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La jungle libertarienne

S'il est une chose que je reproche à l'État, c'est son autoritarisme, son utilisation de la police comme outil répressif, son peu de préoccupation pour les plus défavorisés, son manque de sévérité à l'endroit des grandes industries, sa répartition schizoïde des richesses, son élitisme, sa corruption, etc. Les libertariens voudraient eux que l'État rende les armes devant la grande entreprise, privatisant la santé, l'éducation; en fait, tout ce sur quoi on peut mettre un signe de piastre! Mais dans ce bordel, qui est-ce qui mettrait un peu d'ordre, s'assurerait qu'il n'y ait pas de collusion, de corruption? Qui veillerait à ce que le marché libre ne dérape pas en une machine à égorger les moutons?
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Une psychopathe

«If any civilisation is to survive, it is the morality of altruism that men have to reject.» Ayn Rand, Atlas shrugged

Cette phrase débordant d'empathie pour le genre humain fait référence à ce que l'on pourrait appeler «la révolte des riches», thème fréquemment abordé dans l'œuvre de madame Rand. Cette écrivaine russe, naturalisée américaine, philosophe, morte et enterrée depuis quelques décennies, est à l'origine de quelques-uns des plus fervents discours prônant le capitalisme, l'ultralibéralisme économique ainsi qu'un darwinisme social assumé. Ses longues diatribes critiquaient vertement l'État voleur, les socialistes cannibales et autres fous furieux de gauchistes; les termes «parasites», «vermines» et autres affectueux sobriquets, tapissant généreusement ses écrits, dépeignent fort bien sa vision des plus pauvres: ces misérables sangsues freinant le progrès et les efforts des grands entrepreneurs. Elle élabora au travers de ses romans-fleuves, vomissant de tirades nihilistes, sa vision d'un monde où l'égo domine, où la quête du bonheur personnel supplante tout autre spiritisme. Un genre de surhomme nietzschéen capricieux et geignard qui aurait dû méditer plus longtemps sur sa colline.

La gangrène

Son amour pour les hommes puissants, ces créateurs et ces innovateurs, ne tomba pas dans l'oreille d'un sourd. Que non! Au contraire, bien des gens se signèrent devant un tel miracle : enfin, on leur donnait un discours, reposant sur le développement, l'argent et l'objectivisme (théorie de madame Rand, rien de nouveau: logique, raison, l'homme en quête du bonheur comme but suprême, égoïsme rationnel, marché libre, la totale), permettant de légitimer leur soif de pouvoir, de pognon, de privatisation, d'une haine pour toute restriction, d'une allergie viscérale de l'État (l'écœurant), et ce, sans passer pour d'horribles salauds. Plusieurs personnalités extrêmement influentes se disent ouvertement influencées par la sorcière...par madame Rand. Je ne nommerai que quelques exemples comme les tenants de l'École de Chicago, qui défend ardemment le laissez-faire absolu; le Tea Party, groupuscule radical s'il en est un; Alan Greenspan, l'ancien président de la Réserve fédérale; et la liste continue.

Sa doctrine a ses adeptes un peu partout (au Québec aussi, voir le RLQ), et non pas seulement des grands possédants avares, mais étrangement des gens de castes bien loin du modèle à succès de Rand, attirés par les libertés individuelles exaltées par l'écrivaine. Des petits commerçants, des hurluberlus qui enragent devant la télé dès qu'une frasque politique est exposée, des honnêtes travailleurs exténués par l'imposition et les taxes; pour la plupart des gens que madame Rand exécrait, ce vulgaire peuple qui avance en aveugle, des sauvages sans ambition. Ces vulgaires larbins qu'elle aurait laissé crever jusqu'au dernier, si l'occasion s'était présentée, mais qui, pourtant, n'ont qu'un mot en bouche: «liberté!» D'où, les libertariens!

D'ailleurs, pour rire un coup (les libertariens québécois à leur meilleur!) :www.contrepoids.com

Antipodes

Drôlement, je partage certaines appréhensions vis-à-vis de l'État avec ces joyeux drilles, mes idées anarchistes voulant; par contre, les raisons diffèrent incroyablement. Car s'il est une chose que je reproche à l'État, c'est son autoritarisme, son utilisation de la police comme outil répressif, son peu de préoccupation pour les plus défavorisés, son manque de sévérité à l'endroit des grandes industries et corporations, sa répartition schizoïde des richesses, son élitisme, sa corruption, etc.

La nuance se trouve dans la solution de rechange, pour citer Nicole Morgan: «Certes Bakounine voulait aussi se débarrasser du gouvernement au nom de la liberté, mais nullement transférer le pouvoir aux entreprises. Il rêvait d'un communautarisme dévoué à un bien commun [...]»

Tandis que chez les amis libertariens, la police demeure pour protéger le bien matériel (ben kin, les vitrines!), l'armée aussi; pour l'État, les libertariens lui reprochent sa trop grande sévérité à l'endroit du privé, les hosties d'impôts, ses dépenses futiles en aides et prestations sociales de tout genre, sa faiblesse devant les mouvements citoyens, son acoquinement avec les méchants syndicats pis les hordes de fonctionnaires qu'on fait vivre d'la sueur des aut'. Ils voudraient qu'il rende les armes devant la grande entreprise, privatisant la santé, l'éducation; en fait, tout ce sur quoi on peut mettre un signe de piastre! Toute réglementation risquant d'atténuer les profits, de diminuer les moyens d'action; et ce même s'il y a des chances de mettre en péril l'environnement, d'engendrer la délocalisation d'usines vers le cheap labour, de saupoudrer d'insecticides toxiques les récoltes pour minimiser les coûts, d'appauvrir la masse, qu'importe, il faut mettre un terme à ce despotisme des plus frileux, de ceux qui en ont moins dans le froc! Donc, on peut bien scander ensemble: «pas contents, pas contents, pas contents!», n'en demeure pas moins qu'il y a une vague odeur de pet entre nous.

Mais dans ce bordel, qui est-ce qui mettrait un peu d'ordre, s'assurerait qu'il n'y ait pas de collusion, de corruption? Qui veillerait à ce que le marché libre ne dérape pas en une machine à égorger les moutons (la plèbe, ceux qui ne sont pas actionnaires ou entrepreneurs baignant dans le fric, un gros paquet de monde en somme)? La réponse va de soi: la Main invisible du marché libre pardi! Il s'autorégulerait, comme l'océan impose ses lois naturelles. Un paradis d'échanges économiques engraissant les plus prospères, fournissant des emplois, des services et des biens essentiels pour tous. Les monopoles entretenus par le gouvernement s'écrouleraient. La liesse partout. Sauf, bien entendu, si on a le malheur de faire partie du 99% de paresseux parasites...

Heureusement, Alan Greenspan, nous rassurait déjà le 12 octobre 1957, dans une lettre adressée au New York Times, dédramatisant les propos d'Ayn Rand: «La justice est implacable. Les créateurs et le but final sans détour qu'est la raison mènent à la joie et la réalisation de soi. Les parasites qui évitent de manière persistante ce but ou la raison périront comme il se doit.»

Merci messire Casserole Verte, me voilà rassuré.

À lire pour en apprendre sur les psychopathes: Haine froide de Nicole Morgan, aux éditions du Seuil.

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