je ne nommerai pas...
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Je vais vous raconter l'histoire de mon périple avec une commission scolaire que je ne nommerai pas...

Retour sur cette chronique de Foglia publiée dans La Presse il y a quelques années, qui m'incite à vous raconter ce qui m'est arrivé, il y a deux ans d'abord, puis il y a quelques jours.

«Les nouveaux profs? Zéro en littérature, zéro en philo, zéro en histoire, mais 100% en pédagogie. Du savoir-faire en masse, peu de savoir tout court.»

Premier métier

Court préambule : je l'ai dit et répété, je suis immigrante arrivée enfant ou tout juste avant l'adolescence au Québec. Lorsque j'avais 14 ans, je ne devrais pas le dire parce que je n'avais pas l'âge légal, j'ai travaillé pour payer mes études, les samedis, les dimanches et les étés dans un salon de coiffure à Westmount et ce, jusqu'à l'âge de 18 ans. Et oui, tout comme Fabrice Luchini.

Il faut croire que l'esprit le moindrement littéraire et philosophique aime ce vagabondage dans les méandres du chevelu naturel et de l'incursion dans les têtes.

Comme tout immigrant, mon père était ravi. Sa fille se dirigeait vers un métier qui lui permettra de survivre financièrement. J'ai bien dû le décevoir lorsque j'allais à l'université pour y étudier d'abord en science politique puis la littérature et la psycho-pédagogie. J'étais piquée et j'avais cette soif de partager mon amour pour la littérature, pour les mots, la grammaire l'orthographe... et la langue française.

Du coq à l'âne

Au sortir de l'université et, avant de plonger dans le journalisme parce que c'était le métier que je voulais exercer, depuis enfant, imbibée des livres du Club des Cinq , j'ai fait ce que toute immigrante se doit de faire, s'assurer d'un métier vers lequel elle pourra toujours revenir si les temps sont durs.

J'ai donc passé cinq ans à enseigner à l'école secondaire protestante, mais d'abord catholique. On m'y avait acceptée, puisque je portais le nom de famille de mon mari québécois/catholique de naissance et de souche, non sans me faire la remarque, de ne pas dévoiler mon identité juive et d'être discrète à ce propos.

Certificat, permis et brevet

Cinq années d'enseignement à temps plein me permettaient d'obtenir un brevet et un permis d'enseigner «à vie» et même d'ouvrir une école québécoise, m'avait-on assuré, pendant l'un des cours de psychopédagogie. À mon grand étonnement.

Donc pendant de nombreuses années, j'y ai enseigné le français, l'expression dramatique, et croyez-le ou non, la biologie - que j'étudiais la veille pour disséquer les petits animaux le lendemain, ainsi que le cours de dactylo - je ne savais pas taper avec la méthode à l'époque, personne ne s'en est rendu compte. «Quand on est une bonne pédagogue, m'avait dit le directeur et, c'est ton cas, on peut enseigner à peu près n'importe quelle matière...»

Or, voilà qu'il y a deux ans, je repensais à mon premier métier, pas celui de coloriste, mais celui d'enseignante au secondaire et, je me disais que ce ne serait pas une mauvaise décision que d'y retourner avec, comme bagage, une vie professionnelle bien remplie.

Reconnecter les générations entre elles

Redonner aux jeunes le goût d'apprendre. J'ai initié, il y a quelques années, le projet Fusion Jeunesse, pour contrer le décrochage scolaire. Je suis le mentor d'une dizaine de jeunes. J'aide les ados de mes amis à faire leurs devoirs, mais ce n'était pas suffisant. Je voulais retourner dans une école après avoir passé 13 ans comme cadre et chargée de cours de littérature des 40 dernières années à l'université Concordia. Et après avoir été comblée par les différents postes que j'ai occupés.

Examen de français

Je postulais donc comme enseignante. J'envoyais mon offre de service à l'une des commissions scolaires du Québec.

J'ai aussi pris la peine de me renseigner à savoir si mon dossier était bien acheminé. Une surprise d'entendre la dame me répondre au téléphone que je devais passer un Examen de français obligatoire. Maintenant. Examen que les jeunes trouvent trop difficile au point de publier les questions sur Facebook.

Soit. J'acquiesce, bien entendu, puisque c'est obligatoire. Maintenant.

