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Wikipédia nous rend-t-il stupide?

Ce qui est problématique, c'est que de plus en plus de journalistes se contentent de recopier par paresse les informations qu'ils trouvent sur Wikipédia, sans vérifier les sources.
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En ce début de XXIe siècle, jamais nous n'avons été aussi connectés, avec une quantité d'informations qui semble illimitée. La connaissance semble partout, à portée de clic. Ainsi, Internet a changé la scolarité des élèves. De nos jours, faire ses devoirs ne consiste pas à chercher dans des livres des informations pour pouvoir répondre à des questions, mais à taper des mots-clés dans des moteurs de recherche.

Autant dire que cette méthode ne favorise ni la réflexion personnelle ni la mémoire. Sans compter que les «sources» consultées par les élèves ne sont pas nécessairement fiables, y compris l'incontournable encyclopédie en ligne Wikipédia.

Wikipédia offre un parfait exemple de la façon dont Internet organise la connaissance du point de vue problématique de la popularité. Si la population est constituée, comme le disait Stuart Mills et avant lui Platon, d'une majorité de sots et d'une minorité de sages, la notion même de savoir collectif n'est pas sans poser un problème. De fait, Internet a ouvert la voie à la culture de l'amateur, si omniprésente que par contrecoup, l'expertise et le savoir perdent du terrain.

Wikipédia ne compte pas moins de 600 articles (!) rattachés au personnage Homer des Simpsons, contre un peu moins de la moitié au Homère de l'Odyssée...

Force est de constater que quinze ans après son lancement, l'encyclopédie en ligne est omniprésente. Google et Wikipédia sont étroitement liés puisqu'en règle générale le moteur de recherche renvoie en premier résultat à l'article de l'encyclopédie en ligne. Or, Wikipédia est par définition bourrée de demi-vérités et d'erreurs. Selon les mécanismes de la e-réputation, l'internaute prend d'autant plus de poids qu'il partage, discute, écrit et commente beaucoup. Que ce soit sur Wikipédia, parmi ses abonnés actuels et potentiels, sur Twitter ou au sein de son réseau d'«amis» sur Facebook, le plus actif est systématiquement plus respecté, plus écouté. Il en résulte une sorte d'état de nature proche de celui décrit par le philosophe Hobbes, où les plus bavards imposent leur loi et où des sujets futiles qui passionnent les internautes l'emportent sur des sujets ardus. Ainsi Wikipédia ne compte pas moins de 600 articles (!) rattachés au personnage Homer des Simpsons, contre un peu moins de la moitié au Homère de l'Odyssée... L'article consacré à Star Wars est plus long que celui sur la guerre en Irak et celui consacré au général français Gallieni - accusé notamment d'avoir été un massacreur à Madagascar (avec des chiffres à l'appui totalement faux), est un monceau de désinformations... Enfin la notice de l'homme politique André Tardieu, trois fois président du Conseil dans la période 1929-1932 le décrit comme un affairiste crypto-fasciste...

Ce qui est problématique, c'est que de plus en plus de journalistes se contentent de recopier par paresse les informations qu'ils trouvent sur Wikipédia, sans vérifier les sources.

Ce qui est problématique, c'est que de plus en plus de journalistes se contentent de recopier par paresse les informations qu'ils trouvent sur Wikipédia, sans vérifier les sources. Un étudiant en sociologie irlandais, Shane Fitzgerald, a ainsi réussi à piéger les médias du monde entier. À la mort du compositeur français Maurice Jarre en mars 2009, il a rajouté dans la page Wikipédia qui lui était consacrée cette fausse citation: «On pourrait dire que ma vie elle-même a été une musique de film. La musique était ma vie, la musique m'a donné la vie, et la musique est ce pour quoi je vais rester dans les mémoires longtemps après que je quitterai cette vie. Quand je mourrai, il y aura une dernière valse jouant dans ma tête, que je pourrai seul entendre.» Or, cette citation a été reprise le lendemain par plusieurs dizaines de médias dans le monde, dont les quotidiens The Guardian et The Independant. L'étudiant affirme avoir été choqué par le nombre de reprises: «Je ne m'attendais pas à ce que ça aille si loin. Je m'attendais à ce que ça se retrouve sur des blogues ou des sites, mais pas dans des journaux de qualité.» Son but était de démontrer la dépendance des journalistes à l'Interenet pour les besoins de leurs propres articles.

