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Le souverainisme de province

C'est l'idéologie «étapiste» qui est à la source du marasme qu'a vécu et que vit toujours le mouvement souverainiste.
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Depuis la défaite historique du Parti québécois en avril dernier, les souverainistes sont divisés sur la perspective que doit prendre l'accession à l'indépendance. À cet égard, un essai qui apporte une perspective radicalement différente de celle longtemps défendue par le PQ devrait faire couler beaucoup d'encre. Ce livre, de Simon-Pierre Savard-Tremblay, s'intitule Le Souverainisme de province.

Le présent billet cherchera à en faire une recension.

Dans cet essai qui parait aujourd'hui chez Boréal, M. Savard-Tremblay retrace la genèse du mouvement indépendantiste et livre une éclairante synthèse de toute l'histoire du renfermement provincial du mouvement souverainiste.

Disons-le tout de suite : le constat est d'une lucidité foudroyante. Personne n'est épargné (Lévesque, Bouchard, Duceppe, etc.) et l'ouvrage invite tous les indépendantistes, souverainistes, séparatistes et tutti quanti à se regarder une bonne fois pour toutes dans le miroir.

La thèse principale du livre est la suivante : c'est au cours de la décennie 1970 que s'est opéré le basculement du souverainisme vers une logique... provincialiste. Plus concrètement, c'est l'idéologie «étapiste» qui est à la source du marasme qu'a vécu et que vit toujours le mouvement souverainiste.

Prendre note que l'ensemble des citations de ce billet provient directement du livre de M. Savard-Tremblay.

Tout aurait commencé à la fin de la campagne électorale de 1973, par l'envoi d'une petite carte de rappel «rassurante» avant le vote. Cette carte de rappel disait pour l'essentiel à l'électeur que son vote déterminerait le prochain gouvernement du Québec seulement, et qu'en aucun cas on ne toucherait au statut constitutionnel du Québec.

Cette stratégie réconfortante, elle se muta malheureusement en programme politique en 1974 : «le PQ serait d'abord élu pour offrir un «bon gouvernement» de province, puis, il solliciterait un mandat sur la souveraineté-association» par le biais d'un référendum. Il s'agit là rien de moins qu' «une transformation profonde du rapport à l'exercice du pouvoir et au processus électoral.».

C'est le point de non-retour pour le Parti québécois, qui épouse alors une nouvelle culture politique qui le bouleversera à jamais : l'«étapisme».

L'«étapisme» pernicieux

L'«étapisme» ou cette posture rassurante qui tient pour acquis le peuple n'est pas prêt pour la souveraineté. Le but de ce «souverainisme moderne», porté en premier lieu par René Lévesque, est simple : «dédramatiser le sens profond d'un vote en faveur du Parti Québécois.» et démontrer que les souverainistes ont la capacité de gouverner et donc qu'ils peuvent être dignes de confiance. Il s'agit de faire une corrélation simpliste entre la popularité du gouvernement, celle-ci émanant d'une bonne gestion provinciale, et des avancées de la cause indépendantiste.

Mais «Une telle posture est-elle vraiment réaliste?» de lancer l'auteur, alors que l'idée même de la souveraineté de même que son caractère urgent sont fortement niés. Puis, il advient qu' « un gouvernement souverainiste qui serait particulièrement performant ne démontrerait-il pas que le statut provincial suffit amplement pour assurer le développement de la nation québécoise? ». En séparant clairement l'action gouvernementale de sa raison d'être, on prive le souverainisme de ses assises fondamentales.

Le problème avec l'«étapisme» c'est qu'il transforme «l'indépendance en évènement alors qu'il s'agissait auparavant d'un processus.». La position du PQ devient alors paradoxale. On mise tout sur le référendum, sur ce providentiel grand soir, et ce, en diluant ou niant toutes les autres actions possibles pour les souverainistes. Les démarches tactiques et actes de ruptures deviennent alors des actes non légitimes auprès de la population.

Le PQ pré-1974, lui, ne faisait aucun compris quant à l'idée «d'exercer le pouvoir et la construction effective du pays québécois.». Là, on en est loin.

Alors que l'élection du PQ - ou de tout parti indépendantiste- doit «engagé le Québec sur la voie de la réalisation de facto de l'indépendance» et détenir de par son élection un véritable rapport de force à l'endroit d'Ottawa, voilà que le «référendisme étapiste» met à mal la préparation de la reconnaissance de l'État indépendant québécois. L'auteur est sans appel : la stratégie «étapisme», en misant tout sur le référendum, «confisque ainsi une question essentiellement politique pour l'enfermer dans un juridisme idéaliste.». Parallèlement, le PQ est condamné à «transformer les scrutins en élections pour un bon gouvernement à l'instar des autres formations qui, elles, assument pleinement leur consentement au Canada.».

Un extrait résume particulièrement bien les conséquences pernicieuses de l'«étapisme» :

«L'«étapisme» impose au PQ de se convertir à la critique politicienne au détriment du procès du régime, embrassant une vision essentiellement gestionnaire combinée aux dangers d'une usure du pouvoir et d'une intériorisation des réflexes de la gouvernance provinciale. Il pousse le souverainisme sur la pente glissante du politiquement correct, de la peur du conflit ouvert. Assimilant bien souvent la fermeté à l'extrémisme, il mène au refus du conflit des légitimités, donnant de facto son assentiment au cadre canadien.»

Le souverainisme contre lui-même

On connaît la suite, le souverainisme n'a cessé de se «déployer contre lui-même.», par le biais de démarches bonnes ententiste à l'endroit d'Ottawa et d'orientations d'accommodement avec le cadre provincial.