Elle m'informe que l'examen se passe tous les deux ou trois mois, si je me souviens bien, et qu'il y avait bien un examen prévu le lendemain, mais que, comme je n'avais pas étudié les livres, je ne devrais pas essayer de le passer.

Je la contredis en lui mentionnant que j'ai été journaliste, chargée de cours, pas plus tard que l'année précédente à l'université Concordia, pour le cours de littérature française et que je ne croyais pas avoir besoin d'étudier la grammaire et l'orthographe. Que j'avais passé, à l'âge de vingt ans, un an ou deux avec le Bon Usage comme livre de chevet... que finalement je devrais donc pouvoir m'en sortir.

Arrivée à l'examen, quelle ne fut pas mon autre surprise de voir des jeunes plongés dans un cahier d'exercices! Oui! Un vrai cahier d'exercice en papier et non les yeux rivés sur leur téléphone intelligent ou isolés derrière leur fil blanc à écouter de la musique.

Je me risquais, par-dessus l'épaule, un coup d'œil sur les pages de mon voisin. La phrase faisait référence à « quatre vingt » (sans s et sans trait d'union) ou « quatre-vingts » (avec un s et un trait d'union). Je souriais.

Ce que je ne savais pas, c'est qu'il suffisait d'apprendre par cœur le cahier pour satisfaire aux exigences de l'examen.

Les correcteurs

Ce que je ne savais pas non plus, c'est qu'il fallait écrire avec un stylo. J'avais de la difficulté non seulement à tenir un stylo, trop de machine à écrire et d'ordinateurs et, comble de malheur, je ne suis pas de la génération des correcteurs instantanés qui m'ont fait perdre un temps fou tant je les déroulais sans savoir comment m'en servir.

Je passais donc l'examen avec une note honorable qui me permettait de rappeler la dame en question pour lui demander si tout était okay et si j'avais une chance de pouvoir réintégrer un poste d'enseignante.

Là. Je vous le donne en mille. La dame me répond: c'est vrai que vous avez eu un bon résultat compte tenu du fait que vous n'avez pas étudié. Aussitôt ces paroles prononcées, je me proposais d'étudier les livres en question, pour reprendre l'examen et améliorer mon résultat si nécessaire, lorsque la dame m'affirme que, mon 2e diplôme obtenu il y a trop longtemps, n'était plus valable et qu'il me fallait retourner étudier une année de pédagogie à l'université, car les méthodes avaient changé.

Je tenais l'appareil téléphonique dans les mains. Sidérée. Il me semblait qu'un certificat en psychopédagogie, obtenu en sus d'un baccalauréat en littérature plus la validation d'un permis et d'un brevet d'enseignement, étaient suffisants; que le fait d'avoir enseigné à l'université un an auparavant était garant d'une approche pédagogique sérieuse et significative. Et bien. Non.

Les diplômes des immigrants

Cette journée-là, dans les journaux du matin, je me souviens avoir lu qu'il y aurait, au Québec, un assouplissement de la reconnaissance des diplômes des étrangers.

Mais là. Nous étions dans un autre monde. Les diplômes obtenus au Québec eux, n'étaient pas reconnus et avaient une date de péremption.

J'ai été plusieurs heures à tourner et retourner cette expérience dans ma tête. Pour comprendre où était l'erreur. Certains chercheurs universitaires ou professeurs au CEGEP obtiennent des postes de professeurs alors qu'ils font d'importantes recherches, mais sont de piètres pédagogues. Jamais il ne leur est demandé de se mettre au diapason. À jour.

Je connais des professeurs universitaires qui n'ont pas encore fait le saut dans le merveilleux monde de la technologie ni ne connaissent les médias sociaux encore moins les i-cloudés de ce monde.

Étude sur les souffrances des enseignants et 30 vies

J'ai donc récidivé au printemps cette année en lisant une annonce de demandes d'enseignants dans toutes les matières et en écoutant un jour cet intéressant téléroman qui questionne subtilement le milieu et nous projette des professeurs dédiés et sympathiques qui allument les élèves sans faire de rapports de grilles basées sur des réformes constantes, 30 vies et, surtout en lisant cette analyse de Denis Geffrey sur les souffrances des enseignants dans le système d'éducation actuel, toujours d'actualité.

