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M. Trudeau, les gestes posés par le président que vous accueillez sont dignes d'un dictateur

Monsieur le premier ministre, je vous interpelle directement, en tant que citoyen canadien d'origine sénégalaise, pour que vous inscriviez dans votre ordre du jour les questions liées aux droits humains au Sénégal.
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Monsieur le premier ministre,

Vous vous apprêtez à recevoir le 15 septembre le président sénégalais, Macky Sall, triomphalement élu sous le signe du maintien des acquis démocratiques, de la transparence et de la bonne gouvernance. Une visite qui s'inscrit officiellement dans le cadre de la cinquième conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui se tiendra à Montréal les 16 et 17 septembre.

Le Sénégal s'est toujours positionné, à juste titre, comme une vitrine démocratique en Afrique. La maturité du peuple sénégalais a été saluée sous les gouvernements de Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. Mais sachez, Monsieur le premier ministre, que notre pays d'origine a connu un recul démocratique sous le règne de l'actuel président Macky Sall, qui avait pourtant recueilli 65,80 % au deuxième tour de la présidentielle de mars 2012.

Le Canada est le pays des droits, des libertés et de la démocratie. Les valeurs canadiennes se traduisent, entre autres, par l'idéal démocratique, la liberté d'expression, la liberté, la diversité, l'égalité entre les citoyens, etc. Au-delà de la prospérité économique, la liberté d'expression, les droits à l'égalité face à la loi ainsi que le respect des libertés individuelles poussent les immigrants à choisir ce pays de paix qui a une vocation de conciliateur dans les relations diplomatiques mondiales.

«Les gestes posés par le président que vous accueillez sont dignes d'un dictateur, trahissant ainsi tous les espoirs de son peuple.»

Monsieur le premier ministre, les gestes posés par le président que vous accueillez sont dignes d'un dictateur, trahissant ainsi tous les espoirs de son peuple. Les intérêts économiques du Canada ne doivent aucunement occulter les valeurs fondamentales du pays du multiculturalisme dont vous avez réussi, depuis votre élection, à restaurer l'image de marque sur le plan international.

Malgré la pauvreté au Sénégal , ce pays possède un potentiel économique très important dans le domaine minier (Sénégal : le nouvel eldorado minier titrait le journal Jeune Afrique), gazier (découverte de « 140 milliards de mètres cubes » de gaz naturel dans l'offshore sénégalais) et pétrolier (la plus importante découverte de pétrole dans les eaux sénégalaises (entre Saint-Louis et Kayar), gisement «le plus important d'Afrique de l'Ouest» (pétrole et gaz) selon le groupe pétrolier américain Kosmos Energy). Sur le site du gouvernement canadien, dans la rubrique Affaires mondiales Canada, on y présente les entreprises minières canadiennes très actives au Sénégal telles que Teranga Gold et Iamgold.

Monsieur le premier ministre, le président pour lequel vous voulez dérouler le tapis rouge est allergique à la critique. Son Excellence Macky Sall avait juré de «réduire l'opposition à sa plus simple expression ». Il ne cesse de poser des actes qui vont dans le sens de sa déclaration tenue en marge du conseil des ministres décentralisés à Kaffrine en avril 2015. Il ne se limite plus à museler l'opposition et les mouvements citoyens (emprisonnement de plus de 30 prisonniers politiques ou prisonniers pour délit d'opinion, parfois sous le prétexte de la reddition de comptes, alors qu'il excelle dans une justice sélective (Lire à ce sujet cet article Détention des prisonniers politiques : le Sénégal de Macky Sall bat des records).

Il vient de radier de la fonction publique un lanceur d'alerte dont le seul crime est d'avoir rendu, dans un langage accessible aux Sénégalais, les injustices fiscales. Le leader du parti dénommé Patriote du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef), Ousmane Sonko, par ailleurs inspecteur principal des impôts et domaines avait déclaré en mai 2016, au cours d'un panel « Les samedis de l'Economie », que les députés de l'Assemblée nationale ne payaient pas d'impôt (aucun reversement d'impôt sur le salaire n'a été fait dans un système de taxation par la retenue sur les salaires ou système d'exonération à la source). Selon M. Sonko, le frère du président de la République, Aliou Sall, qui est cité dans plusieurs scandales financiers, devrait verser au fisc sénégalais « un montant de 99 milliards de francs CFA» (l'équivalent de 224 millions $) sur la vente d'actions de la société Petro Tim, une nébuleuse du pétrole sciemment orchestrée que le journaliste d'investigation sénégalais basé aux États-Unis, Baba Aïdara, explique de manière pédagogique .

