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Les nouveaux moralistes

Alors que Mère Teresa était récemment déclarée sainte par le pape François, plusieurs y sont allés de critiques assez cinglantes envers une des figures marquantes du christianisme.
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Alors que Mère Teresa était récemment déclarée sainte par le pape François, plusieurs y sont allés de critiques assez cinglantes envers une des figures marquantes du christianisme. On accuse Mère Teresa d'avoir été une fanatique, d'avoir laissé dans la souffrance des milliers d'individus et de s'être lié à des gens non recommandables tels que Castro; bref, elle ne serait qu'une imposture. Pour appuyer le trait, on ajoute qu'elle était opposée à l'avortement, au divorce, à la contraception, des prises de position évidemment rétrogrades pour la bienpensante de 2016.

Cet incident s'inscrit dans un mouvement plus large, celui-ci qu'on pourrait décrire comme un moralisme moderniste et révisionniste, on englobe ici tous ceux qui jugent rétrospectivement -et sous le signe des vertus et des vices- tout un chacun. C'est ainsi qu'on s'attaque sans trop de nuances et armé de valeurs « humanistes » bien d'aujourd'hui (féminisme, antiracisme, anticolonialisme, etc., celles-ci qui n'en sont pas moins hautement légitime) à des figures - mortes de préférences - comme Mère Teresa, mais également Freud (pensons simplement à la charge d'Onfray), Voltaire, Hergé (en lien avec Tintin au Congo), pour n'en nommer que quelques-unes.

Sous cette lunette d'esprit, Freud se voit ainsi réduit à un simple antiféministe et cocaïnomane qui aurait falsifié ses résultats; et baliverne la psychanalyse au passage. Voltaire, lui, ne serait guère plus qu'un antisémite (allant rejoindre Sade et Céline), islamophobe et esclavagiste. Quant à Hergé, il serait raciste et colonialiste, et il adviendrait d'interdire Tintin au Congo pour ne pas corrompre la jeunesse. Et dans le même esprit, on peut se demander: faut-il interdire la Torah, la Bible et le Coran parce que certains passages sont pour le moins violent ?

Une telle analyse se prête à des écueils, tel que de ne pas prendre suffisamment en compte le contexte (social, historique, etc.), et de ne pas comparer avec les informations et les clichés de ladite époque. Attention, cela ne veut pas dire d'arrêter d'appendre des erreurs du passé, mais de là à jouer aux justiciers de la vertu à tout va... Parfois, de tels raccourcis intellectuels ne servent malheureusement qu'à nourrir un programme politique et à se bercer d'illusions sur notre pureté idéologique. À ce propos, Stoyan Atanassov soutient que « le moraliste se met toujours du bon côté du manche, ceux qu'il juge se trouvant du coup relégués dans le camp adverse. [...] Le discours moraliste se réfère au mal plutôt qu'au bien et il se veut gratifiant pour celui qui le tient : il laisse entendre que le pourfendeur des vices chez les autres en est personnellement exempt. Le moraliste pratique volontiers l'exagération : plus il est critique envers les autres, plus il est content de lui-même. ».

«C'est dans l'air du temps; le politiquement correct parfume désormais l'ensemble de nos ''débats''.»

Allez, encore une petite citation pour la route.

«En ce sens, on peut dire qu'à la différence des moralistes de l'époque classique qui décrivent sans la hiérarchiser la diversité humaine (Montaigne) ou qui la classent dans les grandes rubriques sociologiques (La Bruyère), les moralistes d'aujourd'hui divisent l'humanité en deux groupes placés respectivement sous le signe des vertus et des vices. [...] Il s'agit de discours politiques qui se réclament généralement de la gauche et qui critiquent les adversaires politiques en pratiquant une contamination systématique avec quelques formes unanimement reconnues comme étant le mal absolu : le fascisme, le racisme, l'antisémitisme. On a affaire à un discours moralement correct qui présente les symptômes du moralisme : l'exagération, la polarisation, le mépris des effets de la parole sur l'action politique. » - Stoyan Atanassov -- (évoquant la pensée todorovienne)

Par ailleurs, sommes-nous blanc comme neige en 2016, en cette ère de trudeaumanie ? La Loi sur les Indiens n'est-elle pas toujours en activité ? L'écart de salaire entre les hommes et les femmes ne persiste-t-il pas printemps après printemps ? Puis, certaines de nos certitudes (spécisme, mondialisation, etc.) et mœurs seront peut-être jugées comme rétrogrades dans le futur ? Rappelons-nous qu'il n'y a pas si longtemps, on considérait l'homosexualité comme un trouble de santé mentale.

La critique est toujours la bienvenue, qu'il s'agisse de déboulonner certains mythes, certaines figures historiques ou pas, mais quand la critique verse dans le moralisme de bon ton qui n'est là qu'essentiellement pour faire une démonstration vaine que l'époque d'aujourd'hui est plus digne, plus ouverte. C'est un peu court, et d'une lourdeur.

C'est dans l'air du temps; le politiquement correct parfume désormais l'ensemble de nos « débats ». Au final, ce n'est pas dire que ces moralistes qui s'ignorent n'ont pas vrai sur certains points, mais disons qu'il y a une certaine facilité, une certaine pose dans leur démarche qui n'évite pas la caricature et la fainéantise intellectuelle.

Pour conclure, la pensée de Raymond Aron nous invite sur le sujet à combattre sans haïr et à ne pas succomber aux tentations du conformisme. Puis que le principe de réalité est fondamental dans l'analyse des enjeux et phénomènes du monde d'hier et de demain. Évoquant la ''lucidité'' d'Aron, Tzvetan Todorov écrit qu'il importe de « ne pas fermer les yeux devant le monde qui l'entoure, ne pas mettre rêves et abstractions à la place des réalités, faire de l'expérience vécue la pierre de touche des théories ».

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