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La prostitution doit être complétement décriminalisée au Canada

Nous croyons que la décriminalisation est la solution. Pour ce faire, il s'agirait essentiellement de retirer du Code criminel tous les articles criminalisant la prostitution ainsi que les lois administratives y étant rattachées. C'est ce qu'a fait la Nouvelle-Zélande, en 2003.
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Ce billet est cosigné par Caroline Leblanc, Étienne Boudou-Laforce, Stéphanie Houde et Lyne Fortin (étudiant-es à la maîtrise en service social, Université de Sherbrooke); Sébastien Bilodeau (étudiant à la maîtrise en service social, Université de Montréal); Julie Marceau et Catherine Bouchard (étudiantes à la maîtrise en sexologie, concentration en études féministes, Université du Québec à Montréal); Rachel Walliser (étudiante à la maîtrise en sexologie, concentration clinique, Université du Québec à Montréal); Maxime Vallée (étudiant à la maîtrise en sociologie, Université du Québec à Montréal); Laurence Lorie Olivier (étudiante au baccalauréat en service social, Université du Québec à Montréal); Nadine Bégin (étudiante au baccalauréat en sexologie, Université du Québec à Montréal); Julien Morin (étudiant au baccalauréat en service social, Université Laval); Maryann Bouchard et Édith Gauthier (sexologues); François Doyon (enseignant en philosophie, Cégep de Saint-Jérôme).

Le 13 juin dernier, les audiences de la cause Bedford contre Canada ont relancé de plus belle le débat entourant la prostitution. Il va sans dire que cette cause, qui vise à décriminaliser totalement la prostitution au Canada, aura de très importantes conséquences sur le sort de toutes les travailleuses et travailleurs du sexe (TDS) du pays par une décision finale de la Cour suprême du Canada qui sera connu d'ici quelques mois.

À cet égard, nous croyons que si la cause en venait à être victorieuse, en invalidant les trois articles qui traitent de la prostitution (les maisons de débauche, vivre du fruit de la prostitution et la sollicitation), il s'agirait d'un grand avancement pour des milliers de femmes et d'hommes, étant donné que les lois actuelles les privent de leur droit aux protections légales et sociales tel leur droit à la sécurité, à l'autonomie et à l'égalité, mais aussi à celles des normes du travail. En effet, bien que la prostitution soit légale au Canada, le Code criminel canadien considère comme illégales les activités qui permettent son exercice - aussi absurde que cela puisse sembler.

On criminalise donc des actions qui permettraient aux TDS de bénéficier de conditions de travail plus équitables et sécuritaires, comme de négocier clairement avec leurs clients et partenaires de travail, de travailler seules ou en groupe, à l'extérieur ou à l'intérieur, et de pouvoir rapporter les abus et les discriminations vécues sans peur d'être soi-même criminalisé. Ainsi, contrairement aux abolitionnistes et aux néo-abolitionnistes, nous prenons position en faveur d'une décriminalisation complète de la prostitution.

Le droit à l'autodétermination

Plusieurs regroupements féministes se partagent le débat sur la prostitution. Certaines féministes appuient la criminalisation alors que d'autres se battent pour dénoncer les conditions de vie dans lesquelles les TDS doivent travailler. Les féministes abolitionnistes adhérent à la philosophie «criminaliser encore plus» afin de bannir et punir la prostitution sous toutes ses formes, accentuant ainsi les divisions entre la pute de la madone. Opposée à la criminalisation, la féministe Simone de Beauvoir explique dans ses ouvrages qu'on ne doit pas s'arrêter sur l'essence des personnes, mais plutôt sur les conditions actuelles dans lesquelles elles vivent. De plus, elle revendique le droit aux femmes de travailler en toute liberté.

Par ailleurs, il est regrettable, qu'à travers plusieurs publications abolitionnistes, on retienne seulement la parole des femmes qui se disent victimes du système prostitutionnel. Toute femme voulant rester dans la prostitution et lutter pour changer les conditions de travail des prostitués est exclue des discours et considérée comme une aliénée. Pour justifier la criminalisation, on prétend malhonnêtement que les personnes qui exercent le travail du sexe sont toutes des victimes impuissantes qui ont besoin d'être sauvées, discréditant ainsi leur capacité d'agir et les réduisant au silence.