En guise de rappel, l'ancien président sénégalais, Abdoulaye Wade, avait accusé le frère du président «d'être détenteur de 30% des actions de la société Petro Tim à qui le président Macky Sall a confié le pétrole du Sénégal» (un délit d'initié).

«Depuis son accession au pouvoir, le président Macky Sall ne cesse de multiplier les interdictions de manifestation au Sénégal.»

Mauvaise gouvernance économique

Sur la chaîne d'une télé privée sénégalaise, Sen TV, le leader politique, Ousmane Sonko, dénonçait, en juillet 2016, un autre scandale relatif au fait que «le gouvernement qui a encaissé 22 milliards de francs CFA (l'équivalent de 50 millions $) sur la transaction d'exploitation des blocs pétroliers Saloum On Shore et Sénégal Sud n'a jamais versé ces fonds dans les caisses du trésor public sénégalais». Quand le président de la République du Sénégal Macky Sall se réclame chantre de la bonne gouvernance, le peuple sénégalais s'attend à ce qu'il allie la parole aux actes.

Si l'on se fiait aux déclarations d'un président qui se targuait d'une «gestion sobre, transparente et vertueuse», cet inspecteur des impôts qui possède 15 ans de bons et loyaux services dans la fonction publique, devrait être promu pour son travail de conscientisation sur la bonne gouvernance économique. M. Sonko, le porte-étendard de la compétence et des valeurs de transparence, a été radié parce qu'il dénonçait les iniquités fiscales ou cas de délinquance fiscale, des faits connus par tous les Sénégalais et accessibles dans des rapports publics.

Pourquoi donc, une politique fiscale du deux poids deux mesures? Pourquoi la création de deux catégories de citoyens ? Pourquoi au Sénégal, les salariés paient plus d'impôts que les entreprises ? (Lire à ce sujet un excellent dossier sur Seneweb, Pourquoi les Sénégalais ne paient pas leurs impôts ?)

Autre dérive du président sur les questions de bonne gouvernance, c'est le limogeage de la présidente de l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (l'OFNAC) Nafi Ngom Keïta. Selon certaines informations, Mme Keïta s'apprêtait à publier un rapport incriminant la gestion du frère du président Macky Sall dans le dossier du pétrole sénégalais. Elle avait fait le déplacement aux États-Unis pour y mener des enquêtes complémentaires. Cette femme avait jugé illégal le décret de limogeage du président Macky Sall à son endroit et certains membres de l'opposition et de la société civile parlent également de la violation de la loi par le président sénégalais. On constate aisément, Monsieur le premier ministre, que toutes les personnalités qui dénoncent la mauvaise gestion ou les scandales financiers de son frère Aliou Sall suscitent la colère noire du président Macky Sall. Toutes les personnes qui se préoccupent de la gestion saine de nos ressources naturelles par le président et son frère ont reçu le couperet y compris les cinq enquêteurs impliqués dans l'établissement des faits.

Le président sénégalais souhaiterait que la transparence dans la gestion du pétrole sénégalais soit un sujet tabou dans la conscience collective des Sénégalais. Lui et sa famille doivent seulement avoir le droit de décider comment on devrait gérer les maigres ressources actuelles et potentielles ressources futures des contribuables sénégalais. Le président sénégalais et chef de parti a terrorisé la population et a installé une paranoïa à tel point que les citoyens ont peur des écoutes téléphoniques illégales. Quand la presse professionnelle publie des secrets de mauvaise gouvernance ou de confiscation des libertés, il la qualifie de «presse pourrie» (chronique du 31 août du journaliste très respecté Pape Alè Niang) alors qu'il passe sous silence l'accaparement des médias publics par son parti au pouvoir. Les faits prouvant la dictature au Sénégal parlent d'eux-mêmes.

