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J'étais trop apeurée pour aller déposer plainte. Et si les policiers rejetaient la faute sur moi ? Je m'en voulais, c'était déjà bien assez.
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Petite, je mettais ma mère au supplice avec des questions "tu préfères quoi ?" Vous connaissez certainement ce jeu. Tu préférerais être invisible ou avoir la capacité de parler aux animaux ? Tu préfèrerais faire trois mètres de haut ou 1m50 de large ? Il y a une infinité de combinaisons possibles. Mais il faut faire un choix. Pas d'échappatoire.

En primaire, une autre fille m'avait demandé, "tu préférerais être violée ou assassinée ?". Je me souviens avoir réfléchi un moment : aucune de ces deux options n'était marrante. Mais il faut faire un choix.

J'avais choisi "assassinée".

Il est donc assez ironique que j'ai été violée.

Ca s'est produit à une période où j'étais profondément malheureuse. Un petit ami dont je pensais qu'il ne me quitterait jamais venait juste de mettre un terme à notre relation. Ca faisait des années que nous connaissions des ruptures occasionnelles, mais c'était jusqu'alors moi qui cassais. Un tsunami de souffrance refoulée me submergea. Plusieurs années auparavant, mon père avait brusquement quitté la maison. Il n'avait jamais voulu d'enfant, avait-il dit. Cette nouvelle séparation vint confirmer ma crainte la plus sombre : je ne valais pas le coup d'être aimée.

Comme si ça ne suffisait pas, je haïssais mon boulot. Il était ennuyeux et n'offrait aucun épanouissement. Je n'avais pas besoin d'être en pleine forme pour mener à bien mes tâches fastidieuses.

J'ai commencé à sortir trop souvent. Je pensais qu'en m'efforçant d'être heureuse, je parviendrais pour de bon au bonheur. Je dansais, je buvais, je riais, je flirtais. Quand j'avais vraiment besoin de me sentir désirée, je couchais avec quelqu'un pour qui je n'éprouvais rien, et qui n'avait pas plus de sentiment à mon égard.

J'ai rencontré un type, un ami d'ami - appelons-le Dan. Dès la première rencontre, il a commencé à me tourner autour. Vous voyez le genre : feu de tout bois et remarques glauques. Il me faisait peur, et je l'envoyais balader à chaque fois. Mais il traînait souvent dans les parages. Et je ne voulais pas qu'il gâche ma quête éperdue de cette fuite hors de moi-même.

Ce soir-là, nous étions nombreux à être de sortie ; Dan était là lui aussi. Nous sommes passés d'un pub à un bar, puis à une boîte. Nous avons terminé chez quelqu'un. Il était tard, j'étais fatiguée, j'ai décidé d'y passer la nuit.

Je suis allée dormir dans la chambre d'ami, habillée et seule. Quand je me suis réveillée, ma culotte était par terre et Dan dans le lit.

J'étais si horrifiée, si dégoûtée que je ne me suis même pas adressée à lui. Je me suis juste rhabillée et je suis sortie de la pièce.

Mais en fin de compte, je ne pouvais pas faire comme si rien ne s'était passé. De vagues souvenirs avaient percé mon armure de déni. Il était entré dans la chambre au milieu de la nuit. Il avait retiré mes habits. Il avait forcé le passage pour entrer en moi. J'avais essayé de l'arrêter, mais j'étais à moitié endormie, embrouillée, encore sous l'emprise de l'alcool.

J'étais trop apeurée pour aller déposer plainte. Et si les policiers rejetaient la faute sur moi ? Je m'en voulais, c'était déjà bien assez.

J'adoptai une idée fixe : ne pas laisser le viol me transformer. Mais plus je luttais pour rester la même, plus c'était difficile. Le pire, c'était les cauchemars : je me réveillais toutes les nuits, tremblante et en pleurs. Un jour je vis Dan. Je fondis en larmes sur le champ.

On a fini par m'orienter vers une formidable psychologue clinique, spécialiste des traumatismes sexuels. Elle m'a aidée à me remettre d'aplomb. Ca a pris beaucoup de temps et a nécessité beaucoup de travail. J'ai reconstruit ma vie. J'ai trouvé un boulot que j'adore. J'ai laissé tomber les amis qui n'en étaient pas et je me suis rapprochée de ceux qui sont de vrais amis. J'ai commencé à faire attention à moi. J'ai trouvé quelqu'un que j'aime et qui m'aime en retour. J'ai appris à apprécier à nouveau le sexe. Le chemin vers la guérison a été difficile. Je ne suis pas encore arrivée au bout, mais je vais beaucoup, beaucoup mieux. Maintenant, ma vie est heureuse.

Je fais encore des cauchemars, mais pas aussi fréquemment.

Je déteste toujours Dan, mais je ne me hais plus moi-même.

Si quelqu'un me demandais aujourd'hui "tu préférerais être violée ou assassinée ?", le choix serait facile à faire.

Je suis immensément reconnaissante à mon mari, ma famille, mes amis proches et à l'extraordinaire psychologue de l'hôpital public pour le soutien qu'ils m'ont apporté. Je voudrais aussi remercier deux merveilleuses femmes qui m'ont aidée à surmonter la peur de partager mon histoire.

Cet article, publié à l'origine sur le Huffington Post britannique, a été traduit de l'anglais par Mathieu Bouquet.

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