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Et si Obama avait peur de gagner?

On a déjà vu Federer à l'apogée de son tennis avoir quatre balles de match, une victoire sur un plateau d'argent, et les mettre toutes dans le filet. En sport de haut niveau, on appelle ça la peur de gagner. Obama avait autant de balles de match en main, mais aucune n'a inquiété Romney, dont le comeback semblait pourtant inespéré.
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On a déjà vu Roger Federer à l'apogée de son tennis avoir quatre balles de match, une victoire sur un plateau d'argent, et les mettre toutes dans le filet. En sport de haut niveau, on appelle ça la peur de gagner.

Barack Obama avait autant de balles de match en main, mais aucune n'a inquiété Mitt Romney, dont le comeback semblait pourtant inespéré. On croyait la victoire d'Obama pliée, il y avait trop de casseroles dans la cuisine de Romney: sa froideur congénitale, son passé de financier cynique, son commentaire sur les 47% d'Américains qu'il juge assistés. Ironie du sort, 47%, chiffre qui devait porter malheur au républicain, est aujourd'hui le pourcentage d'intentions de vote qu'on attribue au démocrate, contre près de 49% pour son adversaire.

On a voulu se tourner vers un autre combat que l'on croyait plus décisif: celui des élections du Sénat et de la Chambre des représentants qui se déroulent à la même date. A tort.

Bercé par l'illusion qu'un débat présidentiel ne retourne plus l'opinion publique trop nourrie à l'entertainment quotidien, on s'est trompé. La performance calamiteuse d'Obama a inversé la tendance. Trop peu offensif, voulant garder une hauteur présidentielle qui ne trempe pas dans les petites affaires, atteint par la grippe ou par l'altitude (à 1600 m), on a cherché les raisons de l'échec de l'homme, pourtant rompu à l'exercice, avant de conclure à son caractère inexplicable.

Et si Obama avait eu peur de gagner?

Peur de devoir jouer un match trop facile quand les sondages sont continuellement favorables, peur d'un adversaire pas à sa hauteur dans un débat qui fut pourtant regardé par 70 millions d'Américains, un record jamais atteint depuis 1980 pour un premier débat.

La peur de gagner, selon Ogilvie et Tutko (Les athlètes à problème, Vigot), c'est le propre du joueur agressif qui constate que les rôles ont changé: quand il ne vise plus quelque chose mais qu'il devient la cible. Il est alors incapable de se préparer pour le grand match.

Le 3 octobre dernier, Obama n'a pas perdu, mais il a montré qu'il pouvait perdre. Un frisson a parcouru l'échine de nombreux Américains. La prophétie républicaine -pour une large frange du parti, il s'agit ces temps-ci plutôt d'une prophétie que d'un programme- est devenue plausible. On a relu le programme de Romney, on s'est mordu les lèvres. Abrogation des régulations de la finance, soutien d'une guerre contre l'Iran, Russie qualifiée d'ennemi géopolitique, interdiction de l'avortement. Et si tout cela devenait possible?

Pourtant ce n'est pas ce Romney qui est apparu à l'écran lors du débat dont il est sorti vainqueur.

Il faut revenir quelques années en arrière pour comprendre les raisons de ce retournement.

En 1994, George W. Bush se prépare à affronter Ann Richards, gouverneur populaire du Texas. Karl Rove, le conseiller en communication de Bush, lui déconseille de s'en prendre aux faiblesses de son adversaire. Il propose au contraire d'attaquer Richards sur ses meilleurs succès: le recul de l'analphabétisme et la baisse de la délinquance juvénile dans l'état.

Rove et ses hommes attaqueront jour après jour en affirmant qu'au Texas d'Ann Richards, l'analphabétisme et la délinquance augmentent, bien que les chiffres prouvent le contraire. La désinformation l'emporte: la gouverneur démocrate et ses conseillers sont sidérés et ne parviennent pas à contrebalancer la publicité négative, et même, ici, mensongère.

En 2012, le même homme est aux commandes: Karl Rove.

Escomptant une trop grande confiance en soi du président sur ses sujets, le camp adverse prépare le contre-pied. Fini donc le Romney homme d'affaires qui prêche la doctrine néolibérale et la baisse des dépenses publiques avant tout. Au placard aussi, le Romney qui flirte avec le radicalisme moral de la Tea Party. Il ne faut pas laisser à Obama le loisir d'attaquer.

Voici donc un Romney qui occupe le terrain là où le président est habituellement le meilleur: classe moyenne, éducation, santé. Il réécrit complètement son programme en direct, changeant les chiffres et les projets, ressuscitant même une vieille tradition de son parti, celle du conservatisme compassionnel à l'égard de la classe moyenne.

Pantois, Obama a laissé faire le tout nouveau "moderate Mitt" (Mitt le modéré), comme l'a baptisé l'éditorialiste David Brooks. Tout comme Nicolas Sarkozy avait laissé François Hollande prononcer sa tirade du "Moi, président" jusqu'au bout.

Le second débat

Ce soir, lors du second débat, Obama aura la tâche difficile de montrer comment son adversaire a manipulé les faits et les chiffres.

Il doit le faire sans paraître trop brutal et sans avoir l'air de jouer son va-tout. Peut-être devra-t-il faire de la pédagogie, expliquer au public la technique Rove et rappeler que Romney est loin de favoriser la classe moyenne. Disséquer les conséquences de l'abolition d'Obamacare et du plan fiscal républicain.

Il peut aussi compter sur le format de ce débat, celui d'une assemblée où les questions proviennent directement du public, pour y faire jouer son capital sympathie afin de contraster avec le manque d'empathie de son adversaire.

En face, Mitt Romney aura laissé l'aile droite du parti à son colistier Paul Ryan pour peaufiner pleinement sa nouvelle image de "moderate Mitt" qui ratisse large. Obama en challenger et Romney en centriste, voilà deux rôles qui manquaient à la panoplie des candidats dans cette campagne.

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