Multiplication des interdictions de manifestation au Sénégal

Depuis son accession au pouvoir, le président Macky Sall ne cesse de multiplier les interdictions de manifestation au Sénégal.

• Restriction des droits humains et interdictions systématiques record de manifestation pacifique pour « menaces de trouble à l'ordre public » (plus de 25 demandes de manifestation refusées selon le journal en ligne Actunet (entre mars 2012 et novembre 2014), une dérive diplomatique relayée par Radio France Internationale (RFI) à travers son article Sénégal : les interdictions de manifestation se multiplient);

• Utilisation abusive de l'article 80 du code pénal, offense au chef de l'État, un fourre-tout, une sorte d'épée de Damoclès sur tous les citoyens sénégalais et une arme politique pour museler les adversaires politiques (Lire cet excellent article visionnaire Le petit dictateur de Mbodiène );

• Assassinat sauvage d'un étudiant et plusieurs étudiants blessés et paralysés à vie pour avoir réclamé le paiement de leurs bourses qu'ils n'ont pas perçues depuis plus d'un an (d'octobre 2013 à août 2014 selon Yankhoba Seydi du Syndicat autonome des enseignants du supérieur (SAES) cité par la journaliste Sabine Cessou à travers son article Le mouvement étudiant sénégalais victime des violences policières);

• Acharnement contre certains médias de veille démocratique et volonté exprimée d'interdire les tribunes libres radiophoniques interactives (Wakh sa Khalat : Parole aux citoyens) : « Macky Sall : « Revue de presse, une dictature imposée à la nation » (Dakaractu, 28 août 2014), etc.)

La section sénégalaise d'Amnesty International a d'ailleurs été sévèrement critiquée par le gouvernement sénégalais lorsqu'il avait publié, à juste titre, en mai 2013 un rapport accablant sur l'actuel gouvernement (La situation des droits humains dans le monde, période couverte de janvier à décembre 2012).

En avril 2014, une Délégation de l'Union européenne (DUE) avait même exprimé ses inquiétudes sur la multiplication des interdictions de manifestions citoyennes et politiques au Sénégal. (Pour la 1ère fois, l'Europe parle de dictature au Sénégal)

Du temps de son prédécesseur, le peuple souverain sénégalais avait dit non au tripatouillage de la constitution sénégalaise, ce qui s'est manifesté par le refus du mouvement du 23 juin 2011. Le président Macky Sall qui s'était engagé à réduire son mandat de 7 à 5 ans a annoncé sa décision de ne plus le faire le 16 février 2016. Il a préféré se réfugier derrière l'avis consultatif du Conseil constitutionnel, le même conseil qui avait validé arbitrairement le troisième mandat de l'ancien président causant ainsi une quinzaine de morts au Sénégal. Cette même démocratie qui lui a permis d'être le président le plus démocratiquement élu en Afrique, est aujourd'hui foulée aux pieds par lui-même, sa famille et son clan.

Il devrait avoir en tête les conséquences d'une injustice et apprendre les erreurs du passé de son prédécesseur. Cette même personne qui avait été limogée injustement de son poste de président de l'Assemblée nationale du Sénégal, sous le règne de l'ancien président Abdoulaye Wade, fait subir aujourd'hui une injustice à l'opposition et à la population. La démocratie sénégalaise est acquise au prix d'énormes sacrifices et le peuple sénégalais n'acceptera jamais une démocratie à rabais ou de façade. Pour la sauvegarde de la démocratie et un legs aux générations futures sénégalaises et africaines, la diaspora sénégalaise restera toujours une sentinelle constructive.

Pour conclure, Monsieur le premier ministre, je vous interpelle directement, en tant que citoyen canadien d'origine sénégalaise, pour que vous inscriviez dans votre ordre du jour les questions liées aux droits humains au Sénégal. Il demeure fondamental de questionner ces différents enjeux qui doivent être inscrits sur la liste de priorité : liberté d'expression et de manifestation, bonne gouvernance, démocratie, État de droit, désespoir de la jeunesse sénégalaise.

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