On l'a bien vu en 1976 : le premier mandat de René Lévesque «a été consacré à la gestion provinciale, évacuant toute remise en question des limites imposées par le régime d'Ottawa.». En 1980, la stratégie référendaire floue et à la vue béante de l'adversaire fut un échec éclatant. Après la défaite du référendum, Lévesque, toujours, n'incorpora pas la souveraineté à la campagne de 1981. Ratoutons qu'en 1982, Trudeau profita de la bonne foi de Lévesque pour asseoir durablement les mythes du bilinguisme et du multiculturalisme au Canada, favorisant ainsi l'isolement et l'affaiblissement du Québec.

Plus inquiétant encore, et «contre toute logique, le durcissement du régime d'Ottawa n'entraîna pas celui des souverainistes.», remarque très justement l'auteur.

Et cela ne s'arrêta pas là...

Plus récemment, lors de la course à la chefferie du PQ de 2005, une majorité de candidats «ont utilisé la promesse du référendum rapide pour se livrer à des concours de calendriers, limitant le débat à une question de date.». Lors du passage de Pauline Marois comme chef au PQ, ce fut la même chose : elle fut élue sur le compte de sa popularité plutôt que sur la pertinence de son plan d'action. Et si sa «gouvernance souverainiste» était pertinente sur papier, il advient que «Le virage n'a malheureusement été que symbolique: le PQ, sous Marois, n'a pas été différent de ce qu'il était sous ses prédécesseurs.». On a pu le voir avec le poing levé de Pierre Karl Péladeau lors des dernières élections, le PQ n'a pas su faire face à sa mission historique, s'abstenant de faire l'éloge du projet d'indépendance et se bornant à dire ad nauseam que les Québécois ne sont pas prêts à faire l'indépendance...

Le Bloc québécois de Gilles Duceppe, lui aussi, en adoptant une posture semblable, a mordu la poussière en 2011. C'est ce qui arrive lorsque l'on s'inscrit dans une simple logique de «défendre les intérêts et les valeurs du Québec à Ottawa en attendant l'avènement de la souveraineté.», le tout en se comportant «comme une «loyale opposition de Sa Majesté», disciplinée et respectueuse du parlementarisme canadien.».

Un souverainisme de «valeurs»

Par ailleurs, au-delà de la stratégie «étapisme», on observe qu'au courant des années 2000 la souveraineté devient une affaire de «valeurs», «celles d'un Québec prétendu progressiste à la différence d'un Canada conservateur, plutôt qu'une question d'intérêt national.» La vague orange de 2011 n'est d'ailleurs pas étrangère à ce nouveau paradigme.

À cet égard, l'auteur met en garde : ces visées idéologiques ne sont là que pour compenser notre incapacité à penser l'intérêt national. Si l'indépendance mène à la défense décomplexée de nos choix en tant que québécois, «elle devrait s'opérer dans un esprit d'intérêt national et non de respect absolu d'un quelconque petit catéchisme idéologique.». L'intérêt national doit en somme transcender les étiquettes, notamment en ne cherchant point à se positionner coûte que coûte sur l'axe idéologique de la «gauche» et de la «droite», axe souvent bien artificiel et semant la division.

«Le nécessaire consensus de l'intérêt national doit se traduire par la construction du nouveau pays québécois en laissant de côté les sempiternels débats sur les emblèmes, sur l'hymne national, sur le salaire minimum ou sur la durée de la semaine de travail. Cela serait sombrer encore une fois dans des divisions qui n'en valent pas la peine et qui accroîtraient encore davantage le fossé qui sépare les souverainistes d'une population qui les perçoit comme déconnectés du réel. C'est autour des grandes orientations que doit se construire un ensemble de politiques s'inscrivant dans le parachèvement de l'État-nation.»

Des solutions existent

L'auteur invite les indépendantistes à épouser une réelle vision de l'intérêt national et de mettre de côté la logique partisane qui anime la plupart du temps l'échiquier politique actuel.

Pour se faire, il adviendrait notamment d'«identifier une série de dossiers sur lesquels les intérêts supérieurs du Québec et ceux du Canada divergent fortement», la géopolitique de l'énergie et des ressources naturelles, notamment. Ainsi, les différents acteurs politiques n'auraient d'autres choix que de se révéler au grand jour et de choisir leurs camps. Quant à des mesures concrètes qui participeraient au parachèvement du pays réel? On laisse entendre qu'il pourrait par exemple s'agir de la mise en place d'un rapport d'impôt unique, d'un Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Québec et de l'établissement d'une nouvelle Charte de la langue française. L'auteur rajoute que «les indépendantistes doivent être en mesure de lier véritablement les enjeux contemporains non pas à des politiques provinciales, mais à un changement de régime.». À cet égard, les exemples ne manquent pas quant à l'importance d'une libération politique du cadre fédéral : le pont Champlain, le communautarisme religieux, la tragédie du Lac-Mégantic, le projet d'oléoduc Énergie Est, etc.

En somme, l'indépendantisme doit s'affranchir de ce provincialisme qui le ronge de l'intérieur et qui «condamne le Québec à la petitesse.».

***

Vous l'aurez compris, je vous recommande vivement la lecture du livre de Simon-Pierre Savard-Tremblay.

Il s'agit d'un captivant voyage à travers l'histoire du souverainisme et de son nécessaire redressement.

Et plus encore, d'un livre dont le mouvement souverainiste avait urgemment besoin.

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