Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Avez-vous peur des robots intelligents?

Je ne vois pas en ce robot un «voleur de». J'y vois plutôt l'occasion de libérer des millions de travailleurs dans les usines à travers le monde.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Plus la technologie s'approche de ce qui était encore hier de la science-fiction, plus je vois la peur grimper dans la population au sujet des robots intelligents. Que ce soit la perte de centaines de millions d'emplois à travers le monde, une déshumanisation des rapports sociaux ou carrément la crainte de voir les robots nous dominer comme dans le film La Matrice, l'inquiétude semble avoir pris le dessus sur les avantages dont nous allons tirer de cette révolution robotique.

Je vous invite à visionner cette courte vidéo avant de poursuivre:

Lorsque je le regarde soulever, maladroitement pour l'instant, ces petites boîtes, je ne vois pas en ce robot qu'un simple «voleur de job» et une menace pour la société. J'y vois plutôt l'occasion de libérer des millions de travailleurs dans les usines à travers le monde. Tout comme lorsque je vois une caisse automatisée dans un supermarché, je l'utilise avec plaisir, non pas en voyant une machine qui a fait perdre l'emploi à quelqu'un, mais bien une machine qui a libéré un humain d'un travail plutôt ingrat qui consiste à rester debout pour une longue période, soulever des poids, supporter les humeurs des clients, un emploi qui garde souvent son détenteur dans la précarité.

En grattant cette peur légèrement plus loin, on voit que les craintes en ce qui concerne les robots intelligents sont politiques, donc humaines. Ce ne sont pas les robots qui font peur à beaucoup de gens, mais tout le système dans lequel ils évolueront.

«Il y a 350 millions d'employés dans le monde qui, simplement, portent des caisses dans les usines. Les robots intelligents peuvent le faire à leur place. Mais cela impliquerait la perte de 350 millions de postes de travail. La question n'est donc pas de savoir à quel point l'automatisation des systèmes de production va augmenter la productivité. Elle est plutôt d'ordre politique, et concerne la redistribution équitable des biens et des ressources qui doivent permettre à tous les humains de la planète, même sans travail, de faire vivre leur famille.» - Wendell Wallach, éthicien, dans un extrait de l'article Que serons-nous quand les robots feront tout le travail?

La peur vient plutôt de la cupidité des riches, du pouvoir des grandes entreprises qui se foutent de plus en plus du sort de la population qui les fait vivre, du système capitaliste qui favorise les détenteurs du capital ou des actionnaires avant le travailleur, et de la destruction de l'État providence qui égraine un peu plus chaque jours les acquis sociaux du dernier siècle pour laisser place au darwinisme social où seul les plus forts survivent.

Comme si les robots réveillent une partie de la population sur la dangerosité du système qu'elle a créée au cours des derniers siècles.

Quelle est la différence entre des robots qui remplaceraient les travailleurs dans une usine avec une délocalisation de cette même usine au Viêt-Nam où des enfants y travaillent dans des conditions dangereuses pour une poignée de dollars par mois? Quelle est la différence entre une armée de robots comparativement à une armée humaine qui a été formée pour ne pas réfléchir et ne pas questionner les ordres des supérieurs? Bien sûr qu'une armée humaine ne peut pas se faire pirater à distance pour attaquer ses propres citoyens, mais elle pourrait toujours le faire quand l'ordre vient de son propre chef. Les exemples ne manquent pas de ce côté.

D'un point de vue historique, ceux qui prônent la catastrophe pour les pertes d'emploi avec l'arrivée d'une nouvelle technologie ont été confronté à l'échec de leurs prédictions. Bien que des désagréments arrivent pour ceux qui en sont touchés directement, l'Histoire montre que les emplois perdus finissent par en créer encore plus ailleurs. Des premiers animaux domestiqués à faire du travail agricole jusqu'à l'arrivée de l'internet, les nouvelles technologies et les avancées de la race humaine ont détruit les perspectives d'emplois de certains, mais la production globale est en constante progression et le travail n'est pas mort pour autant.

C'est un peu trop facile de s'appuyer seulement sur l'Histoire pour en conclure que tout se passera bien avec cette révolution robotique. Aucune des précédentes évolutions n'est arrivée avec une population aussi nombreuse que présentement, avec une économie aussi complexe et dans un monde qui fait face à son destin avec les changements climatiques. Nous plongeons dans l'inconnu à chaque jour. De plus, les anciennes évolutions technologiques majeures sont presque toutes arrivées dans un but d'améliorer notre productivité, qui est limitée comparativement aux machines. Maintenant, on parle d'une technologie qui vise directement à remplacer l'Homme avec ses défauts par un ordinateur infaillible. La marche est beaucoup plus haute que la domestication de l'âne, la révolution industrielle ou l'arrivée de l'internet.

N'allez pas croire que les robots remplaceront seulement les emplois manuels. Certains experts pensent même que c'est l'inverse, que des robots seront capables d'effectuer plusieurs tâches dans le domaine des services avant celles qui sont manuelles. Je suis d'accord en partie avec ce raisonnement : des robots remplaceront des comptables ou des vendeurs d'assurances bien avant ceux qui vont mettre les jardiniers ou les cuisiniers au chômage. Comme le montre ce tableau interactif de la firme McKinsey Global Institute, qui a étudié le potentiel d'automatisation de 750 professions aux États-Unis, il n'y a aucun secteur de l'économie qui n'est pas exposé à des pertes d'emplois dans le futur. Les commis de bureau destinés aux achats ont un potentiel d'automatisation à la hauteur de 85 % et c'est presqu'aussi élevé que celui des mécaniciens spécialisés pour les autobus et camions lourds, qui est évalué à 96 %.

