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Jouer contre la guerre

Le défi, c'est de se représenter un enfant syrien. De se détacher des préjugés, des stéréotypes ancrés dans notre imaginaire collectif par les médias.
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Concevoir en deux jours un espace de jeu pour le camp de réfugiés syrien d'Ariha. Voilà le défi qu'a lancé la fondation Je veux jouer, dont la mission vise à rendre aux enfants syriens le droit à une enfance, le droit de jouer, le droit de rêver, de courir, d'imaginer, de s'amuser.

Les 11, 12 et 13 mars, Je veux jouer, associé à Architectes de l'urgence et à l'école de design de l'UQAM, a réuni plus de 40 créatifs, architectes, étudiants, bénévoles, et leur a donné un défi de taille : répartis en 6 équipes, aménager un terrain de jeu, en penser les matériaux, en anticiper les impacts, les présenter à un jury (notamment constitué d'enfants).

L'objectif ? Collecter chez chacun des idées surréalistes mais réalisables, et débuter la construction de l'espace d'ici un mois. Participante de l'une des équipes (aux côtés de Frederique Corson, Thisbée Kolk, Sahar Farhat) laissez moi vous partager de l'intérieur un petit morceau de ces 48 heures dans la tête de grands enfants.

Comment réussir un tel pari ?

Dans la tête d'un enfant d'Ariha

Avant toute chose, laisser parler l'enfant qui sommeille en chacun de nous. Ça sonne quétaine, dit comme ça, mais le principal défi de l'exercice consiste à rechausser ses lunettes d'enfant, à rembobiner sa mémoire, pour retrouver les passions, les peurs, l'instinct, l'admiration d'un tout petit. Laisser de côté notre côté pédo-psychiatre, notre regard d'adulte, déconstruire les schémas pré-établis, les déjà vu, le trop évocateur. Oublier ce que nous pensons bon pour l'enfant. Être l'enfant.

Second défi de taille : s'imaginer pendant deux jours un enfant... syrien. Le camp d'Ariha se situe à la frontière entre la Syrie et la Turquie. Ariha, c'était avant tout le nom d'une ville à proximité qui a été rasée par les bombes. Quelques 300 habitants forment le camp, plus de 150 enfants y habitent. Plusieurs n'ont connu que la guerre, et dans leurs jeux, celle ci est omniprésente.

Au camp d'Ariha, le temps est long, les enfants inoccupés. L'accès à l'école ou à des infrastructures qui leur sont réservées inexistants. Aussi, à quoi joue t on, quand on grandit à Ariha ? Comment retrouve-t-on une enfance gaie, quand chaque jour on s'expose à des raids aériens, quand la pauvreté et le risque de tout perdre nous guette ?

Le défi ici, c'est aussi de se représenter un enfant syrien. De se détacher des préjugés, des stéréotypes ancrés dans notre imaginaire collectif par les médias. Réaliser que ces enfants ont des points communs avec les nôtres. Qu'ils ont des petits pieds potelés, qu'ils sont pleins de curiosité, qu'ils sautillent volontiers sur des marelles, qu'ils aiment imiter les grands, qu'ils veulent jouer.

Des principes directeurs

Avec mes 3 coéquipières, nous dressons la liste de nos principes directeurs : immédiatement, nous plaçons au cœur du projet l'imaginaire. On veut susciter l'éveil, suggérer l'aventure, ouvrir des portes sur des tas d'univers à explorer.

On veut que l'enfant débute un jeu, découvre, s'amuse, et puisse, s'il le souhaite, emporter les étoiles de ses yeux jusqu'à la maison, contaminer par sa joie la voisine, le cousin, le grand frère.

Le caractère participatif du projet nous apparaît indispensable : on veut mobiliser la communauté, qui attend de pied ferme le projet, prête à mettre la main à l'ouvrage. Aussi, c'est sous forme de coloriage géant en noir et blanc que nous décidons sur-le-champ de livrer le projet avec des coffres de pots de peinture. Ainsi, chacun y laissera son emprunte.

On veut un espace à l'image de ses usagers. Notre espace doit être inclusif, les nourrissons comme les ados, les mamans et les papas doivent y trouver leur place. On doit y rassembler les petits sportifs, les petits créatifs, les grands calmes, les stars en devenir, les aventuriers, les acrobates.

Enfin, la sécurité du lieu doit conduire toutes nos actions : un endroit où l'on peut se trouver un petit cocon, un endroit où l'on est entouré, surveillé, mais surtout à l'abri de la guerre, où l'on peut mettre entre parenthèses son quotidien.

Beit Beyout

C'est ainsi qu'est né Beit Beyout (en arabe : «une maison, des maisons», nommé d'après un jeu de rôle auquel jouent les enfants en Syrie), notre microvillage imaginaire, composé d'un bâtiment central et d'îlots thématiques à explorer.

À Beit Beyout, on entre par une rivière suggérée, sur un bateau coloré. On navigue entre les roches peintes, devenues crocodiles. On accoste près de l'espace forêt, ou bien près d'un espace «fête du bruit», où l'on peut exprimer musicalement sa créativité. Au parc à jeux, on grimpera sur des échelles, on se balancera jusqu'à plus soif, on rebondira sur le trampoline. Espace théâtre, espace maison, observatoire composent également de petits espaces.

Mon bilan ? Mon bilan, c'est des heures de dessin. C'est de l'adrénaline, c'est des rencontres. C'est des odeurs de thé à la menthe, de la lumière qui fuse à travers des drapés, c'est de la poussière qui vole, c'est des grosses larmes d'enfant, c'est un petit voyage de deux jours à des milliers de kilomètres.

Un exercice de taille, mais ô combien touchant, quand on sait que des dizaines d'enfants, là-bas, au camp d'Ariha, savent ce qui se trame à Montréal. Un défi ô combien stimulant quand on constate les trésors d'imagination dont on est capable et dont les autres équipes font preuve. Un travail ô combien valorisant quand on se dit que peut-être, dans un futur proche, des éclats de rire retentiront dans les jeux qu'on s'est appliqué à créer.

Illustrations : Dorothée de Collasson

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