Là, je me suis rendue plus loin. J'ai décroché une entrevue que j'ai passée avec une personne qui me récitait les questions, crispée sur sa feuille, qui répétait les mêmes gestes et les mêmes paroles après chaque question. Un robot avec un programme de reconnaissance de mots-clés aurait fait mieux non seulement pendant l'entrevue et ensuite pour la suite de l'analyse.

Puis arriva une lettre m'indiquant que ma candidature n'avait pas été retenue.

Ni une ni deux, je demande des explications aux ressources humaines de la commission scolaire. Le robot humain qui m'a passé l'entrevue me contacte et me signale qu'elle me trouvait si intéressante qu'elle aurait volontiers pris un café avec moi. Je n'ai pas vraiment besoin d'amies. J'ai plutôt besoin de travailler et de m'investir mon temps et mon énergie dans ce qui me passionne. Le robot finit par me dire que, sur les 10 questions, j'avais bien «sur 8 bonnes, mais que j'en ai manqué deux». Puis elle finit par avouer que ce n'était pas sa décision, qu'il fallait que je demande des explications à l'analyste général de mon dossier.

Si je dirais que...

Soit. J'appelle l'analyste qui prend deux jours pour me répondre. Première phrase: «SI JE DIRAIS QUE ... je ne me souviens pas de votre dossier». Je le rectifiais à deux reprises: «Si je disais ... monsieur, si je disais...» que c'est la personne qui vous a passé l'entrevue qui m'a recommandé de ne pas retenir vos services. Renvoi de la balle de l'un à l'autre. Je lui demande donc de consulter mon dossier et de me revenir.

Nous étions mardi, il me mentionne qu'il me rappellerait le jeudi ou vendredi ou au plus tard le lundi suivant.

Le jeudi, le vendredi, le lundi suivant passent. Pas d'appels. Je laissais donc un message le mardi matin... le jeudi matin; puis le jeudi après-midi, je laissais un message au robot qui m'a passé l'entrevue. 4 minutes après. Je reçois le retour d'appel attendu 4 jours plus tôt de l'analyste ... «Si je dirais que...».

Qui me prévient que les méthodes ont changé et qu'après évaluation de mon dossier, ils ne retiendraient pas ma candidature à cause de cela.

Parenthèse ici pour :

  • Plaindre les jeunes qui devront assumer les retraites des « vieux », les plus de 50 ans qui, comme plusieurs d'entre nous, sommes en pleine santé, en pleine capacité de nos moyens, à qui on refuse de travailler. Nous «les vieux», finalement qui ne demandons pas mieux que de lâcher prise et de nous faire vivre par vous qui allez en payer les pots cassés. Attristée pour vous, les jeunes.
  • Triste pour les pauvres immigrants, doctorats en poche et dossiers universitaires de grande qualité, que je peux imaginer plus valable et plus compétent que « si je dirais que... » faire des sous-métiers alors qu'un analyste de dossiers de ressources humaines de commission scolaire ne connaît pas même la première règle apprise à l'école élémentaire. J'ai honte.
  • Je dois donner raison à la première fonctionnaire qui m'a parlé, il y a deux ans, au téléphone. Je ne suis pas de la bonne génération des nouveaux enseignants. Je ne sais pas utiliser les correcteurs instantanés que je fais dérouler sans savoir ni comment cibler et les arrêter pour blanchir et effacer les erreurs.

Pour clore ce partage d'expérience. Une anecdote. Je me trouvais au Complexe Guy Favreau. Je cherchais l'ascenseur, lorsque j'entends l'homme de maintenance, diriger avec un accent espagnol, un homme qui cherchait les toilettes. Il indique la bonne direction à l'homme qui ne l'a pas même remercié. Et à l'homme de maintenance de dire avec un sourire attristé: «De rien Monsieur. Bonne fin de journée.»

Parfois, je m'arrête pour discuter avec ces personnes issues de l'immigration qui agissent avec civisme pour connaître leur histoire et surtout pour savoir quel diplômé se cache derrière l'immigrant. Je ne l'ai pas fait. J'aurais été peinée de le savoir.

Qu'il se rassure, les diplômes québécois eux ont des dates de péremption.

Voilà. J'ai voulu raconter ce qui précède: histoire de nous sortir du climat de désespérance mondiale pour entrer dans la désespérance locale.

«Si je dirais...», comme Foglia... Dans le sens du poing sur la table: ça va faire, les niaiseries!

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