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Pourquoi je suis féministe et j'aime le rap

Depuis toujours, le rap est décrié pour son sexisme. Sur fond de racisme latent, de mépris ou d'ignorance de cette culture, la société nous apprend qu'il s'agit là de la pire des musiques pour les femmes. Pourtant, je suis autant féministe et j'aime le hip-hop.
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«Ah bon, tu es féministe et tu aimes le rap? Mais comment c'est possible?» Si vous saviez le nombre de fois que j'ai entendu cette phrase! Depuis toujours, le rap est décrié pour son sexisme. Sur fond de racisme latent, de mépris ou d'ignorance de cette culture, la société nous apprend qu'il s'agit là de la pire des musiques pour les femmes. Pourtant, je suis autant féministe et j'aime le hip-hop. Dilemme.

Très tôt, on m'a fait comprendre que les deux étaient incompatibles et qu'il me fallait choisir mon camp. Si je voulais être crédible en tant que défenseure des droits des femmes, je devais tirer à boulets rouges sur le hip-hop. Et si j'en écoutais quand même en cachette, comme mon sale petit secret de complice occulte du patriarcat, j'étais priée de brûler tous mes vinyles, de revendre mes CDS sur Amazon et de trasher ma bibliothèque iTunes, pour les remplacer par des musiques convenables. Les Spice Girls, Beyonce ou Patti Smith feront bien l'affaire.

Aujourd'hui, on me serine encore avec l'idée que toute bonne militante qui se respecte ne peut se retrouver dans ces paradoxes. Je me suis alors demandé d'où venait ma passion schizophrène. Serait-ce une envie irrépressible de pénis? De l'inconscience? De l'oppression intériorisée? Et surtout, les filles qui s'épilent intégralement, font les soldes, mettent des strings, des talons, et écoutent Adele seraient-elles de meilleures féministes que moi?

Alors oui, le hip-hop est un milieu largement masculin, sexiste et homophobe. Il ne s'agit pas de faire du déni et de prétendre que tout va bien. Entre 22% et 37% des paroles de rap sont misogynes et 67% objectivent sexuellement les femmes. D'innombrables textes de rap, reliques du gangsta rap, banalisent la culture du viol ou glamourisent les violences de genre. Dans les années 1980-1990, le groupe NWA a largement participé à la glorification de cette imagerie caricaturale et de la vie de thug avec grosses caisses tunées, filles à poil asservies, culte de l'argent, ego trip et hyper-virilité exacerbée. Mais en même temps, le trio de Compton dénonçait les violences policières, le racisme systémique, la misère sociale, et la dureté du quotidien dans les quartiers défavorisés des États-Unis.

En France, Booba se fait régulièrement épingler pour ses rimes «Je fais mal mais je fais jouir si tu vois ce que j'veux dire.» Idem pour Black M: «Ta gueule! Parce que t'es stupide, matérialiste, cupide (...) Hélas, la seule raison pour laquelle on t'écoute sont tes obus.» Ou encore Orelsan: «Ferme ta gueule, ou tu vas t'faire Marie-Trintigner», finalement relaxé de poursuites pour provocation à la discrimination ou à la haine envers les femmes.

Pourtant, ces violences verbales ne tombent pas du ciel et proviennent directement de la manière dont les femmes sont traitées dans la société. En outre, tout le hip-hop n'est pas misogyne. De nombreux hommes tentent de faire évoluer le discours ambiant, comme Kendrick Lamar, Drake, Talib Kweli, Lupe Fiasco ou Common. Certaines femmes portent également un message ouvertement féministe et émancipatoire: Queen Latifah avec son hymne féministe planétaire U.N.I.T.Y, MC Lyte, Missy Elliott, EVE, Angel Haze, Lauryn Hill, Amber Rose...

En fait, le rap n'est pas plus misogyne que d'autres musiques, il use juste de codes différents, sans détour et sans fioritures, ce qui rend le problème plus visible. Les autres styles musicaux produisent un sexisme plus mainstream et pernicieux, presque indécelable et surtout beaucoup mieux accepté.

Parce que quand on fouille dans la culture populaire, il n'y a pas vraiment de quoi pavoiser. Entre les «Murder Ballads» de Nick Cave et Johnny Cash, qui nous racontent des errances meurtrières avec zigouillage de femmes, Pink Floyd, qui veut «passer (une femme) à tabac un samedi soir» et Tom Jones qui «a senti le couteau dans (sa) main et elle a arrêté de rire». De son côté, John Lennon prévient: «Je préfèrerais te voir morte, petite fille, plutôt qu'avec un autre homme» et les Rolling Stones annoncent la couleur «Sous mon joug, elle est le plus adorable animal de compagnie au monde. Ça dépend de moi, la manière dont elle parle quand on lui adresse la parole.»

Pas mieux quand on sonde les classiques de la chanson française, truffés de misogynie. Parmi eux, feu Michel Delpech: «Que c'est bon de choisir une minette. Dans ces filles à vedette qui ne sont venues que pour ça. C'est bon de serrer dans ses bras une groupie (...) C'est un joli parasite qui s'accroche et que l'on quitte.» Feu Georges Brassens: «Le comble enfin, misérable salope, (...) t'as couru sans vergogne, et pour une escalope, te jeter dans le lit du boucher.» Julien Clerc et sa bonne couche de colonialisme fétide: «Sous la soie de sa jupe fendue en zoom en gros plan, tout un tas d'individus filment noirs et blancs. Mélissa, métisse d'Ibiza a des seins tous pointus.» Ou encore le champion toutes catégories, Michel Sardou, avec son sexisme à papa «Si tu sais te servir de ta beauté, ma belle, et pour lui faire plaisir t'encombrer de dentelles (...) si tu n'écoutes pas la voix des mal-aimées qui voudraient à tout prix te citer comme témoin au procès du tyran qui caresse ta main...» et son magnifique «J'ai envie de violer des femmes, de les forcer à m'admirer, envie de boire toutes leurs larmes et de disparaître en fumée.x

Alors pourquoi s'offusque-t-on plus de paroles de rap que de ces horreurs? Tant qu'il s'agit d'hommes blancs, «présentables», à la masculinité acceptable, on les érige en références populaires. On applaudit tous ces messieurs de la variété qui parlent de leur désir pour les femmes, souvent objectivées et dont on ignore le degré de consentement, car le tout est enrobé dans du prétendu romantisme et de la chanson d'amour. Résultat, on nous colle des stéréotypes désastreux dans le crâne et on nous apprend que ces chanteurs normés sont des gentlemen, tandis que les rappeurs sont des brutes bornées, des racailles misogynes, des sauvages capitalistes ou des délinquants illettrés.

Désolée, mais en tant que féministe, je me reconnais davantage dans l'énergie extraordinaire, positive et résiliente de Keny Arkana ou Booba que dans Christophe Maé ou Louane. En tant que militante, je suis plus sensible à cette musique ancrée dans le réel et empreinte d'empowerment.

Ou d'autre peut-on voir des femmes de toutes origines et morphologies chanter «Cet homme m'a rendue accro à son vrai calibre et lui à mon cul. Quand il me baise, je plane» Et «Ma France à moi c'est pas la leur qui fête le Beaujolais et qui prétend s'être fait baiser par l'arrivée des immigrés. Celle qui pue le racisme mais qui fait semblant d'être ouverte.»

Dans le rock? La pop? La variété? Le rap est le seul espace artistique qui donne aux femmes cette liberté de parole. Et c'est pour cette raison que je continuerai à être féministe et à aimer le hip-hop.

Ce billet de blogue a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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