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Les selfies (nus) des femmes ne sont ni un délit de narcissisme ni de la soumission

Si montrer son cul n'est pas l'acte féministe suprême pour certaines, il l'est pour d'autres.
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On s'arrange comme on peut, avec les moyens du bord, nos histoires individuelles, nos limites et nos aspirations.
Les selfies (nus) des femmes ne sont ni un
On s'arrange comme on peut, avec les moyens du bord, nos histoires individuelles, nos limites et nos aspirations.

Ça ne vous aura pas échappé, le selfie est partout. Cette pratique qui a envahi notre quotidien virtuel ne cesse cependant de diviser. D'un côté ses défenseurs, qui la perçoivent comme un outil d'empowerment en phase avec notre époque, de l'autre, ses détracteurs qui y voient une auto-instrumentalisation inconsciente des femmes, lobotomisées par la domination masculine.

Ainsi, le 6 juillet dernier GQ publiait un article intitulé "La part des femmes: délit de narcissisme". Dans cet édito, Maïa Mazaurette, chroniqueuse pour GQ et Le Monde, soulève la question de l'ambivalence des selfies, du revenge porn et des abus sexuels pendant des séances photographiques. Le responsable selon elle, le narcissisme au féminin. «Sans vouloir remettre sur les épaules des victimes ce qui relève des coupables», la journaliste dénonce ces femmes en quête de "validation" ou "satisfaction" et se demande "pourquoi ces photos existent en premier lieu".

C'est vrai, les selfie-takers sont majoritairement des (jeunes) femmes. 68% des filles de la génération Y ont déjà posté un selfie contre 42% de garçons et seulement 24% membres la génération X, et les femmes de 16-25 ans passent plus de cinq heures par semaine à se prendre en photo.

Tout d'abord, faire un selfie n'a pas le même sens si on s'appelle Kim Kardashian, Miley Cyrus ou Madame Tout Le Monde, quand on zone dans le trou de cul de la Picardie ou quand on s'ennuie dans son 5 pièces avec poutres apparentes métro Javel. De la même façon que se prendre en photo à poil après un viol, une agression sexiste ou une maladie semble un tantinet plus empowering que pour vendre un slip. Là encore, ça clive sévère et on retrouve nos deux clans: celles qui prônent une envie d'exprimer librement leur désir et d'assumer leur corps, versus celles qui fustigent un besoin d'attention pathologique et un exemple déplorable pour les jeunes filles, encouragées à miser sur leur cul et non sur leur cerveau.

Pour certains, le selfie, tout comme la GPA, le port du voile ou le travail du sexe, n'est pas un vrai choix.

Malheureusement, dès que la question du corps des femmes est en jeu, on retombe dans l'indéfectible polémique de qui-le-contrôle. Pour certains, le selfie, tout comme la GPA, le port du voile ou le travail du sexe, n'est pas un vrai choix. Arguant que "le privé est politique", on nous explique que le patriarcat s'immisce dans tous les interstices de l'intimité. En gros, les femmes ne décideraient jamais de rien. Certes, le patriarcat est sournois. Et il est partout. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il faut se méfier du concept de féminisme universaliste qui suggère que nous recherchons toutes la même chose et usons des mêmes outils pour y accéder.

En dépit de liens contraints avec la culture narcissique qui régit les médias actuels, le phénomène du selfie peut évoquer le Polaroid et le mouvement artistique féministe des années 1970. Alors oui, c'était peut-être mieux avant, quand les gamins de 8 ans ne regardaient pas du Jackie et Michel, les ados lisaient des livres et la télé-réalité ou les réseaux sociaux n'encourageaient pas à la vacuité absolue et l'autolâtrie. Mais que faire? À moins d'être Emmett Brown ou de devenir mormon, pas grand-chose.

