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Finances et indépendance: entrevue avec Maxime Duchesne

Bien que le fédéral verse plus d'argent au Québec qu'il n'en reçoit, le Québec n'est pas dans une situation critique de dépendance et serait viable sur le plan des finances publiques s'il était indépendant.
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Maxime Duchesne est l'auteur du livre Finances d'un Québec indépendant, une étude qui affirme notamment qu'un Québec indépendant serait en meilleure posture qu'en 1980 et 1995.

Pensez-vous qu'il faille s'évertuer à donner du «lustre économique» au projet de pays, puisque par le passé le projet a davantage été lié à des enjeux culturels, identitaires et de langue?

Oui, c'est d'ailleurs pourquoi j'ai voulu mettre à jour les études passées, car je croyais que c'était très important d'avoir des chiffres et personne d'autre ne le faisait! J'ai donc entrepris d'étudier à fond la question. Mais peu importe que mon étude soit sortie ou non, il n'y a pas un seul économiste moindrement sérieux qui croit qu'un Québec indépendant ne serait pas viable. Pourtant, la perception populaire semble croire qu'un Québec indépendant ne serait pas viable sans les transferts fédéraux tels que la péréquation, perception largement entretenue par des groupes de pression. Or, la perception est la réalité en politique. Beaucoup de gens ne veulent donc pas entendre parler de l'indépendance tant que ce n'est pas «viable» et tant que le Québec est dépendant financièrement de l'Alberta et du reste du Canada.

Bien entendu, le Québec contribue aussi aux montants reliés à la péréquation en contribuant, pour l'année 2013-2014, à environ 18% des revenus fédéraux. De plus, l'élimination des dédoublements et la faible présence du fédéral au Québec font aussi en sorte de dresser un portrait moins sombre pour le Québec.

Bref, bien que le fédéral verse plus d'argent au Québec qu'il n'en reçoit, le Québec n'est pas dans une situation critique de dépendance et serait viable sur le plan des finances publiques s'il était indépendant. L'indépendance permet au Québec de faire face à ses enjeux avec tous ses moyens et prendre des décisions centrées autour de ses intérêts, notamment économiques, mais aussi culturels, linguistiques et identitaires.

On apprenait récemment que 41% de la population voterait «Oui» à un référendum sur la souveraineté, cette proportion grimpant à 52% chez les francophones, et ce alors qu'il n'y a pas actuellement de grande mobilisation envers le projet de pays; comment interprétez-vous ces chiffres?

Premièrement, 41% dans un sondage, ce n'est pas 41% dans les urnes: beaucoup d'indécis sont habituellement répartis entre le oui et le non alors que le statu quo serait plus confortant pour ces indécis.

Tant les menaces de désastre économique des fédéralistes et les promesses de changements (toujours lors des campagnes référendaires et toujours à minuit moins une) font en sorte que ces indécis pencheraient plus du côté du non. Mais que ce soit 33% ou 41%, c'est plutôt élevé alors que le principal parti politique porteur du projet indépendantiste, le Parti québécois, n'en parle que rarement et, lorsqu'il le fait, c'est plus souvent qu'autrement destiné aux militants lorsque vient le temps de récolter des dons et des bénévoles!

Les indépendantistes n'ont plus l'initiative depuis longtemps et laissent leurs adversaires contrôler l'agenda et les définir depuis trop longtemps. Dans ces circonstances, je suis surpris qu'il n'y ait pas plus de démobilisation chez les militants indépendantistes, bien que beaucoup soient «fatigués» et découragés. Il y a donc un certain potentiel pour la cause indépendantiste, mais ce n'est pas en promettant de ne pas mettre un sou dans le développement du projet que le PQ mobilisera!

Que pensez-vous de la tournure que prend la course à la chefferie au PQ et de la place que tient l'indépendance? Pensez-vous que les aspirant(e)s à la chefferie devraient mettre au cœur de leur démarche des explications du pays réel, notamment à l'égard de ses finances hypothétiques?

Je crois qu'il faut retourner à la base: quels sont les problèmes actuels du Québec et quelles pourraient être les solutions? L'indépendance, en soi, n'est pas la solution à tout, mais elle permettrait dans certains cas de développer des politiques publiques adaptées aux problèmes, alors que la division des pouvoirs et des responsabilités fait en sorte que les politiques sont rarement aussi efficaces qu'elles ne pourraient l'être dans un Québec indépendant. Les candidats à la chefferie du PQ doivent revenir à la base et proposer un projet de pays centré autour des intérêts et des besoins de la population, sans pour autant tenter de leur faire croire que la souveraineté réglerait tous les problèmes.

