Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Lenteur du Sénat: une autre légende urbaine, tout simplement

La Chambre des communes prend généralement presque trois fois plus de temps à examiner les projets de loi du gouvernement que le Sénat.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
D'où vient la réputation, injuste, qui accable le Sénat d’être source de lenteurs?
Getty Images/Moment Open
D'où vient la réputation, injuste, qui accable le Sénat d’être source de lenteurs?

Tout le monde sait que le Sénat retarde l'adoption des projets de loi du gouvernement, n'est-ce pas? Et si on se trompait?

En fait, la Chambre des communes prend généralement presque trois fois plus de temps à examiner les projets de loi du gouvernement que le Sénat.

Ce fait incontestable a été établi au moyen d'une analyse de dossiers parlementaires officiels couvrant les dix dernières législatures (c.-à.-d. les 37 dernières années). En moyenne, les projets de loi émanant du gouvernement sont au Parlement pendant 144 jours, de la première à la dernière lecture. Ces projets de loi sont au Sénat pendant seulement 35 de ces journées. Pendant les 109 autres journées, les projets de loi émanant du gouvernement sont à la Chambre des communes.

Autrement dit, le Sénat ne retarde pas l'adoption des projets de loi du gouvernement. En fait, c'est plutôt l'inverse : le gouvernement retarde l'adoption de ses propres projets de loi, car il jouit d'un contrôle presque total sur la Chambre des communes la plupart du temps et il délibère sur les projets de loi pendant des mois dans sa propre Chambre.

Mais alors, d'où vient la réputation, injuste, qui accable le Sénat d'être source de lenteurs?

Lors de la première séance du Parlement, il y a 150 ans, les sénateurs se plaignaient du fait que les ministres les incitaient à adopter les projets de loi à la vitesse de la lumière vers la fin de la session parlementaire.

Du gouvernement, bien évidemment. De surcroît, il se trouve que le gouvernement véhicule cette légende urbaine depuis la création du Sénat. Lors de la première séance du Parlement, il y a 150 ans, les sénateurs se plaignaient du fait que les ministres les incitaient à adopter les projets de loi à la vitesse de la lumière vers la fin de la session parlementaire. Les sénateurs étaient censés « recevoir des projets de loi par une porte et les faire ressortir aussitôt par une autre », avait alors déploré un sénateur. Un comité sénatorial s'est penché sur cette allégation de lenteur en 1868 et est parvenu à la conclusion qu'elle était infondée. En fait, le coupable était le gouvernement lui-même, qui retardait la progression des projets de loi.

Après toutes ces années, le discours demeure le même. Il s'agit d'un prétexte commode pour le gouvernement qui lui permet de détourner l'attention de sa propre paresse dans de nombreux dossiers. Cette tactique a atteint un degré d'absurdité sans précédent il y a à peine deux semaines, lorsque le secrétaire parlementaire Bill Blair a averti les sénateurs de ne pas retarder l'adoption du projet de loi C-45 (Loi concernant le cannabis). Peu importe si ce projet de loi est encore à la Chambre des communes, où il se trouve d'ailleurs depuis le mois d'avril : le Sénat n'a pas encore reçu le projet de loi en question, mais déjà, il est invité à faire vite!

La vérité est que, lorsqu'il faut adopter des projets de loi du gouvernement avec attention et promptitude, le Sénat a un excellent bilan. Tout au long de ses 150 ans d'histoire, le Sénat a travaillé à une cadence louable.

Évidemment, quelques exceptions notables sont survenues au fil des années. Par exemple, la majorité libérale au Sénat avait retardé l'adoption du projet de loi sur la TPS le plus longtemps possible et avait fait de l'obstruction systématique pendant dix longues journées et nuits. Les sénateurs s'étaient également opposés autant qu'ils l'ont pu au libre-échange, mais une élection fédérale en 1988 a mis un terme à cet épisode.

Autre exemple, celui-ci plus récent : le projet de loi C-210, qui vise à modifier les paroles de l'hymne national. Dans ce cas en particulier, le Sénat se doit de reconnaître ses torts : ce projet de loi se trouve au Sénat depuis plus d'un an. Il s'agit d'une tache malheureuse au bilan du Sénat, et les sénateurs auraient tout avantage à se souvenir de leur responsabilité d'étudier les projets de loi sans retard indu.

Par contre, le projet de loi C-210 n'est pas un projet de loi émanant du gouvernement. Quoi qu'il en soit, la Chambre des communes est, elle-même, très lente dans l'adoption des projets de loi présentés par des députés d'arrière-ban. Lors de la dernière législature de M. Harper, par exemple, seulement 34 des 798 projets de loi présentés par des députés ont été adoptés, et cette proportion est la plus élevée parmi toutes les législatures depuis 1980. Le bilan du Sénat à cet égard n'est donc pas aussi mauvais qu'il le semble à première vue.

Assurément, le temps est venu pour nous tous d'admettre que le Sénat ne retarde pas l'adoption des projets de loi du gouvernement de manière systématique. En moyenne, le Sénat s'acquitte de l'étude d'un projet de loi en un peu plus d'un mois. La plupart des gens doivent attendre plus longtemps que cela pour que leur compagnie d'assurance traite une simple demande d'indemnisation.

Nous devons éliminer cette légende urbaine une fois pour toutes. Pour les 150 prochaines années de notre histoire, concentrons nos efforts sur des observations fondées sur des données probantes concernant la manière dont le Sénat s'acquitte des tâches qui lui ont été attribuées par la Constitution. Il se pourrait bien que nous ayons des surprises encore plus agréables.

Une version de ce commentaire est parue dans Options Politiques.

Avril 2018

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.