Tout comme la guerre entre Uber ou les chauffeurs de Taxi risque de se terminer dans un échec pour les deux industries. Ce sont les voitures sans conducteur qui l'emporteront éventuellement, soyez-en assuré. Les constructeurs automobiles investissent des milliards dans ce projet :

«Chauffeur de camion et chauffeur de taxi sont des métiers appelés à disparaître»

«D'une façon générale, il ne manque rien, à mon sens. Ce qui manque, c'est que la technologie est encore chère. Les capteurs sont chers. Ce qui manque, c'est le cadre légal pour réfléchir à qui va être responsable dans le cas d'un accident. Le constructeur ou le conducteur?», estime Nicolas Saunier, professeur spécialisé en transport intelligent à l'École polytechnique de Montréal.

À mon avis, il existe quelques clés qui nous permettront de bien vivre cette révolution des robots intelligents :

Le revenu minimum garanti pour tous. Puisque dans le contexte où près de 50 % des emplois actuels pourraient disparaître d'ici 35 ans, sans garantie que tous ces emplois seront remplacés par d'autres, la notion de «gagner sa vie» deviendra de plus en plus obsolète.

Détruire le mythe de l'individualisme et du self-made man. Il faut déboulonner l'idée reçue que les créateurs de richesses sont parvenus à leurs fins uniquement par leurs talents. Ceux qui sont aujourd'hui en train de créer les robots de demain peuvent le faire grâce à toute la société et à une multitude d'autres inventions du passé. Ceux qui les achèteront sont encore plus embourbés dans cette interconnexion de tout le travail humain qui aura précédé cette avancée technologique. Voici un extrait de l'excellent article Essayez de fabriquer un grille-pain et vous comprendrez :

«Les grands créateurs doivent donc leur succès, en partie, à un contexte, mais aussi à des contributions invisibles. Le travail domestique, encore réalisé largement par les femmes, constitue une participation considérable généralement peu estimée par le marché mais nécessaire à la création de la richesse. Les «génies» ont pu développer leur innovation parce qu'ils profitaient de multiples façons de ce travail invisible, mais aussi parce qu'ils ne vivaient pas dans une société où l'on vit barricadé chez soi par peur d'être attaqué, et où chacun doit cultiver la pomme de terre pour se nourrir! Rendant possible la spécialisation et la production, l'accumulation de toutes ces contributions n'est pas banale. C'est pourquoi on ne peut pas dire d'une richesse qu'elle est le seul produit des efforts d'un individu.» - Patrick Turmel et David Robichaud, philosophes québécois.

Pour le dire autrement, quand les patrons remplaceront tous leurs employés par une horde de robots intelligents, ils seront aussi redevables, encore plus que maintenant, à l'entièreté de l'humanité. La victoire du collectif face à l'individu n'aura jamais été aussi flagrante que lorsque des centaines d'années de travail et d'évolution auront permis aux supposés créateurs de richesses de se départir de leur capital humain. Ils n'y seront pas arrivés seul, et ne pourront bénéficier complètement des profits pour eux seuls non plus.

Une profonde modification du système d'éducation. Il faut extraire la logique marchande qui gangrène aujourd'hui le système d'éducation. L'école doit redevenir un lieu qui forme des citoyens dans un horizon beaucoup plus large que d'essayer de plaire aux demandes du patronat avec sa vision axée sur le court terme seulement.

La révolution robotique pourrait nous rapprocher du rêve de Karl Marx, qui était de voir le travail libre être au cœur du développement humain. Libéré des tâches répétitives et ingrates que le travail capitaliste offre trop souvent, enfermant même les professions les plus nobles comme médecins ou professeurs sous la doctrine de la production avant tout, nous serons plus libres de nous adonner au travail axé sur le dépassement de soi, et non le simple dépassement des profits du trimestre précédent. Il n'y a pas de raison de ne pas le faire maintenant aussi, mais les excuses pour résister au changement seront désuètes. L'argument qui est de dire «ce travail est chiant, mais quelqu'un doit le faire» est aussi menacé par la révolution robotique. C'est très libérateur et c'est ce que je trouve fantastique dans cette aventure. Nous laisserons ces emplois à des machines pour mieux nous concentrer vers l'essentiel de nos désirs, pas ceux des actionnaires ou des patrons.

Peut-être sera-t-il aussi temps pour l'humanité de considérer de travailler un peu moins? À l'heure où l'on se demande comment diminuer notre impact sur la planète, envisager de moins travailler pourrait faire partie des solutions, et les robots nous en fourniront l'opportunité.

Il est évident que de simplement inonder le marché de millions de robots qui peuvent dépasser nos capacités mentales et physiques serait une catastrophe si nous n'apportons pas des modifications profondes à l'ensemble du système politique et social qui nous entoure. Le tout est conçu pour que nous soyons tous en compétition les uns contre les autres. Il paraît que ça nous rend plus forts et moins paresseux, c'est ce que la religion libérale nous dit depuis déjà trop longtemps. Se battre entre nous est une chose, affronter une armée de robots en sera une autre.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Les drones

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.