Évidemment, le selfie n'est pas toujours synonyme de rébellion ou de féminisme. Mais cette tendance à l'enfermer dans le narcissisme n'est pas anodine. Comme par hasard, les traits de caractère qu'on lui associe (superficialité, mal-être, vanité...) sont autant d'insultes misogynes que nous connaissons toutes.

Merci à celles qui célèbrent leurs imperfections, n'ont pas peur d'être moches, ou assument leur peau non blanche, leurs rides, vergetures, poils et bourrelets.

Pourtant, c'est assez nouveau d'observer un nombre accru de jeunes femmes se réapproprier ce médium. Les hommes ont toujours contrôlé les images. Depuis des siècles. Et dès le plus jeune âge, on conditionne les filles à se sentir bien uniquement à travers l'approbation d'autrui, surtout ce ces messieurs, et à faire des compromis pour se faire accepter. Merci donc à celles qui bousculent les stéréotypes, produisent des images politiques, de l'idéologie, des concepts et font du selfie une performance. Merci à celles qui célèbrent leurs imperfections, n'ont pas peur d'être moches, ou assument leur peau non blanche, leurs rides, vergetures, poils et bourrelets. Merci enfin à celles qui contestent les identités et les représentations du corps, démontrant qu'il n'est pas nécessairement un espace d'oppression.

Comme le selfie de la chanteuse Lorde (alors âgée de 17 ans) avec cicatrices apparentes qui a décomplexé une génération entière d'acnéiques, celui de l'écrivaine ghanéenne Nana Darkoa Sekyiamah, co-fondatrice du blog sex-positif Adventures from the Bedrooms of African Women qui encourage les femmes africaines à parler de leur sexualité, ou encore celui 100% à oilpé de Kim Kardashian censuré en deux temps trois mouvements sur Instagram.

Son happening virtuel a d'ailleurs ravivé l'épineux débat de la nudité. Les femmes qui se font photographier dévêtues ou envoient des nudes à leur sex-friend du moment jouent-elles le jeu du patriarcat ou le transcendent-elles? Se prendre en photo, c'est aussi se faire du bien, mais notre monde n'aime pas vraiment l'idée que les femmes se fassent plaisir et se trouvent belles hors regard masculin. Normal, la société capitaliste repose sur la perpétuation de leurs complexes. La masturbation féminine, au sens propre comme figuré, n'est-elle pas un seul et même tabou ?

Cette stigmatisation, créée par l'élite blanche, masculine et hétérosexuelle, nous rappelle sans cesse que notre corps porte une charge érotique ingérable pour des créatures à l'érection facile, et qu'il nous faut donc composer avec ce male gaze implicite.

Quand j'étais dans Femen, on m'expliquait qu'en militant seins nus, je savais pertinemment que les gens allaient m'assimiler à une traînée et donc que je ne pouvais pas m'en étonner, même si mon message se résumait à "je suis topless mais je ne suis pas une traînée". Cette petite leçon de slut-shaming façon "tu as été violée alors que tu portais une mini-jupe et avais 3 grammes d'alcool dans le sang? Tu l'as bien cherché!" n'a pas fini de nous pourrir la vie. Cette stigmatisation, créée par l'élite blanche, masculine et hétérosexuelle, nous rappelle sans cesse que notre corps porte une charge érotique ingérable pour des créatures à l'érection facile, et qu'il nous faut donc composer avec ce male gaze implicite.

Alors qui est la plus soumise? La plus émancipée? La plus féministe? La meuf qui se dépoile pour avoir du clic ou exciter sa/son partenaire ou la meuf "respectable" qui défend l'égalité salariale en col-roulé? Nous subissons toutes différentes formes d'oppressions et vivons avec nos contradictions. On s'arrange comme on peut, avec les moyens du bord, nos histoires individuelles, nos limites et nos aspirations. Si montrer son cul n'est pas l'acte féministe suprême pour certaines, il l'est pour d'autres. Et en tant que féministes, il est important de respecter et de reconnaître la validité de démarches qui ne nous correspondent pas. Sans jugement ni hiérarchie.

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