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Monsieur le Ministre Barrette, vous devriez lire «Anna, salle d'attente»

Le projet de loi 20, qui met fin à la couverture publique de la procréation assistée, fait plusieurs victimes: les couples infertiles, les personnes seules voulant un enfant et les personnes homosexuelles.
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Aucune semaine ne passe sans que le ministre de la Santé et des Services sociaux ne commette un faux pas ou fasse un pas en arrière. Et c'est la société québécoise qu'il fait reculer du même coup. Si ses attaques envers la députée péquiste Diane Lamarre (qu'il a traitée d'«ignorante», d'«épileptique» et même d'«architecte du néant»!) ont été largement commentées, j'aimerais revenir sur des propos tout aussi inacceptables qu'il a tenus sur la procréation assistée.

Le projet de loi 20, qui met fin à la couverture publique de la procréation assistée, fait plusieurs victimes: les couples infertiles, les personnes seules voulant un enfant et les personnes homosexuelles. Encore une fois, cette mesure du Parti libéral du Québec défavorise des groupes déjà désavantagés.

Les femmes et les enfants d'abord...

Comme le dit Emmanuelle Cornu, auteure du roman Anna, salle d'attente et mère homosexuelle, «à cause du gouvernement Couillard, les lesbiennes doivent maintenant économiser beaucoup d'argent avant de pouvoir avoir un enfant». Mais du haut de ses privilèges d'homme riche, Gaétan Barrette est loin de se laisser émouvoir par la détresse causée par son projet de loi: «La fécondation in vitro, c'est une chose. Élever un enfant en est une autre. Les coûts qui sont liés à la fécondation in vitro sont, au bout du compte, assez similaires au coût d'avoir un enfant. Alors si la FIV en soi est un obstacle à avoir un enfant, eh bien!, j'ai quelque chose à vous dire: élever un enfant est aussi un coût.»

Il serait tentant de servir au ministre sa propre médecine, en l'injuriant à son tour (les mots «classiste», «capacitiste» et «hétéronormatif» pourraient venir en tête, par exemple), mais je n'en ferai rien. Plutôt, je me propose de reprendre l'exercice de l'écrivain Yann Martel, qui avait fait des suggestions littéraires à Stephen Harper.

Lettre ouverte

Cher Monsieur le Ministre Barrette,

Je pense qu'il serait grand temps pour vous de réfléchir à vos privilèges. Homme blanc, hétérosexuel, éduqué et riche, vous vous trouvez tout en haut de la pyramide sociale néolibérale. Peut-être est-ce par vertige, mais vous ne semblez pas regarder la réalité de celles et ceux qui se trouvent en dessous de vous. Or, en tant que ministre de la Santé et des Services sociaux devant servir la société et non des intérêts personnels, il est temps d'ouvrir les yeux.

Un excellent moyen de vous sensibiliser à certains enjeux sociaux: la littérature. Je vous suggère de commencer par Anna, salle d'attente, écrit par Emmanuelle Cornu. Dans ce roman, vous découvrirez Anna, une jeune homosexuelle et célibataire de 27 ans qui souhaite avoir un enfant. À travers elle et son parcours en montagnes russes, vous verrez que le désir de parentalité existe et est légitime même pour les gens qui n'entrent pas dans votre club de privilégiés. Et peut-être ressentirez-vous avec elle la violence de l'homophobie et ses contrecoups sur son projet de maternité en lisant ce passage: «Feins d'être une vraie femme. Ne possèdes-tu pas un instinct de survie? Nous exécrons ce que tu es. Tu gâches le panorama. / N'agis pas comme une lesbienne. [...] Ne pense pas comme une lesbienne. Ne respire pas comme une lesbienne.»

Vous remarquerez que le rythme syncopé du texte reflète l'état d'esprit du personnage. Angoissée par les multiples échecs de son projet, elle perd le souffle et la tête, ce qui se traduit dans le style d'écriture. Comme vous pourrez vous en rendre compte, le manque d'accessibilité à la procréation assistée (ce que votre projet de loi 20 accentue, d'ailleurs) et à l'adoption entraîne des conséquences sur la santé mentale. Même si la dépression est généralement perçue comme un problème individuel provenant de problèmes psychologiques, on peut voir à travers Anna que cette maladie découle également d'injustices sociales. Pour creuser cette question, je vous conseille aussi la lecture de Depression: A Public Feeling, écrit par la féministe queer Ann Cvetkovich.

Vous penserez peut-être que la littérature n'a rien à voir avec la réalité et qu'un personnage de fiction n'a rien à vous apprendre. Ce serait une erreur. En effet, Emmanuelle Cornu, jointe pour une entrevue téléphonique, dit s'être inspirée d'une expérience personnelle pour écrire ce roman: «Il s'agit d'une fiction, mais basée en partie sur mon vécu. J'ai fait des démarches d'insémination et d'adoption il y a une dizaine d'années. Ensuite, j'ai fait une dépression et des thérapies. Je me suis inspirée de ça.»

J'espère que ce voyage dans la tête d'une personne différente de vous ouvrira votre cœur et, surtout, vous fera réfléchir sur votre projet de loi 20. Idéalement, vous en viendrez à la même conclusion que moi et que plusieurs personnes voulant devenir parents: cette loi est capacitiste, c'est-à-dire qu'elle discrimine les gens par rapport à leurs capacités physiques (de procréation) et par rapport à leurs capacités financières.

Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture, Monsieur le Ministre!

Anna, salle d'attente, Emmanuelle Cornu, Éditions Druide, 2016

Ce billet a initialement été publié sur le site des Méconnus.

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Mai 2017

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