La population se pose beaucoup de questions par rapport aux finances d'un éventuel pays, il y a des craintes et incertitudes chez plusieurs. Le gouvernement Couillard prétend qu'un Québec indépendant est voué à l'instabilité économique et sociale pendant des années. Que répondez-vous à de telles affirmations?

Le changement, c'est par définition l'incertitude. Monsieur Couillard prétend que l'indépendance mènerait à l'instabilité économique, mais regardons du côté de la certitude avec ce que le statu quo nous a apporté: diminution marquée du poids économique du Québec dans le Canada, perte de sièges sociaux, émigration annuelle massive du Québec et j'en passe. Bref, ce que prédit M. Couillard advenant l'indépendance est exactement ce qui se passe en ce moment! Sa «solution» semble être de toujours trouver de nouveaux moyens pour taxer ou couper, ce qui ne règle aucunement nos problèmes. Je ne dis pas que l'indépendance est la seule solution à tous nos problèmes, mais le temps ne règlera rien, au contraire. Nous avons besoin d'un changement de direction ambitieux et proposer le statu quo ne ferait que nous enfoncer davantage dans nos problèmes.

Vous affirmez qu'un Québec indépendant pourrait maintenir le dollar canadien à court terme, mais aurait aussi l'option de créer un dollar québécois. En quoi est-ce viable?

Comme vous le savez, la monnaie circule librement et, de toute manière, le Québec possède déjà un peu moins de 20% de la masse monétaire canadienne. Le Canada ne pourrait donc pas, du moins de façon réaliste, empêcher le Québec d'utiliser le dollar canadien et même s'il trouvait un moyen, la valeur du dollar canadien chuterait fortement, ce qui serait néfaste pour l'économie canadienne, qui dépend aujourd'hui beaucoup sur ses exportations en pétrole. [...] Le Québec aurait donc deux autres options.

La première serait de créer un dollar québécois avec une valeur fixée au dollar canadien pour x nombres d'années et qui serait initialement utilisé conjointement avec le dollar canadien, ce qui lui permet de récupérer les revenus du «droit de seigneuriage». La deuxième option serait de créer un dollar québécois sans valeur fixe. La dernière option est généralement crainte par les entreprises due à l'instabilité potentielle qu'aurait l'adoption d'une nouvelle devise, mais avoir un dollar québécois à valeur fixée au dollar canadien contournerait cette crainte et donnerait plus de flexibilité au Québec à moyen ou long terme. C'est d'ailleurs l'une des critiques que je fais à une partie du mouvement souverainiste qui pourfend l'Alberta pour le «mal hollandais» que l'exploitation du pétrole cause et juge que ceci justifie l'indépendance... mais propose de garder le dollar canadien advenant l'indépendance, ce qui ne règlerait aucunement le problème à moyen et long terme!

Qu'adviendra-t-il avec la dette québécoise et la dette du gouvernement fédéral?

La dette québécoise demeurerait québécoise. Par contre, la dette fédérale demeurerait au nom du gouvernement fédéral et ne pourrait pas être transmise automatiquement. Le gouvernement fédéral devrait donc négocier de bonne foi avec le Québec puisque tout arrangement déraisonnable serait vraisemblablement refusé par le Québec. En d'autres mots, le Québec aurait «le gros bout du bâton» pour ce qui est du transfert de la dette fédérale.

Pour ce qui est des précédents internationaux, le principe qui est généralement reconnu est que le transfert de la dette ne doit pas modifier la richesse relative des États (convention de Vienne de 1983), ce qui fait en sorte que la majorité des experts entendus à la Commission Bélanger-Campeau estimaient que le PIB était le meilleur critère de répartition. De plus, comme le gouvernement fédéral a relativement peu d'actifs non financiers au Québec par rapport au reste du Canada, il ne serait pas justifié de faire payer le Québec pour des actifs qu'il n'a pas par un transfert de passifs, ce qui fait en sorte de diminuer la part du passif fédéral qui serait transmis au Québec. Il en va de même pour les obligations détenues par la Banque du Canada (actifs pour la Banque du Canada, passifs pour le gouvernement fédéral) qui ne pourraient pas être transférées au Québec puisque les Québécois payent déjà en renonçant aux intérêts dus au droit de seigneuriage. En regardant au niveau des comptes de retraite, j'ai calculé que 18% seraient imputables au Québec - en grande partie à cause de la quasi-absence de la GRC au Québec.

Quels sont les points saillants de votre étude?

Il y a des milliers de chiffres dans mon étude, alors pour faire très simple: un Québec indépendant serait viable sur le plan budgétaire malgré la perte des transferts fédéraux (incluant la péréquation). Les économies en dédoublements viendraient compenser partiellement pour la perte des transferts fédéraux. Le Québec se positionnerait également très favorablement par rapport aux autres États du G7 et du G20 tant pour le solde budgétaire que pour sa dette comparée à son PIB.

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