En réalité, les domaines où Wikipédia compte très peu d'erreurs sont les domaines scientifiques pointus, où les intervenants sont en grande majorité des spécialistes. Les autres domaines, comme l'histoire ou la politique, sont souvent l'objet de guerres idéologiques. Les contre-vérités se glissent d'autant plus facilement que l'anonymat du web permet de faire intervenir un ou des contributeurs à sa place. Mais les principales plaies de l'encyclopédie en ligne sont les affabulateurs, ceux qui s'amusent à insérer des erreurs. Certaines notices relèvent ainsi de la poésie pure, comme celle de la fictive île Porchesia, restée en ligne deux cent trente-six jours... Rappelons que Wikipédia est contrôlée par des «patrouilleurs» bénévoles volontaires qui peuvent être n'importe qui, spécialistes ou non. Ils ne peuvent donc évidemment pas tout vérifier et n'ont pas la science infuse. Quant à la «neutralité» de Wikipédia, elle est sans doute le sujet qui fait le plus débat. Ainsi, il y a quelques années, le candidat aux élections présidentielles du petit parti politique - l'UPR (Union populaire républicaine) -, François Asselineau, s'est vu refuser les pages sur lui-même et son parti, car les utilisateurs ne l'avaient pas jugé assez connu, alors que sa formation était un parti officiel. À l'inverse, le moindre acteur de série télévisée n'aura aucune difficulté à faire valider sa page...

On a donné le droit de parole à des légions d'imbéciles qui, avant, ne parlaient qu'au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité.

Selon le philosophe, écrivain et essayiste Umberto Eco, Wikipédia creuse les inégalités sociales entre riches et pauvres, entre les adultes qui ont eu un bon parcours scolaire et les autres:

«L'ordinateur en général, et Internet en particulier, font du bien aux riches et du tort aux pauvres. À moi, Wikipédia apporte quelque chose: je trouve les informations dont j'ai besoin. Mais cela est dû au fait que je n'ai pas une confiance aveugle en elle, puisque l'on sait bien que plus Wikipédia se développe, plus se multiplient aussi les erreurs. J'ai trouvé des affirmations me concernant complètement aberrantes, et si personne ne m'avait averti, elles seraient encore là. Les riches sont cultivés, ils savent croiser les sources. Pour ma part, je regarde Wikipédia en italien, sans être sûr que l'information soit exacte, puis je vérifie avec Wikipédia en anglais, ensuite je consulte une autre source, et si les trois me disent que tel homme est mort en 371 après J.-C., je commence à y croire. Le pauvre en revanche gobe la première affirmation qui passe, et point final. Autrement dit, il se pose pour Wikipédia, comme pour Internet en général, la question de la vérification des informations. Car, on conserve tout, aussi bien les fausses que les vraies, alors que les riches ont des moyens de vérifier, au moins pour ce qui relève de leur compétence» (extrait d'un entretien accordé à Wiki@Home, le 24 avril 2010).

Le problème est que n'importe qui, selon son humeur, peut se permettre d'écrire des insanités. Umberto Eco faisait remarquer dans son septième et dernier livre, Numéro zéro, paru en 2015: «On a donné le droit de parole à des légions d'imbéciles qui, avant, ne parlaient qu'au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu'aujourd'hui ils ont le même droit de parole qu'un prix Nobel. C'est l'invasion des imbéciles...»

Extrait de La Longue Montée de l'Ignorance, Dimitri Casali, Editions First, mars 2017

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