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Ville intelligente: le numérique et l'éthique doivent aller de pair

Les choix auront des conséquences importantes, notamment sur la possibilité que les technologies deviennent un moyen de surveillance et de catégorisation des citoyens.
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Applications mobiles de gestion de la circulation, centres de prise de décision en temps réel, analyse de données massives, capteurs en réseau pour détecter les fuites des systèmes d'aqueduc, accès Internet sans-fil publics gratuits... voilà autant de manières proposées aujourd'hui pour rendre la ville plus «intelligente».

L'expression «ville intelligente», souvent utilisée comme un slogan, évoque une utilisation des technologies et des données numériques dans l'objectif d'améliorer les services à la population et la gestion des villes. Au Québec, plusieurs municipalités s'y intéressent, dont Montréal, Québec, Sherbrooke et Magog. Cela n'est pas étonnant. Alors que le numérique est omniprésent et se diffuse dans toutes les sphères de la société, il est normal de chercher à l'intégrer à la gestion urbaine pour profiter là aussi des bénéfices qu'il peut apporter.

À l'automne 2014, le premier ministre du Québec s'engageait à doter la province d'un plan global de gouvernance numérique, ce qui devrait inclure les municipalités. La Commission de l'éthique en science et en technologie (CEST) estime qu'il est important de faire dès maintenant une réflexion de fond sur la question, avant de procéder à des investissements importants.

Elle croit que les innovations qui permettent le développement des villes intelligentes soulèvent un certain nombre de questions d'éthique.

Sous l'emprise du secteur privé

Actuellement, le discours demeure orienté par les entreprises qui développent les applications technologiques. Les choix que feront les municipalités risquent donc d'être orientés par les produits disponibles, plutôt que par une évaluation rigoureuse de leurs besoins. Sans nier que le secteur privé ait un rôle à jouer, des questions importantes se posent quant au contrôle qu'il exerce sur les données et les services publics.

Premièrement, il faut s'assurer que les investissements apportent réellement les bienfaits attendus pour les citoyens. Il serait alors cohérent que ce soit aux pouvoirs publics que revienne la responsabilité de décider à quoi devraient servir les applications technologiques.

Deuxièmement, les données des citoyens qui utilisent les services publics ne doivent pas être utilisées à d'autres fins que celles qui sont déterminées par le public, par exemple lorsqu'elles transitent par des serveurs privés. Pour cela, on pourrait exiger que ces données soient possédées et contrôlées par les pouvoirs publics.

Troisièmement, il faut éviter de devenir dépendants du privé, une situation qui réduit la marge de manœuvre des pouvoirs publics, en plus de constituer un frein à l'innovation.

Par exemple, les entreprises ont un intérêt commercial à ce que les technologies soient rigides, peu modifiables par l'utilisateur, et exigent rapidement des mises à jour. Les villes se trouvent alors de facto liées à long terme envers leurs fournisseurs. Les municipalités doivent alors composer avec des contraintes importantes, notamment en matière de compatibilité des produits déjà achetés avec d'autres technologies qu'elles pourraient vouloir acquérir.

Des données de plus en plus révélatrices

Le recours aux applications mobiles, à la géolocalisation et au traitement géographique des données soulève aussi des enjeux relatifs à la vie privée. Le citoyen, dont la localisation physique est mise en lien avec les nombreuses traces qu'il laisse dans l'univers numérique, n'a actuellement aucun moyen de contrôler ce qui est fait de ces données, qu'il génère souvent sans même le savoir.

Les choix en matière de gestion de ces données auront des conséquences importantes, notamment sur la possibilité que les technologies deviennent un moyen de surveillance et de catégorisation des citoyens, que les données soient commercialisées, ou servent à générer des publicités ciblées.

D'inévitables bogues et vulnérabilités

La ville intelligente, c'est à la fois des outils matériels et des logiciels. Par exemple, des capteurs intégrés dans les systèmes d'aqueduc pour y détecter les fuites doivent être reliés, par un réseau avec ou sans fils, avec des ordinateurs et des logiciels de traitement de données. Toute cette quincaillerie est à risque de subir des bogues ou autres défaillances, de faire face à des problèmes de compatibilité, voire d'être l'objet de cyberattaques.

Cela soulève plusieurs autres questions. Quelles conséquences pourraient avoir ces défaillances ou autres problèmes sur la qualité des données recueillies et sur les décisions des autorités municipales ? Quels seraient les impacts sur la vie quotidienne et la sécurité des citoyens si des services publics essentiels comme les aqueducs étaient perturbés par ces défaillances ou ces cyberattaques ?

La ville intelligente sera-elle plus démocratique ?

La ville intelligente promet une gestion plus transparente et plus à l'écoute des citoyens. On entend ainsi rendre accessibles des données «ouvertes», que les citoyens peuvent manipuler eux-mêmes pour s'informer sur leur ville, et avoir la participation du public via Internet, sur des forums ou des applications mobiles. Cette promesse se heurte cependant à certains écueils. Par exemple, dans la ville de Québec, encore près de 20 % de la population n'est pas connectée. Est-ce à dire que ces personnes n'auront pas voix au chapitre ?

Un défi pour l'avenir

La ville intelligente, sous une forme ou une autre, deviendra une réalité. Il nous revient néanmoins comme société de la modeler pour qu'elle réponde à nos valeurs. Dans les prochains mois, la CEST se penchera sur les nombreux enjeux éthiques qu'elle soulève, pour aider les décideurs à faire les bons choix.

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