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Ne blâmez pas les assureurs

Ne blâmez pas les assureurs
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Des allusions à la Corée du Nord, au totalitarisme ou à la police de la pensée communiste. Ces termes sont tous utilisés par les temps qui courent pour décrire des anecdotes comme le sketch retiré du gala Les Olivier ou le congédiement de Jeff Fillion. Calmons-nous un petit instant, le fascisme n'est pas encore à nos portes ou dans tous les cas, ce n'est pas par ce chemin qu'il va arriver.

La censure et les vraies attaques contre la liberté d'expression, c'était Harper et sa bande de bigot qui avaient enlevé le droit de parole aux scientifiques. C'est quand la police dérape et qu'on n'entend jamais les victimes, seulement le porte-parole du côté policier qui répète un message préfabriqué que les médias passent en boucle toute la journée. C'est quand un diffuseur décide d'exclure des partis présents à l'Assemblée nationale ou au Parlement pour un débat. La liste serait trop longue.

Je dois cependant concéder un point à ceux qui hurlent que la liberté d'expression est en péril; oui, le phénomène augmente et ce sera encore pire avec le temps. Pourquoi? Parce que c'est plus facile qu'on pense et les conditions externes pour le faire sont de plus en plus présentes.

Je le sais, puisque j'ai déjà essayé de le faire.

Au printemps 2013, j'ai été l'un des principaux participants d'un boycott des commanditaires d'une station de radio parlée. Armé d'un simple ordinateur portable, d'un divan et d'un compte Facebook, j'ai réussi à créer une pagaille dans la station grâce aux facteurs externes qui m'ont favorisé.

Un matin où je rentre chez moi après une frustrante nuit de travail, un animateur y est allé d'une diarrhée verbale de 2-3 minutes sur la gauche, les carrés rouges et les environnementalistes. Des mots comme «vermine» et «déchet humain» avaient été utilisés tout au long de son plaidoyer. J'étais bleu marin dans ma voiture en l'écoutant. Les tab@#!&, je vais les faire payer, me suis-je dit.

La formule que tout le monde répète pour se donner bonne conscience qui ressemble à «Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire» m'apparaissait déconnectée de la réalité. Aller jusqu'à me battre pour protéger le droit de quelqu'un de me traiter idéologiquement de vermine sur les ondes radio, qui sont une propriété publique? Non merci! Et comme les réponses intelligentes ou les plaintes dans les organismes spécialisés à cet effet ne les affectent pas du tout, j'avais décidé de frapper au seul endroit qui ferait mal; l'argent.

Un boycott de leurs commanditaires était déjà en cours sur un site internet. Je n'ai rien inventé, je me suis seulement servi de ce qui était déjà en place en changeant la forme et le ton. J'ai créé quelques images associant des propos dits en ondes, en plaçant les logos des commanditaires aux côtés de ceux-ci et j'ai lancé ça sur les médias sociaux. Ça m'a pris quinze minutes de faire ça et 4 semaines avant de recevoir une poursuite de 250 000 tomates. J'ai touché la cible, c'est le moins que l'on puisse dire.

J'ai ensuite préparé un message audio que j'ai mis sur YouTube un soir à 20h30. À 21h30, je tendais un piège à deux des animateurs de la station pour faussement me dénoncer. Un des deux a mordu à l'hameçon en cinq minutes et le lendemain à 8h00 am, sans faire de vérification sur le sérieux de la chose, la station faisait passer mon message en ondes. Amateur de polémique comme ils sont, je savais qu'ils n'allaient pas rater une chance de dénoncer la gogauche communiste en se faisant passer pour des martyrs. Ne pas avoir diffusé ce message aurait probablement sonné la fin de cette histoire. Je me serais écœuré assez rapidement. C'est un choix qu'ils ont fait.

J'ai poursuivi l'aventure en servant à cette radio la même médecine qu'ils utilisent en ondes. Je justifiais toutes mes actions par l'individualisme et le consumérisme, laissant de côté tout le reste. Moi, le client-roi, je fais ce que je veux. C'est moi qui paye, c'est moi qui te fais vivre, etc. Le tout avec une sauce populiste que je masquais sous le couvert de l'humour. Il ne me manquait que le calendrier sexy pour m'attirer la sympathie des gens qui ne sont pas trop politisés.

C'est à ce moment que Radio-Canada m'a proposé une entrevue radiophonique, puisqu'ils ont eu vent de cette histoire en écoutant la compétition qui affirmait qu'une armée de gauchiste voulait les museler. L'occasion était trop belle pour alimenter le feu en allant sur la chaîne publique, payée avec leurs taxes. Radio-Canada a également très bien préparé son coup. L'entrevue a été remise quelques fois pour la faire coïncider, comme par hasard, quelques minutes après une entrevue avec deux libertariennes québécoises vivant aux États-Unis. J'avais dit à un ami que Radio-Canada se servirait ensuite de ce prétexte pour justifier mon entrevue, disant qu'ils donnent la parole à toutes les idéologies et c'est exactement ce qui est arrivé.

Le plus grand des facteurs externes que j'ai utilisé venait cependant des entreprises elles-mêmes.

Comme le souligne David Graeber, l'économie s'est grandement modifiée depuis un siècle et les emplois productifs ont été remplacés par des emplois dans le domaine des services. Pendant que l'automatisation et la mondialisation nous ont libérés des emplois dans la production, une nouvelle caste d'emplois est apparue comme les relations publiques, le marketing, les spécialistes de l'image et le département des plaintes prêt à écouter n'importe quel client à toute heure du jour ou de la nuit.

Un petit garage avec sept employés, où le patron lit lui-même ses courriels le matin, ne se laissera pas impressionner par une douzaine de messages d'inconnus qui affirment vouloir boycotter son commerce.

Une grande chaîne de dépanneur et des entreprises multinationales sont plus enclines à écouter parce qu'il y a justement des gens qui sont payés pour contrôler l'image de l'entreprise en essayant de faire croire au client qu'il est son pote. Vous lancez un os, et ils feront la course pour le récupérer, ouvrir un dossier, faire un suivi, en parler à la prochaine réunion pour ensuite le donner à un niveau supérieur. Tranquillement, ça fait son petit bonhomme de chemin, ça mobilise un département au complet pour la journée et ça finit par atterrir sur le bureau de quelqu'un qui exigera des réponses sur la provenance de ce bruit.

C'est de cette façon, comme l'expression anglaise le dit, que la merde finit par pogner dans la fan! Se plaindre, ça fonctionne plus qu'on aurait tendance à le croire.

Si vous cherchez un coupable pour le lent déclin de la liberté d'expression, ne regardez pas vers les assureurs, les gens qui s'offusquent pour un rien ou les groupes religieux. On est tous coupables. La liberté d'expression diminue au même rythme que le pouvoir du fric augmente. C'est pas mal tout le monde qui accepte que la piasse soit le moteur de notre société, alors personne ne devrait trop se fâcher et être surpris de voir des considérations monétaires se faire juge et jury de ce qui est acceptable de dire ou pas dans un gala. Ça, ce n'est pas un facteur externe, c'est la gangrène à l'intérieur.

C'est pour cette raison que je prédis que le phénomène ira en augmentant dans le futur, puisque la dictature de la colonne comptable s'infiltre de plus en plus partout dans notre société. Ça vous coûtera bien plus cher, tôt ou tard, que d'avoir été privé de quelques jokes de lesbiennes et de juifs.

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