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Raif est de ces hommes au cœur attaché à ses valeurs

Raif, c'est le précurseur d'un monde allégé de ses extrêmes, émancipé de ses diktats, et sensible aux pleurs de ceux qui ne croient plus en rien.
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Invitée d'honneur pour le Banquet de la Justice organisé par la Clinique Juridique Juripop, Ensaf Haidar, épouse de Raif Badawi, présidente et co-fondatrice de la Fondation Raif Badawi pour la liberté, a livré ce discours sur la liberté d'expression ainsi qu'un message adressé à son mari, mercredi 9 décembre 2015.

Raif est de ces hommes au cœur attaché à ses valeurs

La liberté d'expression a coûté à mon mari sa liberté. Raif Badawi, au moment où l'on se parle, se trouve dans une petite cellule d'une lointaine prison en Arabie-Saoudite, ce pays où la censure règne.

Ce pays, mon pays, qui voit les femmes comme des citoyennes de seconde classe. Ce pays, son pays, celui de mon mari, qu'il aime de tout son territoire, de toutes ses femmes et de tous ses hommes, jusqu'aux portes de la Choura, là où se ruinent les aspirations d'un peuple entier.

Mon mari a parlé comme l'on parle ici à chaque jour. Mon mari a écrit des textes empreints de liberté. Raif est de ces hommes au cœur attaché à ses valeurs, et à l'esprit libre de toute contrainte. Raif, c'est le précurseur d'un monde allégé de ses extrêmes, émancipé de ses diktats, et sensible aux pleurs de ceux qui ne croient plus en rien.

Imaginez: mille coups de fouets.

Mille coups de fouets, pour qui? Au service de quoi?

Mille coup de fouet, pour un blogue, en effet.

Mon mari a insulté l'Islam. Cette notion d'insulte, qui n'existe que dans les cœurs rompus à la haine, le dogmatisme, l'indifférence à l'humain, et la rigidité des principes élevés en folie. Mon mari, donc, qui écrit ce qui serait ici l'objet de discussions autour de cette table, autour de ce verre de vin, entre amis, ou adversaires, en paix et respect.

Nous avons trois merveilleux enfants, qui eux ont la chance de goûter l'air frais, la liberté et la joie simple d'être enfant. J'en remercie le monde pour qu'au moins eux soient épargnés des fous d'Allah.

Doudi, Najwa et Miryam voyez ce qui vous entoure et savourez cette douce normalité. Vous y voyez le cours normal des choses, mais vous êtes bien conscients de ce que vit votre père. Vous ne comprenez pas pourquoi ces gens lui en veulent, et je dois vous avouer que j'en suis confuse moi aussi. Mon cœur est un naufrage où gît le navire sur lequel je voulais voguer avec vous, torpillé par le jeu politique de dictateurs malfaisants.

J'aimerais vous dire que tout cela n'est que passager, que tout ceux qui veulent le mal, comme ceux que vous voyez dans vos films préférés, que ces gens qui haïssent seront bientôt punis, et que l'histoire se terminera sous le soleil tamisé des feuilles d'automne sous un vent frais. Je ne perd pas espoir non, mais peut-être que je suis fatiguée.

Je suis fatiguée de l'impuissance, et fatiguée d'un combat qui me semble parfois illusoire. Fatiguée de voir les dirigeants de ce pays se draper tantôt dans les vertus de la liberté, tantôt dans la prospérité, alors que sous la terre, à l'abri de la lumière, il torturent, blessent, anéantissent à travers leurs opposants, les beautés de toute une société.

Je suis fatiguée de la complaisance. Fatiguée, de voir ces mains se serrer, des étreintes qui m'étouffent à chaque fois, comme si la démocratie embrassait la dictature.

Cette voiture, en sortant du bateau, nous la conduirons un jour dans ce pays. Rien n'est perdu, même à bout de souffle. Chaque voix qui s'élève fait un écho qui se marque et façonne les rochers des montagnes, et parviennent aux oreilles de ceux qui écoutent encore, nombreux, même dans le silence.

Ce voyage, je vous l'offrirai, quand les hommes vivront d'amour.

Pour l'heure vivez ce pays. Mon pays, c'est l'hiver. Je le porterai toujours, debout et fière.

Je t'aime Raif. Ensaf

Écrit avec la collaboration de Julien D. Pelletier, directeur général de Juripop

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