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Quand le message fait mal, débarrasse-toi du messager

Je n'ai pas vu. Par contre, je connais le grand homme qu'est Lucien Bouchard, pour l'avoir côtoyé pendant de nombreux mois et pendant deux campagnes intenses: celle du Non au référendum sur les accords de Charlottetown et celle qui a mené les 54 députés bloquistes formant ainsi l'opposition officielle à Ottawa.
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Ce titre est tiré du livre publié à la naissance du Bloc québécois: Un nouveau parti pour l'étape décisive, rédigé sous la direction de Lucien Bouchard en 1993, page 36.

J'ai beaucoup hésité à rédiger ce billet. J'ai lu les premiers tweets et posts Facebook à propos de l'Homme, Lucien Bouchard, en vue de la diffusion à Télé Québec, du documentaire du réalisateur Carl Leblanc, Nation, huis clos avec Lucien Bouchard.

Je me suis fait discrète. Peu de gens savent que j'avais travaillé au début de la mise sur pied du Bloc québécois jusqu'à l'entrée des 54 fiers députés du Bloc à Ottawa; comme je me fais discrète lorsqu'on dénigre le personnage sur la toile, sur les médias sociaux ou lors de discussion de salon.

Trois questions

Comment défaire une perception? Une désillusion? Une perte de confiance?

Je n'ai pas vu le documentaire Nation, huis clos avec Lucien Bouchard (L'angle Péloquin - vidéo La Presse). J'attends comme vous ce lundi soir. Par contre, je connais le grand homme qu'est Lucien Bouchard, pour l'avoir côtoyé pendant de nombreux mois et pendant deux campagnes intenses : celle du Non au référendum sur les accords de Charlottetown et celle qui a mené les 54 députés bloquistes formant ainsi l'opposition officielle à Ottawa.

Une des raisons de ce billet est de répondre à la toute première question, qui m'a été et qui m'est constamment posée, toujours comme introduction lorsqu'il s'agit de M. Bouchard et de son implication en politique, par les journalistes, les militants, par des jeunes politiciens, ou par les gens en général, qui connaissent mon parcours et mon travail dans ces années-là. Y répondre avant que les médias sociaux ne s'emballent lundi déviant ainsi l'essentiel.

Lucien Bouchard est-il souverainiste?

Cette question qui court déjà sur le web et qui sera assurément à nouveau posée lundi pendant le visionnement du documentaire : Lucien Bouchard était-il souverainiste?

Comme la plupart savent que j'ai une formation en littérature et que les livres occupent une partie importante de ma vie sinon la plus significative, je renverrais la réponse à la lecture de deux ou trois livres. C'est, par ailleurs, la réponse que je donnais chaque fois que la question m'était posée. Lisez ce qu'il écrit et ce qu'il a autrefois écrit. Lisez!

Ne vous contentez pas de colporter ou de questionner sans avoir lu son parcours et les décisions difficiles qu'il a prises.

Le drame du Québec

J'ai lu le billet de Mathieu Bock-Côté, Il était une fois Lucien Bouchard avec un grand intérêt. J'étais d'accord avec chacune de ses lignes. Plus encore avec celle-ci qui résume à elle seule, nombres d'analyses sur l'actuelle situation du Québec :

« Le drame du Québec, c'est de n'avoir réussi ni l'indépendance ni la société distincte. »

Les origines

Lucien Bouchard était aimé par la population en général, par la base passionnée formée par les militants du Bloc et du Parti québécois, gonflés à bloc, pour certains, par l'idée d'un futur référendum. J'en étais témoin, en 92 et 93, sur le terrain de Lebel-sur-Quévillon à Grand-mère en passant par Saint-Irénée, partout il soulevait les foules. Et partout cette même réflexion, toujours la même : Lucien Bouchard, c'est « un gars de Saint-Cœur-de-Marie », il nous comprend.

Et maintenant? Il ne nous comprend plus? Pourtant ses origines n'ont pas changé.

À visage découvert

Ceux qui se souviennent de cette période de 1991 à 1995, se souviendront donc sûrement des deux essais de Lucien Bouchard, publiés en 1992 et 1993 : À visage découvert et Un nouveau parti pour l'étape décisive.

Dans le premier, un essai rédigé dans un style autobiographique, Lucien Bouchard dévoile des pans de sa vie privée et conte sans censure les réflexions qui l'ont mené à démissionner du poste de ministre de l'Environnement sous le gouvernement Mulroney.

Dans les huit pages que comporte sa lettre de démission adressée à Brian Mulroney, publiée vers la fin du livre, il y détaille la situation du Québec, son rapport avec le reste du Canada, la place qu'il devrait occuper et précise les liens futurs dans la francophonie et avec la communauté internationale. Cette lettre n'a pas pris une ride.

