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La campagne référendaire de 1995 vue depuis l'autobus du Oui

Lorsque vous embarquez dans le bus de l'un des deux camps, vous êtes conscient que vous êtes aux portes de l'Histoire.
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La campagne la plus excitante que j'ai eu le privilège de couvrir, c'est la campagne référendaire de 1995. Un référendum vous prend aux tripes que vous soyez citoyen ou journaliste. Le choix se limite à un Oui ou à un Non et les conséquences sont irréversibles.

Lorsque vous embarquez dans le bus de l'un des deux camps, vous êtes conscient que vous êtes aux portes de l'Histoire. Les déchirements vécus dans la société se transportent dans l'autobus de la tournée et provoquent, parfois, des échanges assez vifs entre les membres de la presse.

L'automne 1995 coïncida avec la fin d'un cycle politique marqué par le rapatriement (sans l'accord du Québec) de la Constitution, de l'échec de l'Entente du Lac Meech, de celui de l'Accord de Charlottetown, de l'élection du Bloc québécois, puis celle du Parti québécois (1994). Jacques Parizeau est premier ministre du Québec et pressé de faire l'indépendance.

À titre de chef du bureau parlementaire du quotidien Le Soleil de Québec, j'ai suivi la caravane du Oui du premier au dernier jour, soit du 1er au 30 octobre. De ce poste d'observation, j'ai bien vu la campagne du Oui se dérouler en deux parties, celle menée par Parizeau puis celle menée par Lucien Bouchard.

La victoire du PQ, à l'automne 1994, avait été beaucoup plus courte que prévu. Depuis des mois, le gouvernement péquiste « chauffait la machine » pour provoquer un engouement populaire, mais il se heurtait, entre autres, au scandale qui a entaché les études Le Hir sur les bienfaits de la souveraineté. Qu'à cela ne tienne, Parizeau arrache, en juin, une entente tripartite avec Lucien Bouchard, du Bloc et Mario Dumont, alors chef de l'Action démocratique (ADQ). Le prix à payer pour Jacques Parizeau: une offre de partenariat faite au Canada anglais et intégrée à la question référendaire.

Le début de campagne du Oui est laborieux, pour ne pas dire catastrophique. Les militants sont rares devant l'hôtel de ville de Québec, au premier jour, et on les cherche lorsque l'autocar longe les rives du Saint-Laurent durant la première semaine.

Parizeau monte le ton et dénonce les hommes d'affaires qui « crachent dans la soupe » et font campagne pour le Non. Il devient évident qu'on se dirige vers un score de 60-40 le jour du vote.

Les organisateurs péquistes font des ajustements. Ils poussent à l'avant-scène Pauline Marois, car leurs sondages démontrent qu'elle est la ministre la plus populaire. Ça ne fonctionne pas.

Ce qui fait défaut dans les campagnes du Oui et du Non, c'est le manque d'émotion. Lucien Bouchard et Jean Charest, chacun de leur côté, vont changer la donne et injecter de la passion dans la campagne.

Le 7 octobre au matin, un samedi, les journalistes qui font la tournée sont prévenus qu'il y aura une annonce majeure durant le rassemblement de l'après-midi.

C'est un coup de génie: le premier ministre Parizeau nomme Lucien Bouchard négociateur en chef de la nouvelle entente de Partenariat à négocier avec le Canada. C'est l'euphorie au sein du Oui.

Le premier ministre québécois accepte, et cela demande une grande abnégation, de devenir le faire-valoir de l'autre leader souverainiste en lui remettant la direction de la campagne de terrain.

Les journalistes qui couvraient la campagne depuis le début constatent le retournement immédiat. Le Oui carbure désormais aux stéroïdes.

Lucien Bouchard rassure et rallie ces Québécois qui se sont sentis trahis par les ténors fédéraux. Il a mené le Bloc à l'opposition officielle à Ottawa. Surtout, il a soulevé une vague d'émotion sans précédent dans la population après avoir vaincu une bactérie qui l'avait laissé handicapé un an plus tôt.

Il fallait voir les gens se bousculer pour toucher ses vêtements lors d'une assemblée pour mesurer son aura. La figure quasi messianique dont le Oui avait besoin. Dès sa première apparition, à Sherbrooke, la presse constate qu'il fait un malheur et que les choses se mettent à changer.

Orateur remarquable, Bouchard enflamme les assemblées à travers le Québec, à tel point que les gens ne veulent plus quitter la salle. Le Oui grimpe dans les sondages et la panique prend racine à Ottawa.

Les organisateurs du Oui sont convaincus de gagner. Le soir du 30 octobre, une heure avant la fermeture des bureaux de vote, Jean Royer, chef de cabinet de Parizeau, peut confier à certains journalistes que le Oui triomphe. Le Pays du Québec pointe le bout du nez.

On connait la suite. La défaite est ressentie cruellement et le discours hargneux du premier ministre finit de gâcher la fête. Pour la deuxième, et peut-être dernière fois, les Québécois disent Non. Malgré un alignement des astres, une question « molle », un leader charismatique, des partis souverainistes en position de force, les Québécois refusent de franchir le pas.

Dans le camp du Oui, on est complètement sonné et le « hangover » durera des semaines. Le 31 octobre au matin, les journalistes qui ont fait la tournée sont avisés que la caravane prend le chemin de Québec, car Jacques Parizeau fera une déclaration solennelle au Salon rouge de l'Assemblée nationale. Le premier ministre, élu il y a à peine un an, tire sa révérence, son rêve effondré.

Après coup, on mesure les lignes de fracture dans le mouvement souverainiste entre la gang à Parizeau et celle de Bouchard.

Les deux chefs, au mieux, se tolèrent. C'est évident le soir du 29 octobre, veille du vote. La tradition veut que l'équipe de la tournée, journalistes et organisateurs, tiennent un souper de groupe au dernier jour de la campagne.

La tension est à couper au couteau entre les deux leaders du Oui. Parizeau et Bouchard occupent des tables séparées avec leurs conjointes et leur garde rapprochée. À mon arrivée au restaurant, je dois choisir rapidement « mon » chef avec qui je vais casser la croûte et discuter de la campagne.

Les Confessions post-référendaires de Jean Lapierre et Chantal Hébert vont nous apprendre que Jacques Parizeau a utilisé Bouchard pour gagner la campagne et qu'il aurait repris le contrôle après une victoire du Oui.

L'offre de partenariat n'aura servi qu'à appâter les partisans d'une forme de fédéralisme renouvelé. À la lumière de ces révélations, on aurait assisté inévitablement à une collision, un clash, entre les deux tendances au sein du mouvement souverainiste.

Les nostalgiques vous diront que le Québec a raté son rendez-vous avec l'Histoire il y a 20 ans. Ce rendez-vous aurait-il produit un pays? Une dévolution de pouvoirs? Le Québec serait-il un pays prospère? Ou criblé de dettes, dans une position économique difficile? A-t-il été sage ou frileux en ratant ce rendez-vous par 1,2% du vote? La question demeure ouverte.

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