Depuis les années 1980, de nombreuses études et rapports gouvernementaux ont démontré que les politiques répressives étaient inefficaces, elles tendent même à augmenter la vulnérabilité des TDS. De plus, le fait de considérer la prostitution comme une violence en soi réduit les possibilités de contrer les violences subies à l'intérieur même de ce milieu. Cette criminalisation provoque aussi de l'exclusion sociale et de l'oppression chez les TDS.

Le mouvement féministe a permis depuis plusieurs années d'acquérir des avancés à l'égard de la condition féminine. Nous pouvons penser au droit de vote, à l'avortement, la reconnaissance du droit au consentement sexuel, ainsi que le droit à l'indépendance juridique et économique. Mais qu'advient-il du droit au travail? Plus particulièrement du travail du sexe? Les TDS n'ont-ils pas droit de jouir d'une autonomie face à leur corps, leurs sexualités et leur travail entre adultes consentants?

De l'inefficacité du modèle suédois

Certaines féministes abolitionnistes soutiennent que décriminaliser les prostituées tout en maintenant la pénalisation des clients serait une voie profitable pour un meilleur sort des TDS. Plusieurs organismes adoptent cette position, tels les Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) et la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle (CLES), allant souvent à promouvoir le modèle suédois en la matière.

Cette position ne règle pourtant en rien les problématiques précédemment exposées. Lorsque la clientèle - tout comme la prostituée - est criminalisée, la négociation, la communication, mais également le «filtrage» est plus difficile. L'on peut voir cela avec le modèle suédois. Celui-ci n'a pas réussi à améliorer les conditions de vie des TDS. Différents intervenants et chercheurs suédois, mais également les ministères de la Justice et de la Police de Suède, ont émis de vives critiques à l'endroit de la loi de 1999 qui pénalisent les clients-proxénètes. Les TDS ne sont pas mieux protégés puisque ce modèle prohibitionniste les force à travailler dans l'ombre, tend à l'exacerbation de la répression à leur endroit et les éloigne des ressources sanitaires et juridiques. Comme le soutient Claire Thiboutot, ancienne directrice et co-fondatrice de l'organisme Chez Stella: « [...] Tant que la prostitution s'exercera sur fond de clandestinité, les filles resteront vulnérables ».

L'exemple de la Nouvelle-Zélande

Nous croyons que la décriminalisation est la solution. Pour ce faire, il s'agirait essentiellement de retirer du Code criminel tous les articles criminalisant la prostitution ainsi que les lois administratives y étant rattachées. C'est ce qu'a fait la Nouvelle-Zélande, en 2003, en choisissant le modèle de la décriminalisation complète. Depuis ce temps, une documentation étoffée a pu témoigner que les conditions de vie des personnes qui exercent le travail du sexe se sont améliorées.

Certes, il y a encore de la violence et des abus, mais le progrès est bien réel. Élaboré avec la collaboration des principaux acteurs impliqués, ce modèle permet notamment d'obliger le port du condom, d'accueillir les clients dans des endroits plus sécuritaires, refuser un service sexuel et faire appel aux instances juridiques et policières sans craindre de représailles. Décriminaliser c'est aussi permettre aux TDS d'avoir un accès plus aisé aux services de santé, de déployer des ressources pour faciliter la trajectoire de sortie de la prostitution pour les personnes qui le désirent, combattre les jugements sociaux, le stigmate de pute, et permettre à ces personnes d'être davantage intégrées dans leur communauté.

À l'égard du modèle de la Nouvelle-Zélande, Patrice Corriveau, professeur au département de criminologie de l'Université d'Ottawa, soutient que «[...] 90 % des travailleuses du sexe interviewées là-bas s'estiment aujourd'hui mieux protégés. N'est-ce pas là l'objectif premier dans ce débat?». Même les abolitionnistes ne peuvent que difficilement critiquer le bilan de la Nouvelle-Zélande. D'ailleurs, ce n'est peut-être pas un hasard s'ils se gardent bien d'évoquer son modèle sur la place publique.

Pour finir, il apparaît que le combat que mène depuis 2007, en Ontario, les trois travailleuses du sexe Terri-Jean Bedford, Amy Lebovitch et Valerie Scott, de contester trois articles du Code criminel canadien concernant la prostitution, est des plus nécessaires, car il vise une meilleure santé, sécurité et dignité de tous les TDS du pays, en plus d'approuver leur droit à l'autodétermination. À n'en pas douter, leur combat, de colère et d'espoir, marquera l'histoire canadienne.

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