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Alors non, je ne vous reproche pas d'être blanche. Je vous reproche par contre de ne pas vouloir reconnaître que nous vivons dans une société qui vous octroie des privilèges à cause de votre couleur de peau.
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Ceci est une lettre ouverte à Johanne St-Amour, dont l'article «Je suis blanche et vous me le reprochez» paru sur le site Sysiphe.org, le lundi 26 octobre 2015, n'a pas manqué d'éveiller ma curiosité. Elle y confie entre autres, sa lassitude et son ras-le-bol face à celles qui lui reprochent sa couleur de peau.

Chère madame St-Amour,

J'ai lu votre article avec beaucoup d'intérêt. Je dois cependant vous avouer que je n'ai pas vraiment compris où vous vouliez en venir. De deux choses l'une; si votre intention était de nous faire comprendre que vous êtes victime de «racisme» au sein du mouvement féministe à cause de votre couleur de peau, relater que cette dernière ne vous a aucunement prémunie contre certaines horreurs de la vie reviendrait à dire que, le fait que je suis née noire et africaine, ne signifie pas que j'ai vécu ans la misère la plus extrême ou marché des kilomètres pour avoir accès à de l'eau potable. Procéder ainsi c'est tout simplement donner dans le cliché et s'éloigner du vrai débat. Ensuite, si votre intention était de nous faire comprendre que votre couleur de peau ne vous empêche aucunement d'être solidaire de la souffrance de tout un chacun, de toutes les femmes, là encore, vous le faites maladroitement puisque à aucun moment vous ne nommez l'évidence : le «privilège blanc.»

Vous affirmez par exemple : «Je suis blanche et je vis maintenant presque sans soucis monétaires, mais je devrais renier ce à quoi toutes personnes aspirent ?» À votre insu, vous mettez à jour le privilège qui est le vôtre, de pouvoir évoluer dans un pays, une structure sociétale organisée telle que, si vous décidez de vous reprendre en main, outre les ressources mises à votre disposition, vous avez aussi plus de chance de vous en sortir. Loin de moi l'idée de minimiser votre parcours et les difficultés que vous avez rencontrées mais, vous n'êtes absolument pas une exception au sein de votre communauté. Par contre, combien sont-elles les femmes autochtones ou d'ascendance haïtienne, au parcours chaotique, issues de familles éclatées qui peuvent aujourd'hui, comme vous, se targuer d'avoir brisé le cercle vicieux qu'elles étaient condamnées à reproduire presque malgré elles? Combien peuvent aspirer à la stabilité financière dont vous jouissez désormais en empruntant le même chemin que vous? Celles qui y arrivent sont des exceptions à une règle qui leur échappe et sur laquelle elles n'ont aucun pouvoir.

Vous posez ensuite cette question : « Je suis blanche et je suis hétérosexuelle et je devrais en être gênée?» Absolument pas. Mais, comme vous l'expliquez ensuite, il a fallu pour cela que vous vous réappropriez votre sexualité vous qui êtes pourtant dans la «norme.» Combien de femmes issues des minorités et appartenant à la communauté LGBT peuvent en dire autant? Vous parlez également des standards pornographiques que vous avez dû dépasser. J'aimerais juste vous signaler qu'en 2015, les femmes noires et asiatiques, entre autres, se retrouvent encore et toujours sexualisées non seulement en tant que femmes mais aussi et surtout en tant que fantasmes et fétiches.

Des femmes autochtones disparaissent par milliers, sont violées et violentées, parfois par ceux-là même qui sont censés les protéger et ce, dans l'indifférence générale.

Vous semblez refuser de reconnaître que le fait d'avoir, je vous cite : «cette couleur de peau jaillie d'une naissance de parents bien (trop ?) québécois» vous offre une longueur d'avance sur les femmes non-caucasiennes. C'est d'autant plus alarmant que Michèle Sirois, la présidente de PDF Québec (Pour le Droit des Femmes) se sert de votre article pour étayer le fait qu'un manque de cohésion et de cohérence existe et mène à ce qu'elle appelle le féminisme intersectionnel. Si je comprends bien, sous prétexte de garder une cohésion au sein du mouvement féministe et éviter des tensions intérieures l'on doit taire la réalité.

Lorsque l'on parle et insiste sur le concept de «privilège blanc», ce n'est pas dans l'intention de culpabiliser qui que ce soit, c'est simplement afin de rendre compte d'un fait. Il faut que vous compreniez que malgré vos difficultés et vicissitudes personnelles, dans une société qui se targue d'être inclusive, multiculturelle et métissée, vous faites partie du groupe ethnique le plus privilégié de celle-ci.

Le racisme est institutionnel (je suppose que je ne vous apprends rien), votre voix en tant que femme blanche a plus de poids que la mienne, qui suis noire et africaine, c'est un fait indéniable, pis c'est une vérité de la société dans laquelle nous évoluons. Servez-vous en pour mettre plus de femmes non-caucasiennes au devant de la scène, pour dénoncer le deux poids deux mesures, pour exiger plus de diversité au sein des institutions, dans les médias etc. Vous plaindre que l'on vous reproche quelque chose sur lequel vous n'avez aucune incidence ne fera pas avancer la cause féministe. Il ne suffit pas simplement de dire que vous êtes solidaires de la souffrance de toutes les femmes, mais bien de reconnaître et comprendre les disparités, les incohérences et lutter contre ces dernières. Je rajouterais que nous apprécions votre esprit de solidarité mais cela ne vous donne aucunement le droit de parler au nom de toutes les femmes.

Comprenez que vos combats personnels, vos difficultés et souffrances ainsi que votre statut de femme ne font pas automatiquement de vous la voix des sans-voix. Certaines nuances vous échappent, tout simplement. Seule une femme noire peut parler de la difficulté d'être noire dans une société qui refuse de nous reconnaître à part entière, seule une femme autochtone peut parler de la misère qu'elle et ses sœurs vivent au quotidien, ainsi de suite. Si vous aspirez à de la cohésion, il est temps que le monopole de la femme blanche, québécoise, hétérosexuelle cesse.

Alors non, je ne vous reproche pas d'être blanche. Je vous reproche par contre de ne pas vouloir reconnaître que nous vivons dans une société qui vous octroie des privilèges à cause de votre couleur de peau.

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