« Seul un État québécois démocratiquement nanti d'un mandat clair, fondé sur la récupération de ses pleines attributions, disposera de l'autorité politique nécessaire pour négocier l'association canadienne de demain. » p. 324

Il termine cette lettre par ces mots adressés directement à M. Mulroney : « Je vous sais fidèle à vos rêves et à vos engagements de jeunesse. Vous accepterez, j'en suis sûr, que je le sois aux miens. »

La déchirure

Et pour clore ce chapitre intitulé « La déchirure », il ajoute : « Tout était consommé. Il ne me restait plus qu'à subir les conséquences de ma décision. »

Une des premières conséquences de sa décision a été d'amener la coalition de dissidents élus québécois qui a formé le Bloc québécois à Ottawa, à convaincre d'abord la population du Québec de rejeter les accords de Charlottetown. Puis de définir par la suite, le mandat du groupe formé par le Bloc, dans un essai: Un nouveau parti pour une étape décisive, 122 pages qui détaillent l'importante question de la légitimité, à l'époque, de ce nouveau parti avec en filigrane la nécessaire souveraineté du Québec, en vue des élections fédérales de 93.

Le Bloc québécois à Ottawa

Partout et dans tous les discours livrés pendant la période où je le suivais comme attachée de presse et responsable des communications - nous étions pendant longtemps une petite équipe de 3 personnes - Lucien Bouchard répétait que le Bloc québécois irait à Ottawa pour un mandat unique. Le temps de préparer le référendum. Mandat qu'il a par la suite rempli :

« Par respect pour nos amis du Canada anglais, mais aussi pour les préparer à la suite des choses, il est temps de leur parler vrai et de leur dire : « le Québec vient de désavouer tous ses partis fédéralistes, ceux-là mêmes qui ont essayé de lui vendre le recul de Charlottetown. Il sait maintenant que la souveraineté est la seule voie qui s'offre à lui. » (page 115)

Beaucoup de questions, peu de réponses

Relire ces deux essais à la lumière du dernier résultat des élections trouble. Et cette phrase qui résonne : « Le Québec vient de désavouer tous ses partis fédéralistes »...

Non! Ce n'est pas le cas de la dernière élection provinciale.

Lorsque les critiques venant, entre autres, des militants fusent sur les médias sociaux où certains déclarent, « Je n'aime pas ce qu'il est devenu », il faudrait poser la question :

Que sommes-nous devenus?

Et la véritable question est de savoir ce qu'en pensent ceux qui ont voté pour le gouvernement actuel?

Ne pas lire : je n'aime pas ce qu'il est devenu, mais plutôt : « Je n'aime pas ce que nous sommes devenus ». Une population qui porte au pouvoir majoritairement le Parti libéral ne peut pas dignement dire : je n'aime pas ce que Lucien Bouchard est devenu, mais devrait se poser la question: que sommes-nous devenus ? Et où allons-nous collectivement?

Avons-nous fait suffisamment pour le Québec? Autant que l'homme qui ne voulait pas faire de politique pour amener le Québec à sa pleine autonomie?

La lecture des essais de Lucien Bouchard fournit nombre de détails rappelant l'histoire du Québec, son rapport avec le Canada à l'heure de repenser et revoir en profondeur le Parti québécois. Leur relecture suffit à elle seule à redonner des munitions pour la suite.

Retour sur les trois questions

Alors aux trois questions posées plus haut, en nous la renvoyant en miroir: Comment défaire une perception? Une désillusion? Une perte de confiance?

C'est à la population du Québec d'y répondre durant les quatre prochaines années, surtout lors des prochaines élections, avant de remettre en question l'implication ou la loyauté politique d'un grand homme qui a contribué à faire avancer le Québec. Il ne nous restera plus aussi qu'à subir les conséquences de notre décision collective.

Je terminerais ce billet par cette affirmation de Mathieu Bock-Côté, en parlant de Lucien Bouchard: «Il a souhaité profondément l'indépendance du Québec. Elle aurait représenté l'aboutissement le plus naturel de l'histoire.»

L'histoire en a décidé autrement, mais elle n'a pas encore dit son dernier mot. Ni lui non plus, souhaitons-nous-le.

La noblesse de servir

Je pourrais continuer ce texte pendant des centaines de pages. Rapporter certaines de ses affirmations écrites dans ses discours, alors qu'il était premier ministre du Québec, dans ses Lettres à un jeune politicien, où il dit : «Il n'y a rien de plus humain que la politique, rien de plus noble que de servir ses concitoyens.»

J'arrêterai ici pour l'instant sinon pour vous dire que je suis privilégiée d'avoir côtoyé l'humain, le politicien et l'homme de lettres, Lucien Bouchard, celui qui croyait à la souveraineté du Québec.

Je repense souvent à nos conversations, pendant les longs voyages en voiture, en avion ou en train, où nous discutions avec un immense plaisir, histoire de perdre du temps... de Marcel Proust, de politique, mais aussi de Stefan Zweig, de ses enfants Simon et Alexandre, des derniers jours d'Hitler, du nationalisme allemand ou québécois, des militants qu'il respectait tant, des discours de Sir Winston Churchill, ou de Michel Rocard, des États-Unis, de la France, de la francophonie, du Saguenay et des bleuets, que nous apercevions du haut des airs, qui formaient sur la terre un immense tapis rouge, splendide à l'automne.

Et je me souviens aussi de cette phrase qu'un de ses amis lui avait dit un jour. Il me pardonnera cette indiscrétion de la citer : vous ne pourrez jamais faire de la politique, vous n'avez pas assez d'égo et trop de vision.

J'en suis maintenant convaincue.

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