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Témoins de Jéhovah: aurions-nous pu sauver Éloïse Dupuis?

L'intégrisme religieux tue. L'intégrisme légaliste tue lui aussi. Éloïse Dupuis est la première victime de l'année 2016 de ce double intégrisme dans la droite ligne des accommodements religieux.
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Il y a deux semaines, nous apprenions le décès prématuré d'Éloïse Dupuis (27 ans) à l'Hôtel-Dieu de Lévis. L'état de la situation n'est pas très clair, le coroner ouvre une enquête pour déterminer ce qui se serait déroulé pendant les 6 jours de souffrance d'Éloïse. Mais voici ce que nous savons:

Après l'accouchement de son premier enfant dans une maison de naissance, Éloïse Dupuis fait une grave hémorragie. Elle est transférée à l'hôpital le plus proche, l'Hôtel-Dieu de Lévis. Les médecins établissent qu'elle a besoin rapidement d'une transfusion sanguine; seulement voilà, Éloïse est Témoin de Jéhovah. Et selon les convictions religieuses de son groupe, la transfusion sanguine est interdite au mépris de sauver sa propre vie.

Pour s'assurer qu'Éloïse n'accepte pas une transfusion sanguine, une «police du sang» se serait mise en place dans l'hôpital de l'Hôtel-Dieu de Lévis. De quel droit jouit cette «police» dans un hôpital public? Semble-t-il, cette «police du sang» empêchait l'accès de quiconque n'était pas membre de leur religion. Manon Boyer, tante d'Éloïse témoigne : «ils n'ont donné accès à personne qui n'était pas témoin, au cas où on aurait pu la convaincre d'accepter le traitement.»

Le Québec est choqué

Revenons à notre histoire. Durant la Grande Noirceur, le Québec a vécu en Église-nation ce qui a permis de préserver l'identité francophone québécoise, mais au prix du silence.

Silence sur les dogmes religieux et les abus du clergé, ou encore silence sur la condition féminine : ces accouchements à répétition qui mettaient en cause la santé de milliers de mères ou les avortements clandestins dangereux pour la vie des femmes qui le pratiquait.

Le Québec a connu la radicalité religieuse, il ne veut pas y revenir. En 2016, qu'une jeune femme décède après son accouchement rappelle les sombres souvenirs de ce Québec d'antan.

Ce qui choque aussi, c'est de mourir par refus d'une transfusion sanguine.

Ce qui choque encore, c'est de mourir par «conviction religieuse».

Peut-on considérer qu'Éloïse Dupuis était pleinement consciente et son refus éclairé avec la «police du sang»?

Ce qui est le plus choquant, c'est la réponse du premier ministre Philippe Couillard : «la jurisprudence a été très claire, si une personne apte à consentir refuse son consentement à un traitement médical, même si c'est au prix de sa vie, on ne peut pas aller contre sa volonté».

Quel manque d'humanisme et d'empathie de la part d'un médecin. Peut-on considérer qu'Éloïse Dupuis était pleinement consciente et son refus éclairé avec la «police du sang»? Aurait-on brusqué sa liberté religieuse en la sauvant? Autrement dit, aurions-nous pu sauver une vie, sauver Éloïse?

Le retour des pharisiens...

Avec le multiculturalisme d'État, nous vivons le grand retour des pharisiens, ces hommes qui dans l'Antiquité préféraient le respect de la Loi à toutes autres considérations. Ceux-là, sur un sujet quelconque, nous rappellent sans cesse que la loi a été respectée. Dans le cas d'Éloïse, le rappel vise à nous rassurer que rien de mal n'a été commis, et pourtant!

L'intégrisme religieux tue. L'intégrisme légaliste tue lui aussi. Éloïse Dupuis est la première victime de l'année 2016 de ce double intégrisme dans la droite ligne des accommodements religieux.

Selon les pharisiens des temps modernes, est-ce à considérer à l'avenir que si une personne par conviction religieuse refuse de se faire opérer de l'appendicite, en tant que société, nous devrions l'accepter?

L'autorité publique a le pouvoir d'outrepasser la croyance religieuse pour sauver des vies.

Dans le cas d'une appendicite, nous ne parlons pas ici d'acharnement thérapeutique, mais de traitement médical de base, il doit en être de même pour une transfusion sanguine. Si nous considérons qu'il est possible pour un patient de «négocier» les modalités de son traitement médical, il demeure du devoir du médecin traitant de préserver la vie avant toutes autres considérations (même religieuses). Dans un système de santé qui manque continuellement de ressources, ce n'est pas aux équipes médicales de traiter des cas de conscience religieuse.

Que l'État se tienne debout! L'autorité publique a le pouvoir d'outrepasser la croyance religieuse pour sauver des vies. Par exemple, l'État québécois pourrait rendre obligatoire la vaccination pour des raisons sanitaires évidentes. De même, l'État québécois pourrait obliger une transfusion sanguine considérant que les coûts reliés à son manquement sont trop élevés pour un système de santé compressé sur le plan financier.

Enfin, et ce n'est pas une surprise, par les accouchements, les femmes Témoins de Jéhovah sont plus à risque de mourir par refus d'une transfusion sanguine que leurs coreligionnaires masculins. Cette pratique communément appliquée à toute une communauté aboutie à une discrimination systémique minoritaire, ce qui signifie qu'une pratique consensuelle dans une communauté X entre en conflit avec les principaux généraux de la société canadienne (ici l'égalité homme-femme); c'est ce qui est arrivé dans le cas d'Éloïse Dupuis. Malgré le plus grand risque pour les femmes Témoins de Jéhovah de mourir par renoncement à une transfusion sanguine, cette communauté exige des accommodements, mais les refuse à ses membres au mépris de la vie.

L'État en refusant d'intervenir sur le dossier de la transfusion sanguine à l'échelle du pays normalise une discrimination systémique minoritaire à l'égard des femmes Témoins de Jéhovah. Maintenant que nous savons qu'il y a des victimes, pouvons-nous continuer à tolérer cet état de fait sous couvert de légalisme?

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